💥Les Quatre Cavaliers de l'IApocalypse
Comment Altman, Musk, Ellison et Son ont pris le contrôle de l'IA aux US.
Bonjour,
L’histoire de la tech est souvent racontée comme une épopée d’innovations fulgurantes, de levées de fonds vertigineuses et de visionnaires façonnant l’avenir et blablabla. Mais derrière ces récits se cache, comme dans pas mal d’autres milieux, un lutte d’égos surdimensionnés, d’intérêts croisés et de batailles d’influence.
Depuis quelques mois, une bataille à plusieurs milliards de dollars (et bien plus) se joue entre quatre figures, parmi les plus influentes et les plus riches du monde.
Elon Musk
Sam Altman
Larry Ellison
Masayoshi Son
Tantôt alliés. Tantôt rivaux. Leurs destins se croisent, se recroisent, se délient et se défient sur plus d’une décennie, à travers une narration parfaitement contrôlée et feutrée. Mais le retour de Trump a tout changé. Entre ambitions politiques, règlements de comptes et coups tordus, la frontière entre la Silicon Valley et la Maison Blanche n’a jamais été aussi poreuse.
Et au milieu de tout ça, Elon Musk, qui a bâti son empire sur des financements publics tout en prêchant la liberté absolue, se retrouve paradoxalement aux commandes du DOGE, une entité gouvernementale créée par Trump pour « optimiser » les dépenses américaines. Une position qui lui permet d’influencer directement des secteurs où il a des intérêts colossaux : Tesla, SpaceX, Neuralink, xAI… avec à la clé, une concentration de pouvoir sans précédent.
Jusqu’où peuvent aller ces luttes d’influence ? La guerre pour l’IA est-elle un simple affrontement entre titans ou le prélude à un basculement plus profond ? Une chose est sûre : derrière les tweets et les déclarations grandiloquentes, c’est un combat bien plus stratégique qui se joue.
Et dont il est difficile de savoir qui va sortir gagnant.
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👨⚖️Le bon, la brute, le truant (et le banquier)
Sam Altman
Difficile de dresser le portrait de Sam Altman sans tomber dans l'hagiographie béate de la Silicon Valley, qu’il a participé à écrire, ou dans la critique systématique du techno-solutionnisme. Sorti de nulle part (enfin, de St. Louis, Missouri), ce gamin prodige qui code à 8 ans et fait son coming out au lycée débarque à Stanford en 2003… pour abandonner au bout d'un an et lancer Loopt 🇺🇸, un réseau social de géolocalisation. S'il revend la boîte 43M$ en 2012 à Green Dot 🇺🇸, c'est surtout son passage à la tête de Y Combinator 🇺🇸 de 2014 à 2019 qui le fait connaître. Entre les investissements dans Airbnb 🇺🇸, Dropbox 🇺🇸, Stripe 🇺🇸 ou Reddit 🇺🇸, « Sam le visionnaire » devient l'oracle de toute une génération d'entrepreneurs qui rêvent d’aller de faire incuber chez YC.
En 2015, il co-fonde OpenAI 🇺🇸, officiellement pour « développer une IA bénéfique pour l'humanité », avec d’autres experts du secteur :
Elon Musk ;
Andrej Karpathy, MIT, fondateur de Eureka Labs, qui rejoindra Tesla 🇺🇸 en 2017 avant de revenir en 2023, puis de repartir en 2024 ;
Greg Brockman, MIT, ex-CTO de Stripe 🇺🇸, actuel président ;
Wojciech Zaremba, Polytechnique, qui a passé sa thèse sur le deep learning sous la direction de Yann LeCun et Rob Fergus, ex-Nvidia 🇺🇸 et Google Brain 🇺🇸, en charge du langage et du code génératif ;
Ilya Sutskever, codéveloppeur d’AlphaGo 🇬🇧 ;
John Schulman, docteur en neurosciences et robotique, qui rejoindra Anthropic 🇺🇸 en 2024, dont il vient d’annoncer son départ le 7 février dernier après seulement cinq mois, qui était en charge de l’ « alignment science » ;
Trevor Blackwell, co-fondateur de YC, spécialiste de la robotique ;
Vicki Cheung, co-fondatrice de Duolingo, actuelle CTO de Gantry ;
Durk Kingma, chercheur en IA qui a travaillé sous la direction de Le Cun, avant de rejoindre DeepMind ;
Pamela Vagata, ex-ingénieure software chez Microsoft, qui quittera OpenAI pour Facebook.
Quatre ans plus tard, Musk claque la porte en dénonçant la dérive commerciale du projet, juste avant qu'Altman ne transforme l'organisation à but non lucratif en entreprise à but lucratif « plafonné ». S'ensuit une course effrénée aux modèles de langage toujours plus gros, notamment depuis l’énorme succès de ChatGPT, lancé en novembre 2022, qui a achevé de convaincre Microsoft 🇺🇸, qui a injecté 10G$.
Parallèlement, Altman multiplie les investissements personnels dans des projets futuristes, de la fusion nucléaire (Helion 🇺🇸) aux crypto-monnaies (Worldcoin 🇺🇸) en passant par l'extension de la durée de vie (Retro Biosciences 🇺🇸), en bon transhumaniste.
Tantôt Cassandre de l’IA (qu'il faut réguler urgemment), tantôt entrepreneur pragmatique (qui refuse tout moratoire sur la recherche), difficile de savoir ce que pense réellement Altman. Alors qu’il tient dans son cerveau ce qui pourrait être la philosophie des prochaines décennies.
Elon Musk
Qu’est-ce qui n’a pas encore été dit sur Elon Musk ? Né en 1971 en Afrique du Sud, il commence sa vie avec une cuillère d’émeraude dans la bouche grâce à son père Errol, qui possède des parts dans une mine en Zambie. Après une enfance où il se fait harceler à l’école et une relation plutôt toxique avec son père (qu’il qualifiera plus tard de « terrible personne », ça en dit long), il se tire pour le Canada à 17 ans, avec 2’000$ en poche et un visa obtenu grâce à sa mère, mannequin, dont il est resté proche.
Quelques années plus tard, son diplôme de Penn en poche, il lance Zip2 avec son frère Kimbal, qu’il revend 307M$ à Compaq en 1999 en pleine folie de la bulle internet. Dans la foulée, il fonde X.com, qui fusionne avec Confinity pour devenir PayPal dont il devient DG1. Sauf qu’à l’été 2000, alors qu’il est en lune de miel en Australie avec sa première femme Justine, son board décide de le virer.
« Au début, j’étais très en colère. […] J’avais des pensées d’assassinat qui me traversaient l’esprit. Mais j'ai fini par comprendre que c'était une bonne chose que je sois devenu licencié. Sinon, je serais encore en train de travailler comme un esclave chez PayPal. »
Et d’ajouter en toute modestie :
« Si j’étais resté, PayPal serait une entreprise valant mille milliards de dollars. »
Il empochera tout de même 250M$ lors du rachat de PayPal par eBay pour 1,5G$, faisant de lui un demi-milliardaire à tout juste 30 ans.
La suite ? C’est un épisode de Qui veut gagner des milliards ? version Silicon Valley. Musk balance quasiment tout son pactole dans 4 paris assez dingos :
Tesla dont il prend le contrôle en 2004 en virant les fondateurs ;
SpaceX qu'il crée la même année avec l'ambition affichée de coloniser Mars ;
SolarCity fondée par ses cousins ;
Neuralink arrivera plus tard, en 2016.
Entre levées de fonds astronomiques, deadlines irréalistes et promesses à peine croyables, il transforme ces startups en un empire à plusieurs centaines de milliards, tout en jonglant entre lancements de fusées recyclables et production massive de voitures électriques.
Mais SpaceX n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. En 2008, après trois échecs successifs de Falcon 1, SpaceX n’a plus un rond pour un quatrième essai. Le Founders Fund de Peter Thiel (ex-PayPal), Ken Howery et Luke Nosek injectent 20M€. Et là, bingo, le quatrième essai est un succès. La NASA signe ensuite pour 12 allers-retours vers la Station spatiale internationale, le tout pour 1,6G$.
Et puis, il y a cette version déjantée de Musk qu’on connaît aujourd'hui, le troll ultra-droitier accro à Twitter, qu’il rachète pour 44G$ en 2022 dans des conditions dignes d’un épisode de The Office. Entre ses sorties anti-vax pendant le Covid, ses obsessions sur le « wokisme » et ses mèmes douteux, il se met une partie de sa famille à dos.
Selon une source proche de la famille, c’est d’ailleurs en son sein que Musk aurait commencé à vrillé. En 2020, un des six enfants qu’il a eu après Justine Musk lui annonce sa transidentité. Elle veut qu’on l’appelle Vivian. Fou de rage, Musk aurait menacé de lui couper les vivres. Vivian a finalement repris le nom de sa mère, Wilson, et pris ses distances. Un épisode qui semble avoir profondément marqué Musk, et lancé sa croisade contre ce qu’il appelle l’« idéologie woke ». Sans oublier ses étranges tweets ou la fois où il a défié Mark Zuckerberg dans un octogone.
Ex-Démocrate, supporteur d’Obama en 2008 et 2012, de Clinton en 2016, et de Biden en 2020, il se tourne vers les Républicains en 2022 et soutient DeSantis en 2024. Mais dès son retrait annoncé, il se rapproche de Trump, qu’il soutiendra activement, publiquement et (très) médiatiquement après une tentative d’assassinat en juillet 2024.
Aujourd’hui, Elon Musk est une des personnalités les plus scrutées et sans doute l'une des plus puissantes du monde, après que Trump l’ait nommé à la tête du DOGE, en référence à un mème coin, pour réduire les dépenses US. Un vrai roman d’aventure.
Larry Ellison
Né à New York en 1944, Larry Ellison démarre lui dans la vie avec une cuillère en plastique dans la bouche. Adopté à 9 mois après avoir frôlé la mort d'une pneumonie, il grandit dans le South Side de Chicago. Dès son plus jeune âge, son père adoptif lui balance qu’il ne fera jamais rien de sa vie. Pour lui, ça sera une motivation. Après deux abandons universitaires et une arrivée en Californie en 1966, il enchaîne les petits boulots. C’est chez Ampex qu’il trouve sa voie, comme développeur, en bossant sur un projet appelé Oracle pour la CIA. Le genre de mission qui le fait rêver. En 1977, il se lance à son compte et fonde Software Development Laboratories avec 1’200$ en poche, futur noyau d’une entreprise qui deviendra Oracle Corporation.
Dans les années 80-90, alors que l'informatique décolle, il transforme Oracle en un monstre des bases de données pour entreprises. Et pour ça, il n’hésite pas à accumuler des acquisitions agressives et des pratiques commerciales pas toujours très tendres. Résultat, une réputation de businessman avec des méthodes musclées et un penchant pour les procès avec ses actionnaires mécontents. Pourtant, il ne lâche jamais le volant et garde les rênes d’Oracle jusqu’en 2014, année où il prend sa retraite opérationnelle, tout en conservant son fauteuil de président du conseil d’administration.
En 2000, il devient brièvement l’homme le plus riche du monde, juste avant que la bulle internet n’éclate. Et milliardaire adore le montrer. Yachts à foison, jets privés, et même une île hawaïenne achetée pour 300M$. L’image du playboy arrogant, qui aime montrer ses milliards, lui va comme un gant. Une sorte d’anti-Bill Gates, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à traiter d’arnaqueur.
En somme, Ellison est tout ce qu’adorent l’Amérique traditionaliste, promouvant le mythe du self-made-man et les symboles de réussite sociale. Pas étonnant donc, de le voir soutenir Trump et de faire activement campagne à ses côtés.
À 80 ans, l'ancien bad boy de la tech n’a rien perdu de sa réputation. Même si, au passage, il a un peu changé d’avis sur l’IA, qu’il imaginait il y a peu capable de « nous tuer tous ».
Masayoshi Son
Né en 1957 dans une famille de Coréens zainichi2, Masayoshi “Masa” Son grandit dans un Japon où son origine est un frein. À 16 ans, sans parler un mot d’anglais, il réussit à convaincre ses profs de le laisser partir aux États-Unis. À Berkeley, entre deux cours de physique, il développe un traducteur électronique qu’il revend 1M$ à Sharp en 1978. Retour au Japon, et en 1981, il fonde SoftBank (à qui j’avais consacré une newsletter), un petit distributeur de logiciels PC, avant de transformer l’entreprise en un empire des télécoms, notamment avec l’achat de Vodafone Japan pour 15G$ en 2006. Pas mal pour un type qui partait de rien.
Mais Masa voit plus grand. Il veut que SoftBank devienne le géant de l’investissement technologique. Son coup de génie : parier 20M$ sur un site chinois qui n’intéresse personne à l’époque, Alibaba. Ce pari se transforme en un jackpot de 60G$ lors de l’IPO de 2014. Ces fonds lui permettent de lancer en 2017 Vision Fund, le plus gros fonds de private equity de l’histoire, avec 93G$ levés, dont 45G$ provenant du prince saoudien MBS. SoftBank y injecte 28G$, et des mastodontes comme Apple, Qualcomm ou Foxconn complètent le tour. Larry Ellison pose 1G$.
Son ambition ? Financer les prochaines révolutions technologiques de ruptures : IA, robotique, Io. Il ne fait pas dans la dentelle : il injecte 7G$ dans Uber, 4,4G$ dans WeWork, 32G$ dans Arm, sans oublier les milliards déversés dans ByteDance, Nvidia, Didi... À son apogée, Vision Fund affiche un rendement de 62 %, avec 71 investissements pour 64G$.
Mais l’empire vacille en 2019. WeWork implose après un fiasco boursier retentissant : la startup passe de 47G$ à 3G$ en quelques mois. SoftBank doit allonger 9,5G$ pour éviter la faillite, portant sa participation à 80%. En parallèle, Oyo, son pari hôtelier indien, burn des milliards à une vitesse inquiétante. Puis la pandémie frappe. En 2020, SoftBank enregistre une perte record de 13G$ et Son doit reconnaître publiquement ses erreurs.
Mais pas question pour Masa de se laisser abattre. En 2023, après une perte historique de 32G$ au Vision Fund, il joue son va-tout avec l’IPO d’Arm, valorisée 54G$. L’opération redonne de l’air à SoftBank, permettant même à Vision Fund de repasser dans le vert. En 2024, après avoir racheté les parts de Vision Fund dans Arm, Son réoriente massivement SoftBank vers l’intelligence artificielle, pour faire d’Arm « la société d’IA la plus importante au monde ».
À 67 ans, avec une fortune estimée à 33G$ et les 130G$ d’actifs sous gestion de SoftBank, Masa n’a plus rien d’autre à prouver. Sauf, peut-être à entrer dans l’histoire comme celui qui a parié juste… ou trop tôt.
⏲️Retour vers le futur
Difficile de comprendre ce qui se trame en ce moment sans revenir dans le passé, là où les trajectoires de ces hommes se sont croisées. Enfin, par croisement, il faut plutôt entendre un carrefour où tout le monde passe par Musk. Parce qu’il faut bien avouer que c’est lui qui est actuellement au centre de toutes les tractations. Au point que c’est lui qui pourrait bien faire basculer la Silicon Valley. Voire la tech. Voire les États-Unis. Et c’est pas juste une jolie anaphore.
Musk & Son : La Guerre des Étoiles
Les tensions entre Elon Musk et Masayoshi Son qui agitent la Silicon Valley depuis un long moment remonteraient à décembre 2016. Certains parlent même de haine du premier pour le deuxième. Et d’une indifférence pragmatique dans l’autre sens.
SoftBank 🇯🇵 injecte alors 1G$ dans OneWeb 🇬🇧 en promettant de créer 3’000 emplois américains – un engagement pris directement auprès du président élu Trump. Pour Musk, pour qui Starlink 🇺🇸 n'est alors qu'un projet qui sera lancé en 2018, c'est une déclaration de guerre.
Comme souvent avec SoftBank 🇯🇵, l’investissement va mal finir. OneWeb 🇬🇧 fait faillite en mars 2020, et c’est Bharti Global 🇮🇳, Eutelsat 🇫🇷 et le gouvernement britannique qui recapitalisent la société, laissant moins de 12% à SoftBank 🇯🇵. L’entreprise deviendra d’ailleurs Eutelsat OneWeb 🇫🇷 fin 2023.
Mais entre-temps, l’histoire s’est complexifiée. En avril 2017, Son et Musk se rencontrent pour discuter d'un possible investissement dans Tesla 🇺🇸, allant jusqu'à évoquer un retrait de la cote.
Musk exige une structure avec des droits de vote disproportionnés pour garder la main sur l'entreprise.
Son veut des droits proportionnels à l’investissement.
Le deal échoue. Mais quand, un an plus tard, Musk veut lever 500M$, Son resonne (hehe) à sa porte. Une aubaine pour les investisseurs historiques qui voient d’un bon œil du cash frais et une possible synergie avec SoftBank Telecom 🇯🇵.
Musk refuse catégoriquement, vexé du non-deal de Tesla 🇺🇸, mais surtout par l’investissement de SoftBank 🇯🇵 chez un concurrent. D’autant que Musk redoute la stratégie spray & pray de SoftBank, qui investit dans toutes les entreprises d’un secteur – comme ils l’ont fait dans les VTC (Uber 🇺🇸, Didi 🇨🇳, Grab 🇸🇬) – pour consolider les positions et être sûr d’empocher le marché, peu importe le grand gagnant.
D’ailleurs, SoftBank 🇯🇵 est par la suite devenu un investisseur majeur dans l'industrie des véhicules électriques et autonomes, finançant nombre de concurrents de Tesla 🇺🇸. Notamment avec un énorme investissement dans Rimac 🇭🇷, constructeur croate de supercars électriques qui ambitionne ouvertement de concurrencer Tesla 🇺🇸 sur le segment haut de gamme.
En 2018, c’est Masa en personne qui reçoit Jens Peter Clausen, alors dirigeant de la Gigafactory de Tesla 🇺🇸, pour le placer à la tête de Zymergen 🇺🇸, une biotech qui venait de lever 400M$ auprès du Vision Fund 🇯🇵. De quoi rendre Musk une nouvelle fois furax.
Musk & Altman : The Social Netwar
Ceux deux là avaient tout pour s’entendre. Deux esprits brillants. Deux visionnaires obsédés par l’avenir. Deux hommes persuadés que l’intelligence artificielle serait la prochaine révolution. Et qu’elle devait être entre de bonnes mains.
La première rencontre aurait eu lieu dans les années 2010. Altman est une figure montante de la Silicon Valley grâce au Y Combinator. Musk est déjà une légende. Un partner de l’accélérateur emmène Altman visiter SpaceX 🇺🇸, qui ressort fasciné. Il décrira ce moment sur son blog3 plus tard :
« Le truc qui me reste en mémoire, c’est son regard. Une certitude absolue quand il parlait d’envoyer de grandes fusées sur Mars »
L’admiration est mutuelle : Musk voit en Altman un esprit affûté, capable de challenger les géants de la tech avec une approche radicalement différente.
Le dialogue s’installe. En 2014, ils commencent à échanger sur l’intelligence artificielle et ses dangers. Musk utilise alors régulièrement le terme de robocalypse. Arrêter le progrès est impossible, mais ils peuvent au moins s’assurer qu’il ne tombe pas entre de mauvaises mains. En mai 2015, Altman envoie un email4 à Musk : 5
« Je pense beaucoup à la question de savoir si l’humanité peut être empêchée de développer l’IA. La réponse est presque certainement non. Dans ce cas, il vaudrait mieux que quelqu’un d’autre que Google s’en charge en premier. »
L’idée prend forme : créer un laboratoire d’IA capable de rivaliser avec DeepMind 🇬🇧, tout en garantissant que la technologie reste accessible à tous. L’annonce d’OpenAI est faite en grande pompe en décembre 2015. Altman parle d’une entreprise « à but non lucratif pour sauver le monde d’un futur dystopique » et met en avant sa relation de confiance avec Musk. Ce dernier pousse le projet à afficher une ambition massive : plutôt que 100M$, il propose un engagement d’1G$. Il promet même de couvrir les fonds manquants – une promesse qui se transformera en seulement 45M$ de sa poche.
Dès le départ, les tensions se devinent en coulisses. Musk est pressé. Il veut un OpenAI capable de renverser Google, avec une exécution rapide et des ressources colossales. Mais l’organisation avance à son propre rythme, suivant la vision d’Altman : une approche méthodique, collective, moins agressive que celle du patron de Tesla.
Puis vient le premier vrai point de friction en 2016. OpenAI négocie un partenariat avec Microsoft offrant un accès privilégié à ses infrastructures cloud. Altman défend l’accord comme un moyen de compenser le retard technologique et le manque de financement. Musk, lui, explose par e-mail :
« Ça me donne la nausée »
Il refuse qu’OpenAI ne devienne trop dépendante de Microsoft 🇺🇸. Altman, pragmatique, ajuste l’offre : aucun engagement marketing, aucune obligation de promouvoir Azure. Musk finit par accepter, non sans ajouter une dernière muskerie :
« Ça vaudrait bien plus que 50M$ de ne pas avoir l’air d’être la marionnette marketing de Microsoft. »
Mais le véritable enjeu est ailleurs. Depuis le début, OpenAI est coincé entre deux forces opposées :
Une mission idéaliste;
Un environnement ultra-compétitif.
Pour attirer les meilleurs chercheurs, Altman met en place des salaires élevés et des compensations inédites, mélangeant avantages de startup et prestige académique. Face à Google et DeepMind, la bataille des talents est féroce. Ce qu’explique Altman à Musk en 2015 :
« DeepMind va tenter de débaucher tout le monde chez nous demain pour tuer OpenAI. Tu es d’accord pour qu’on augmente proactivement les salaires de 100-200k ? »
Musk approuve.
Sans hésiter.
Mais il a un problème : s’il n’a jamais su travailler avec un board, ou codirigé un projet, c’est parce qu’il est colérique, lunatique, et qu’il a besoin de tout contrôler. Sans délai.
En 2017, les tensions atteignent leur paroxysme lorsque Musk commence à voir OpenAI lui échapper. Il commence à douter de la viabilité d’OpenAI en tant que structure à but non lucratif. Selon lui, l’ambition d’égaler Google DeepMind nécessiterait des milliards en puissance de calcul. L’organisation, elle, se rend compte qu’elle devra lever des fonds colossaux pour atteindre ses objectifs.
L’été 2017 marque un tournant : Musk et Altman discutent de transformer OpenAI en une entité à but lucratif pour attirer des investisseurs. Mais Musk ne veut pas juste lever des fonds. Il exige le contrôle total.
Après avoir sonder des investisseurs autour de lui en toute discréditions, il propose une levée de fonds d’un milliard pour asseoir sa domination. Mais Altman et les autres fondateurs flairent le traquenard. 6
« Le but d’OpenAI est d’éviter une dictature de l’AGI. Nous craignons que DeepMind en crée une. Mais créer une structure où tu pourrais devenir dictateur ne serait pas mieux. »
En septembre 2017, Musk pousse pour créer une nouvelle structure et en prendre les commandes. Il réclame plus de 50% des parts, le poste de CEO, et un contrôle absolu sur la direction du projet. Son but était de valoriser ses parts plus de 80G$ afin… d’aller sur mars En parallèle, il enregistre une entité nommée Open Artificial Intelligence Technologies, Inc., un public benefit corporation censé devenir le nouveau véhicule d’OpenAI.
SMS de Greg Brockman adressé à Shivon Zilis, proche de Musk qui faisait le lien entre lui et OpenAI
Le conseil d’administration d’OpenAI panique : Musk veut transformer l’organisation en un bras armé de Tesla, alors qu’elle était censée rester une alternative indépendante à Google. Les discussions s’enveniment, Altman et ses alliés refusent de céder. Mais ils savent qu’OpenAI manquera rapidement de fonds. Le burn rate estimé est d’environ 300-500M$ par an avant même d’avoir un modèle viable. Et plus d’un milliard ensuite.
Le 20 septembre 2017, après des semaines de négociations sur la structure du board et sa position de CEO, Musk menace une nouvelle fois de partir et lance un ultimatum :
« Les gars, j'en ai assez. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Soit vous faites quelque chose de votre côté, soit vous continuez avec OpenAI en tant qu'organisation à but non lucratif. Je ne financerai plus OpenAI tant que vous n'aurez pas pris l'engagement ferme de rester ou que je ne serai pas un imbécile qui vous fournit essentiellement des fonds gratuits pour créer une startup. »
« Discussions are over », conclut-il.
En janvier 2018, il pousse encore plus loin : soit OpenAI fusionne avec Tesla, soit il retire son soutien. Musk est désormais convaincu qu’OpenAI est irrémédiablement en retard sur Google.
Le conseil d’administration refuse. Musk claque la porte, coupe son financement, se détourne d’OpenAI puis se concentre sur ses autres entreprises, en gardant l’IA dans un coin de sa tête.
Mais l’histoire d’OpenAI ne s’arrête évidemment pas là. En 2019, pour compenser la perte du financement de Musk, Altman fait un choix stratégique : la création d’une filiale à but lucratif plafonné, qui attire immédiatement Microsoft et d’autres investisseurs. Altman informe Musk du deal of Microsoft par e-mail le 17 décembre. « Sounds good » répond il laconiquement. Mais le lendemain de Noël, il reviendra à la charge.
Mais quand en mars 2019 OpenAI annonce son changement de structure publiquement suite à l’entrée de Microsoft, Musk se montre passablement énervé.
Et ce n’est que le début.
Quand GPT4 sort, il accuse publiquement OpenAI d’avoir utilisé Twitter/X pour entraîner son modèle, sans étayer ses dires, même si pas mal d’experts vont dans son, sens. Puis il intente une première action en justice en mars 2024, affirmant qu’OpenAI avait trahi ses principes fondateurs. Il retire sa plainte. Mais en dépose une nouvelle en aout dernier, affirmant avoir été floué lorsqu’il avait cofondé OpenAI. Qui a répliqué en l’attaquant pour harcèlement et diffamation.
Et ce n’est sans doute que le début.
🛕Retour vers le présent
Si tout ce petit monte se retrouve aujourd’hui, c’est évidemment que Donald Trump est redevenu président, et qu’ils ont tous à y gagner. Ce qui est plus étonnant qu’en seulement quelques mois, la guerre des égos fait rage en privé pour des dossiers notoirement publics, qui pourraient aboutir sur les plus gros conflits d’intérêts de l’histoire…
DOGE : Le chien de garde de l’État
C’était sans doute l’une des annonces les plus étonnantes de la fin de campagne de Trump : attribuer une sorte de proto-ministère à Musk, avec pour seule mission de couper dans les dépenses de l’État. Et le décret signé fin janvier n’a pas vraiment permis d’en savoir plus ni sur les contours de la mission, ni sur la latitude du DOGE7… qui semble illimitée.
Appeler ce département DOGE n’a rien d’anodin. Depuis des années, Musk ne cache pas son obsession pour le Dogecoin. Il l’a propulsé dans la culture crypto en publiant des tweets cryptiques, en le mentionnant dans des interviews et même en remplaçant temporairement le logo de Twitter par l’image du célèbre Shiba Inu. De quoi faire exploser le cour à chaque fois à la hausse… ou à la baisse. Tantôt il explique vouloir envoyé Dogecoin« To The Moon » avec SpaceX, avec des performances qui ont dépassé 1500% (0,52$ alors). Tantôt il déclare lors du Saturday Night Live qu’il s’agissait finalement d’une « arnaque », provoquant une chute de 50% en quelques heures et un effondrement de 20G$ de capitalisation. De quoi amener quelques questions on on reparlera.
Que des numéros 10 dans ma team
Alors, qui Musk a-t-il embarqué avec lui dans cette aventure budgétaire ? Contrairement aux ministères ou administrations traditionnels, le DOGE fonctionne comme une cellule parallèle. On pourrait divise le DOGE dans 3 grands groupes :
Les vétérans des entreprises de Musk, qui connaissent bien son style.
Les jeunes ingénieurs inexpérimentés, qui ont été parachutés.
Des figures idéologiques proches de Trump, majoritairement issues du mouvement libertarien ou de l’extrême droite technologique.
Dans le premier groupe on retrouve8 9:
Steve Davis (ex-The Boring Company 🇺🇸) → Stratège en chef
Fidèle de Musk depuis 20 ans, expert en coupes budgétaires extrêmes.
Aurait menacé de faire intervenir les US Marshals pour forcer l'accès à l’USAID.
Tom Krause (ex-Cloud Software Group 🇺🇸) → Superviseur des finances fédérales
En charge du contrôle des flux financiers fédéraux via le Département du Trésor.
Jennifer Balajadia (ex-The Boring Company 🇺🇸) → Responsable des opérations du DOGE à la Maison Blanche
Nicole Hollander (ex-X 🇺🇸) → En charge de la GSA10
Supervise l’infrastructure fédérale, notamment les bâtiments et les technologies.
Ryan Riedel (ex-SpaceX 🇺🇸) → CIO11 du Département de l’Énergie
Gère l’ensemble des infrastructures informatiques fédérales, notamment les bases de données sensibles.
Amanda Scales (ex-xAI 🇺🇸) → Chef de cabinet de l’OPM12
A immédiatement ordonné un recensement des employés fédéraux sous probation.
Thomas Shedd (ex-Tesla 🇺🇸) → Responsable de la transformation technologique au sein du GSA
Implanterait l’intelligence artificielle pour remplacer des tâches administratives.
Kyle Schutt (ex-Kerplunk 🇺🇸, IA et recrutement automatisé)
Consultant technologique.
Adam Ramada (ex-CFO de Lucid Finance)
A pris une participation dans un fournisseur de SpaceX l’année dernière.
Proche de Musk avec une implication croissante dans la gestion des finances du DOGE.
Jehn Balajadia (ex-assistante personnelle de Musk chez Tesla)
Inscrite dans les répertoires de l’Education Department
Figure clé de l’organisation du DOGE.
Dans le deuxième groupe on retrouve des noms peu connus, principalement des fans de Musk et très jeunes. Ils ont été parachutés dans l’administration fédérale avec un accès sans précédent aux systèmes informatiques gouvernementaux. Alors même qu’ils n’ont aucune habilitation et n’ont fait l’objet d’aucune analyse de background, comme l’a révélé une lettre du Leadership Conference on Civil and Human Rights, qui révèle qu’aucune de ces personnes n’est même employée directement par le gouvernement.
Marko Elez (ex-Palantir 🇺🇸, cybersécurité) — 24 ans
A obtenu un accès direct en écriture aux bases de données du Trésor.
Suspendu après la découverte de ses publications racistes et eugénistes sur X, puis réintégré.
Edward Coristine (fondateur Tesla.Sexy LLC 🇺🇸) — 19 ans
Se faisait appeler « Big Balls » en ligne.
A dirigé des réunions de restructuration avec des fonctionnaires de la GSA.
Brandon Jeffries (ex-Neuralink 🇺🇸, bio-ingénierie) — 22 ans
Supervise le développement d’outils IA pour automatiser la gestion des budgets fédéraux.
Ethan Malone (ex-Tesla AI 🇺🇸, optimisation des flux logistiques) — 21 ans
Assigné à l’Office of Personnel Management sans aucune expérience en gestion RH.
Luke Farritor (ex-SpaceX 🇺🇸, proche de Thiel) — 23 ans
A été recruté via Discord pour travailler sur les infrastructures fédérales.
Décrit comme un prodige en ingénierie.
Kendall Lindemann (ex-McKinsey🇺🇸, ex-VC chez Russell Street🇺🇸) — 24 ans
Ancien CTO d’une startup d’intelligence artificielle spécialisée dans les entretiens automatisés.
A rejoint le DOGE en tant que consultant technologique.
Lettre du Leadership Conference on Civil and Human Rights
Enfin, il y a ceux qui ne participent pas directement au DOGE mais qui le soutiennent activement grâce à leur position :
Jared Isaacman (milliardaire et astronaute amateur) → Directeur de la NASA
La NASA étant l'un des plus gros clients de SpaceX, il pourrait favoriser Musk dans l’attribution des contrats.
David Sacks (entrepreneur tech, crypto et IA 🇺🇸) → Tsar des cryptos et de l’IA sous Trump
Libertarien convaincu, il pousse à une régulation minimale des cryptos et de l’IA.
Peter Marocco (Department of Defense 🇺🇸 sous Trump) → Administrateur de l’USAID
A été accusé d’avoir participé à l’attaque du Capitole en 2021.
Son objectif affiché : fermer l’USAID, principale agence d’aide internationale.
Katie Miller (Département de la Sécurité Intérieure 🇺🇸 sous Trump) → Porte-parole du DOGE
Défend publiquement les actions du département, minimise les accusations de conflits d’intérêts.
Marjorie Taylor Greene (députée républicaine, extrême droite)
Soutient activement DOGE en tant que membre du Congrès.
Austin Raynor (Pacific Legal Foundation 🇺🇸, ancien clerk de Clarence Thomas)
Avocat spécialisé en droit constitutionnel, proche des cercles ultra-conservateurs.
Milite pour la suppression du droit du sol aux États-Unis.
Keenan Kmiec (ancien clerk de John Roberts et Samuel Alito)
Figure montante du mouvement libertarien dans la justice américaine.
James Burnham (Jones Day, avocat conservateur)
Avocat général du DOGE, connu pour ses positions anti-réglementation.
Chris Young (ex-RNC, consultant en campagne électorale)
Responsable des stratégies de communication et de mobilisation pro-Trump.
Et on pourrait également ajouter trois grandes figures de la Sillicon Valley :
Marc Andreessen (Andreessen Horowitz, VC), qui a déclaré publiquement « aider DOGE ». et pourrait influencer les décisions liées à la régulation des Big Tech.
Michael Grimes (Morgan Stanley, financier de Musk), pressenti pour un rôle stratégique au Department of Commerce.
Baris Akis (VC, proche de Musk), qui a aidé à recruter une partie des ingénieurs du DOGE et dont le rôle exact est toujours flou.
Les premières actions
Depuis son lancement le 20 janvier, le DOGE revendique déjà plus de 1G$ d’économies, principalement en annulant des contrats liés aux DEI13. Une décision qui a fait bondir les démocrates, mais qui ravit les supporters de Trump. Musk a également mis fin à des abonnements fédéraux au New York Times – une priorité budgétaire évidente, au résultat anecdotique.
Le fonctionnement du DOGE est volontairement nébuleux. Ses membres utilisent des emails liés à la Maison Blanche, mais certains ont aussi des adresses email dans plusieurs agences fédérales. Beaucoup se présentent simplement comme « experts » ou « conseillers» , sans description claire de leurs responsabilités.
Pourtant le DOGE a déjà au des actions très concrètes qui ont déjà des conséquences :
Accès aux systèmes du Trésor : le DOGE a obtenu un droit de regard sur le système de paiement fédéral, qui gère les chèques de la Sécurité sociale, les remboursements d’impôts et les salaires des fonctionnaires. Des élus dénoncent un « risque de chaos financier », d’autant plus que Musk et ses équipes peuvent voir les données de paiement des entreprises bénéficiant de contrats publics.
Démantèlement progressif du CFPB14 : cette agence indépendante qui protège les citoyens contre les abus financiers, est progressivement mise en veille. Musk a même tweeté « RIP CFPB »15, et le site de l’agence affiche désormais une erreur 404. Plusieurs recours en justice se battent pour empêcher DOGE de vider les bases de données et les dossiers de l’agence.
Mise sous pression de USAID16 : Musk et Trump veulent réduire drastiquement l’aide internationale. Le DOGE aurait même tenté de bloquer les paiements à USAID en intervenant directement auprès du Trésor.
Interventions sur la Sécurité sociale : Une première coupe symbolique a été annoncée : la suppression du « Gender X Initiative Marker » et de toutes les références à l’identité de genre dans les formulaires publics. DOGE estime que cela représente 1M$ d’économies (soit l’équivalent de trois jours de budget en stylos à bille pour l’administration fédérale).
Au total, le DOGE a aurait déjà mis son nez dans au moins 15 agences fédérales, notamment la Consumer Financial Protection Bureau, le Department of Education, la FEMA17 et la Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS), parmi d’autres. Le but est clair : réduire les dépenses et éliminer ce qu’ils considèrent comme de l’inefficacité et de la bureaucratie. Le tout avec un évident lien avec l’idéologie muskotrumpiste.
Ce travail de démolition a engendré de nombreuses contestations, avec des recours juridiques déposés par des syndicats de fonctionnaires et des groupes de défense des droits civiques. Un juge fédéral a déjà interdit temporairement au DOGE d’accéder à certaines données sensibles du Trésor.
Mais cette nuit (m’obligeant à réécrire une énième fois cette newsletter 😅), une plainte officielle a été déposée par 26 plaignants anonymes, identifiés comme J. Does 1 à 26, employés ou contractuels de l’USAID. Ces fonctionnaires accusent Musk et son administration d’avoir tenté de saboter leur travail et d’avoir violé des lois fédérales sur la gouvernance et la transparence.
Leur plainte repose sur plusieurs points :
Accès illégal aux emails gouvernementaux : des membres du DOGE auraient utilisé des identifiants de la Maison Blanche pour accéder aux communications internes de l’USAID.
Blocage arbitraire des budgets : des fonds destinés à des missions humanitaires ont été gelés sans procédure légale, mettant en péril des programmes en cours.
Intimidation des employés : plusieurs plaignants déclarent avoir reçu des mises à pied non justifiées ou s’être fait retirer leurs accès aux systèmes internes.
Pression politique : des fonctionnaires affirment que leurs dossiers ont été réécrits pour justifier des coupes budgétaires avant même l’examen des rapports.
Musk et ses avocats ont déjà nié ces accusations auprès de la cour du Maryland, affirmant que le DOGE est « un organe d’optimisation budgétaire et non une force coercitive ».
L’issue de cette plainte pourrait définir les limites des pouvoirs du DOGE et possiblement freiner ses interventions sur d’autres agences fédérales. Mais en attendant, Musk et son équipe continuent leur croisade, qui pourrait quand même être parsemée de quelques embauches.
Des conflits, un intérêt
Parce que Musk navigue habilement entre les conflits d’intérêts tout en bénéficiant directement des coupes budgétaires imposées par Trump. En réduisant drastiquement les moyens des régulateurs fédéraux, il s’assure un boulevard pour ses propres entreprises. C’est un peu comme confier à un pyromane la gestion des forêts nationales.
Prenons SpaceX 🇺🇸 et le Pentagone. L’une des missions de DOGE est de revoir les dépenses militaires. Un objectif ambitieux, mais un détail intéressant : SpaceX est l’un des plus gros contractants du Pentagone avec plus de 16G$ sur les dernières années. Quand on lui a posé la question sur ce conflit d’intérêt flagrant, Musk a esquivé la réponse.18
« Ce n’est pas moi qui soumets les contrats, vous savez, ce sont des gens de SpaceX… ou quelque chose comme ça. »
Quelque chose comme ça. Une réponse qui ne fait qu’accentuer l’ironie de la situation : les contrats militaires qui passent par SpaceX sont directement supervisés par l’homme qui est censé « réduire les dépenses ».
Ensuite, il y a le démantèlement du CFPB19, l’agence indépendante qui supervisait notamment le financement des véhicules Tesla. Parce que comme beaucoup de constructeur, Tesla propose à ses clients de gérer directement les financements des véhicules pour ses clients via Tesla Finance LLC. Pour cette raison, les employés du CFPB ont interdiction de détenir des valeurs mobilières des entreprises concernées, comme JPMorgan or Ford. Une pratique courante dans les administrations, mais également dans pas mal d’entreprises e la finance, justement pour éviter les conflits d’intérêts. Sauf que Musk détient bien quelques actions Tesla au fond d’un tiroir…
Plus d’agence, plus de plaintes. Simple et efficace. Une fois le chien mort, la rage est finie. Tesla n’aura plus à s’inquiéter de la surveillance réglementaire.
Sans oublier que le CFPB avait également pour rôle de superviser les entreprises qui souhaitent se lancer dans le secteur des paiements numériques, un secteur où X s’apprête à se lancer.
Mais évidement Neuralink et xAI profitent de la dérégulation. DOGE prévoit de réduire les budgets des agences qui surveillent les implants cérébraux et l’IA. Là encore, il s’agit de redessiner un cadre favorable aux ambitions de ses entreprises.
Dans le même genre, le NLRB20, l’agence chargée de réguler les conditions de travail, a vu plusieurs de ses membres licenciés par Trump, réduisant ainsi sa capacité d’action. De même, la SEC, qui enquêtait sur Tesla et X, est en train d’être réorganisée avec des nominations pro-business, ce qui affaiblit encore davantage le cadre de régulation.
Interrogé à sur ces sujets, Musk est toujours resté serein, avec le bullshit qui finit par le caractériser.
« Toutes nos actions sont publiques, donc si vous voyez quelque chose comme : "Elon, il pourrait y avoir un conflit d’intérêts", les gens le diront immédiatement.
Une réponse typique, mais qui cache l’essentiel : beaucoup de décisions de DOGE sont prises dans la plus totale opacité, et quand des informations sortent, c’est souvent par accident.
D’autant que cette problématique date de bien avant sa nomination au DOGE. Outre les actionnaires de Tesla, qui commencent à se demander si leur médiatique CEO s’occupe vraiment de leur boîte, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren s’en émouvant l’été dernier, auprès de Robyn Denholm, présidente du CA21 de Tesla.
Elle y dénonçait les conflits d’intérêts flagrants de Musk, accusant le CA de manquer à ses obligations fiduciaires en le laissant gérer Tesla tout en développant activement ses autres entreprises comme X Corp., Neuralink, SpaceX et xAI. Qui elles, ne sont pas cotées.
Plus grave. Warren évoque le détournement de ressources critiques en IA : environ 12 000 processeurs Nvidia H100 destinés à Tesla ont en réalité été envoyés vers X Corp., pour une raison qu’on verra plus tard. Ces puces ultra-performantes étaient censées servir à l’amélioration des systèmes de conduite autonome et des projets de robotique de Tesla.
En décembre 2022, Warren avait déjà interpellé Tesla sur les conflits d’intérêts de Musk, alors absorbé par son rachat chaotique de Twitter dont on reparlera brièvement. Dans une autre lettre au CA, elle accusait Musk de détourner son attention de Tesla pour gérer son nouveau jouet, au détriment des actionnaires. Elle soulevait aussi la question des ressources financières et humaines : Tesla servait-elle à financer indirectement Twitter ?
Mais tout ça est resté sans effet, et Musk continue jusqu’à aujourd’hui d’utiliser tout ce qu’il trouve à ses propres fins.
Pendant ce temps, Trump défend son allié en expliquant que « C’est un gars qui a réussi, c’est pourquoi nous voulons qu’il fasse ça. Nous ne voulons pas d’un gars qui a échoué. »
Parce que tandis que le 12 février, Musk était dans le bureau ovale avec son fils sur les épaules pour répondre à des journalistes, à l’exception de celui d’AP, banni de la Maison Blanche pour avoir refuser d’utiliser le terme Golfe d’Amérique22, on apprenait que SpaceX venait de signer un contrat de 40M$ avec le Pentagone23… afin de réduire les dépenses.
Est-ce que le gouvernement va effectivement payer moins cher grâce à ce contrat ? Aucune idée, personne ne peut le vérifier. Mais quand bien même ce serait vrai, on est bien au delà d’un simple conflit d’intérêts.
En France, c’est la définition même du délit de prise illégale d’intérêts.
TikTok : À vendre, ou à bannir
Licence to ban
Depuis des années, les services de renseignement US s’inquiètent du fait que ByteDance🇨🇳, la maison-mère de TikTok, puisse transmettre des données aux autorités de Pékin. Une inquiétude officiellement démentie par TikTok, mais qui a suffi à mettre la plateforme dans le viseur du Congrès.
En avril 2024, un texte bipartisan impose un ultimatum : ByteDance doit céder ses activités américaines avant janvier 2025, sous peine de voir TikTok purement et simplement interdit sur le sol américain. En réponse, TikTok joue la carte du lobbying et attaque la loi devant les tribunaux, arguant d’une violation de la liberté d’expression. Mais en janvier 2025, la Cour suprême rejette ces arguments et valide le texte.
À minuit, le 19 janvier, TikTok disparaît des stores. Une interdiction éclair… qui ne dure que douze heures. Car dès son investiture, Donald Trump signe un décret repoussant l’application de la loi de 75 jours. Pourquoi ? Parce qu’un rachat se négocie en coulisses, et que Trump veut y avoir son mot à dire.
D’ailleurs, quand l’application revient dans les stores, elle remercie nommément Donald Trump. Alors même que l’administration Biden avait dit qu’elle ne mettrait pas à exécution le ban. Et que Trump n’avait pas encore signé le décret. Une belle preuve d’allégeance.
Dans les épisodes précédents
Ce n’est pas la première fois que TikTok passe à deux doigts de tomber dans les mains d’investisseurs américains. Déjà en 2020, Trump avait tenté d’imposer une cession, invoquant la sécurité nationale. À l’époque, Microsoft, Oracle et Walmart s’étaient positionnés.
C’est Oracle qui avait failli l’emporter, soutenu par Walmart, dans un deal à 12G$. Mais l’opération s’effondre lorsque Pékin modifie sa réglementation sur les exportations technologiques : hors de question de vendre l’algorithme de recommandation de TikTok, le cœur du succès de la plateforme. Sans l’algorithme, acheter TikTok revient à acquérir une Ferrari… sans le moteur.
Depuis, Oracle n’a pas lâché l’affaire. La firme de Larry Ellison héberge déjà une partie des données américaines de TikTok sur ses serveurs. Et aujourd’hui, alors que Trump relance la vente, c’est lui qui revient sur le devant de la scène.
Shut up and take my money
Si pour beaucoup la grande inconnue reste le prix de vente, pour ceux qui travaillent sur le dossier, la question est plutôt : qu’est-ce qui est à vendre ?
L’audience : 170M d’utilisateurs actifs aux US, un vivier d’attention monétisable à l’infini.
L’infrastructure commerciale : une machine publicitaire bien rodée, qui brasse des milliards en placements sponsorisés.
L’inestimable : l’algorithme, ce moteur opaque qui transforme n’importe quel inconnu en phénomène viral et capte l’attention comme aucun autre.
Les acheteurs potentiels ne se font pas trop d’illusions : les deux premiers actifs seront sur la table. Quant à l’algo, c’est peu probable. Pékin aurait déjà verrouillé son transfert. Sans lui, TikTok devient un simple container vide, une coquille dont la valeur s’effondre.
Les estimations oscillent entre 40 et 65G$. Un prix colossal, mais qui pose une question simple : qui a les moyens de signer un tel chèque ?
Pour l’instant, personne. C’est peut-être ce qui explique l’idée de Donald Trump d’imposer une participation publique : l’État américain pourrait en acquérir la moitié, garantissant ainsi un contrôle politique sur la plateforme. Sacré paradoxe dans une Amérique libérale, (presque) co-dirigée par un libertarien.
Avec l’algo, le deal pourrait changer d’échelle. Certains experts estiment qu’un accès à la technologie de recommandation ferait grimper la facture à 150-200G$. Ce qui en ferait l’un des plus gros deals de l’histoire des fusions-acquisitions.
Mais personne ne semble y croire.
Le grand Oracle
Grand soutien de Trump, Larry Ellison semble l’homme de la situation. Il a l’avantage de la proximité politique, mais un problème de taille : lever les fonds.
Ni Oracle, malgré sa puissance, ni Ellison ne peuvent financer une telle acquisition seuls. Son allié de 2020, Walmart, a déjà quitté le navire, refroidi par le coût de l’opération.
Quant à SoftBank, Masa a été aperçu plusieurs fois aux États-Unis, et notamment à la Maison Blanche, faisant naître la rumeur d’un co-investissement. Ce que m’a formellement démenti un cadre de SoftBank, qui confirme sans équivoque que c’était pour un autre dossier, dont on va parler plus bas
Toujours selon cette source proche du deal, c’est d’ailleurs Ellison qui a soumis à Trump l’idée que l’État fédéral prenne 50 % du capital.
Eternal flames
L’autre grand favori, lui aussi adoubé par Trump, c’est évidemment Musk. Selon l’avis d’un autre protagoniste du dossier, Musk n’aurait même pas été au courant avant l’annonce du président. Bien qu’il ait mis fin à la rumeur quelques jours après dans une interview24, tous les acteurs disent clairement qu’il n’a jamais exprimé le souhait de racheter TikTok.
Officiellement, Musk n’aime pas intervenir dans des entreprises à des stades trop avancés. X 🇺🇸 était une exception, afin de l’amener vers une plateforme plus large (monétaire, notamment). En réalité, Musk n’aurait pas vraiment les moyens : pour racheter l’ex-Twitter 🇺🇸 pour 44G$, il avait dû mettre en caution une floppée d’actions Tesla 🇺🇸.
Une partie de cette dette de 13G$, signée auprès d’un consortium mené par Morgan Stanley 🇺🇸, a d’ailleurs été vendue il y a peu. 3G$ ont été cédés, en plus de 6,5G$ déjà vendus ces derniers mois.25 Une manière de se débarrasser d’une dette qui pourrait devenir toxique en cas de disgrâce de Musk.
L’outsider
Un autre acteur garde un œil sur l’affaire : Microsoft. En 2020, l’entreprise avait été la première à se positionner sur un rachat de TikTok. À l’époque, Satya Nadella avait multiplié les dîners avec Donald Trump pour le convaincre de favoriser son offre. Sans qu’on ne sache trop si ça avait marché ou non.
Mais le géant de Redmond, outsider sur le deal, reste en embuscade. Microsoft a les moyens de financer l’opération seul et pourrait y voir une opportunité de combler son retard dans le social media, après avoir raté l’ère Facebook 🇺🇸/Instagram 🇺🇸.
Cela dit : y’a du monde au balcon.
Frank McCourt, le magnat de l’immobilier et ex-propriétaire des Dodgers de Los Angeles et actuel proprio de l’Olympique de Marseille est sur le coup avec son projet The People’s Bid for TikTok. Son idée ? Racheter TikTok sans son algorithme, migrer la structure vers une plateforme plus transparente et donner aux utilisateurs un meilleur contrôle de leurs données. Il est soutenu par Kevin O’Leary, investisseur star de Shark Tank26, qui affirme avoir réuni 20G$ en cash pour le deal.
Un autre prétendant inattendu : Jimmy "MrBeast" Donaldson. La star de YouTube, qui cumule 340M d’abonnés sur la plateforme et 113M sur TikTok 🇨🇳, a affirmé vouloir se positionner. En réalité, il est la face médiatique d’un consortium mené par Jesse Tinsley, fondateur et CEO d’Employer.com, qui a officiellement soumis une offre en cash.
Pendant ce temps, Steven Mnuchin, l’ancien secrétaire au Trésor de Trump, monte son propre groupe. C’est lui qui avait tenté de structurer le rachat en 2020 autour de Oracle et Walmart. Aujourd’hui, il tente de convaincre des investisseurs pour un plan où ByteDance céderait ses opérations américaines tout en gardant une participation minoritaire.
Bobby Kotick, l’ex-PDG d’Activision Blizzard, a lui aussi manifesté son intérêt. Lors d’une rencontre avec Sam Altman, il aurait discuté d’un possible montage financier commun, bien que son projet reste flou.
Enfin, Perplexity AI 🇺🇸 a proposé un rapprochement avec TikTok, dans un montage où le gouvernement américain pourrait posséder jusqu’à 50 % des parts après une IPO à 300G$.
Mi-janvier, les États-Unis ont laissé 75 jours à TikTok pour se mettre en règle. Le dénouement devrait avoir lieu dans les semaines à venir. Trump a chargé JD Vance du dossier, avec Michael Waltz, son conseiller à la Sécurité nationale.
Open AI vs. Grok
Si Musk ne sera probablement pas du deal TikTok, il y un autre sujet sur lequel il reste très actif : l’IA. Et ses derniers mouvs, ainsi que ses coups fourrés passés, montrent clairement qu’il va vouloir monter en puissance. Et qu’il ne laissera rien passer à OpenAI.
En mars 2023, l’inquiétude face à l’intelligence artificielle monte d’un cran. Un millier d’experts signent une lettre ouverte réclamant un moratoire de six mois sur les recherches menées au-delà de GPT-4, qui vient d’être annoncé tout juste un an avec le lancement fulgurant de ChatGPT27. Parmi les signataires on retrouve :
Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens ;
Yoshua Bengio, pionnier canadien de l’IA ;
Steve Wozniak, patron d’Apple ;
Emad Mostaque, de Stability AI ;
Des membres du laboratoire d’IA de Google DeepMind ;
Des experts en IA et universitaires américains ;
Des ingénieurs cadres de Microsoft etc.
Et Elon Musk.
Oops I did it again
Mais en juillet 2023, à la surprise générale, Elon Musk annonce la création de xAI au sein de X Corps. une entreprise censée explorer « la véritable nature de l’univers ». Derrière cette ambition philosophique, une réalité plus pragmatique : Musk recrute parmi les meilleurs talents de DeepMind, OpenAI et Microsoft, et entraîne son modèle Grok sur 10‘000 cartes Nvidia acquises en début d’année via Tesla, comme je l’expliquait plus haut.. Autrement dit, alors qu’il appelait à une pause, il posait déjà les bases d’un concurrent.
L’initiative en dit long sur la dynamique du secteur. La course à l’IA ne ralentira pas, quelles que soient les mises en garde. Le débat éthique entre philosophes est désormais une bataille industrielle, où la vitesse d’innovation l’emporte sur toute considération de prudence.
Alors qu’il déclare partout ne pas avoir besoin de fonds, Musk dépose une demande de levée de fonds auprès de la SEC visant à récolter 1G$ pour xAI. Depuis de longs mois le cours de Tesla baisse lentement. Le problème, c’est que ce sont ses actions Tesla qui garantissent le prêt du rachat de Twitter : une baisse trop forte pourrait provoquer une liquidation, ce qui serait catastrophique.
Cela dit, comme aurait dit Bernard Tapie :
« Quand tu dois 5 milles à ta banque, elle te tient par les couilles.
Quand tu dois 5 milliards, c’est l’inverse. »
Parce que la communication de Musk finit par mal passer. Les annonceurs quittent la plateforme, et Musk, qui avait dit racheter Twitter pour défendre la liberté d’expression… menacer de les poursuivre.
Mais cette apparente désinvolture pourrait masquer un pivot stratégique : X ne serait plus tant un réseau social qu'une pièce dans un puzzle plus vaste, celui de son empire de l'IA. Qui pourrait aussi passer par son rêve d’en fait une super-app qui incluraient du paiement, à la manière d’un Line ou d’un WeChat en Asie.
Sauf que la levée se passe mal, et Musk ne trouve que 135M€ auprès de 4 investisseurs pour la première tranche, clôturée en novembre 2023, à qui il a promis un investissement dans X Corp. C’est-à-dire une double exposition à X (ex-Twitter) et xAI (futur Grok) et un droit de préférence pour le prochain tour.
Sans attendre la fin, Musk fait néanmoins construire dans le Tennessee un gigantesque centre de données baptisé Colossus. Un projet qui semble bien loin des appels à la prudence qu'il signait quelques mois plus tôt.
Tragi-comédie
De son côté, OpenAI enchaîne aussi des giga levées : l’entreprise a depuis longtemps trouvé de quoi combler les financements coupés par Musk. Cela dit, comme à la bonne époque, cela reste un sujet complexe et qui divise, toujours aujourd’hui, à l’image du soap opéra de l’hiver 2023.
En novembre 2023, OpenAI traverse une crise digne de Succession. En l’espace de quelques heures Altman est brutalement évincé par un CA qui ne lui fait plus confiance. Officiellement, il n’aurait pas été « suffisamment franc » avec le board. Officieusement, son approche commerciale agressive, son influence grandissante et ses ambitions d’expansion rapide inquiètent une partie des administrateurs, en particulier Ilya Sutskever et Helen Toner, qui craignent un développement incontrôlé de l’intelligence artificielle. Toujours les mêmes craintes, bientôt 10 ans après.
Brockman claque la porte en soutien, mais l’affaire prend un tour absurde lorsque Microsoft, non informé des manigances, recueille l’orphelin dans son équipe. Dans la foulée, plusieurs chercheurs clés quittent l’entreprise, et 95% des employés signent une lettre exigeant le retour d’Altman sous peine de démission collective.
Le week-end qui suit devient un ballet de négociations et d’intrigues. Le CA, sous pression, envisage de rappeler Altman mais tarde à concrétiser son retour. En interne, la situation est explosive : les employés menacent un exode massif, et même Sutskever, l’un des instigateurs du limogeage, fait volte-face et signe la pétition demandant son retour. L’entreprise vacille, les investisseurs s’affolent, et OpenAI frôle l’implosion.
Le 22 novembre, après cinq jours de chaos, le CA finit par céder. Altman reprend son poste, tandis que ses opposants sont écartés.
Sutskever s’en va pour créer SSI ;
Toner retourne faire de la recherche.
Un nouveau board, plus conciliant, est mis en place sous la supervision de Microsoft.
L’épisode illustre avec fracas les tensions entre la vision idéaliste d’une IA contrôlée par des chercheurs soucieux de sécurité et la réalité d’un marché où le pouvoir appartient à ceux qui financent l’innovation.
Money money money
La crise a ravivé de sujet de la gouvernance. OpenAI présente une structure juridique particulièrement complexe qui reflète justement ces années de débats, à travers deux entités.
D'un côté, OpenAI Inc. est une organisation à but non lucratif de type 501(c)(3), équivalent américain de nos associations loi 1901 ;
De l'autre, OpenAI Global LLC est une société commerciale à but lucratif, mais avec un plafonnement des profits (capped-profit), structure relativement rare.
La particularité de ce montage réside dans le fait que l'entité à but non lucratif contrôle entièrement l'entité commerciale. C'est elle qui nomme le CA et fixe les orientations stratégiques, s'assurant ainsi que les activités commerciales restent alignées avec la mission initiale : développer une IA bénéfique pour l'humanité. Ce contrôle s'exerce notamment via le plafonnement des profits : les investisseurs dans la LLC ne peuvent pas espérer des rendements supérieurs à 100 fois leur mise initiale.
C’est cette structure qui a permis de retarder le lancement de DALL-E 2 de quatre mois pour intégrer des mécanismes de sécurité et éviter les usages malveillants. Plusieurs experts et membres du boards ont imposé la décision, contre l’avis de Microsoft qui voyait Midjourney prendre beaucoup d’avance.
Mais cela pousse à des montages peu conventionnels. Quand OpenAI annonce une levée record de 6,6G$ par Microsoft (valo 157G$) en octobre dernier, cela passe par l'équivalent d'une avance dans un contrat de label musical : jusqu'à remboursement des 13G$ investis ces dernières années, Microsoft empoche 75% des bénéfices. La deal précise même que les investisseurs peuvent récupérer leur argent si OpenAI ne devenait pas une entreprise à but lucratif d'ici deux ans. Sacrée pression.
Voila donc pourquoi Altman, bien aidée par Microsoft, veut faire d’OpenAI une benefit corporation, sorte d'équivalent d'entreprise à mission en France, et donc à but lucratif. C'est ce changement de statut qui aurait poussé plusieurs historiques vers la sortie, dont Barret Zoph et Bob McGrew, respectivement VP et directeur de la recherche. Laissant Altman et Zaremba derniers fondateurs encore à bord.
Altman assume pleinement la trajectoire prise. Dans une interview récente, il insiste sur le fait que l’AGI est plus proche que jamais et qu’il était impossible de rester un simple laboratoire de recherche sans ressources suffisantes. Il va plus loin, affirmant qu’OpenAI a toujours été pensée pour évoluer vers une structure hybride. D’autant que Musk a toujours été partisan de ce modèle du temps où il était chez OpenAI comme le montre ces correspondances.
SMS de Greg Brockman adressé à Shivon Zilis, proche de Musk qui faisait le lien entre lui et OpenAI
Echanges entre Elon Musk, Greg Brockman et Ilya Sustkever
Ce conflit dépasse évidemment largement le cadre de la Silicon Valley. Il pose une question fondamentale : qui aura le pouvoir sur l’intelligence artificielle du futur ? Une entreprise ? Un pays ? Une poignée d’individus ?
Musk et Altman ne sont plus que des rivaux dans cette bataille. Ils sont devenus les symboles d’un affrontement bien plus vaste, dont l’issue déterminera peut-être l’avenir même de la technologie. Et pour être un peu laudatif : peut-être même de l’humanité.
Non.
Ce passage en entreprise lucrative n'est pas du goût de tout le monde. Parce que si y'a du pognon à se faire, les investisseurs vont venir. Or, depuis 2 ans, toute la Silicon Valley est focus sur l'IA et la quasi totalité des grosses levées >100M€ ne vont que sur des startups IA. Pareil pour les entreprises cotées qui doivent faire des annonces, pour éviter de sombrer.
Parmi eux, Meta. Comme Musk, Zuckerberg a fait un énorme tournant trumpiste durant le S2 2024, se transformant en quasi-masculiniste dans ses communications. S'il a souvent été raillé pour ses récents échecs, sur le métavers ou la VR par exemple, Zuckerberg sait qu'il vaut mieux dépenser beaucoup pour rien, que de louper le coche avec beaucoup de cash. Il sait qu'il doit son succès à sa capacité à avoir fait de beaux rachats (Instagram, WhatsApp) ou du joli copycat de ce qu'il n'a pas pu racheter (SnapChat). Et qu'à l'inverse, ceux qui ont loupé le virage du web 2.0 l'ont payé cher (Google, Microsoft, notamment).
S'il était acquis que Musk serait contre le projet porté par Altman, le ralliement actif de Zuckerberg a surpris. Dans une lettre adressée au procureur général de Californie, Meta a exhorté le blocage de la conversion d'OpenAI en société à but lucratif, arguant que cela créerait un dangereux précédent permettant aux startups de profiter des avantages fiscaux du statut non lucratif jusqu'au moment de devenir rentables. Un argument qui masque mal les enjeux stratégiques : Meta a investi des milliards dans sa propre technologie d'IA pour concurrencer ChatGPT, tandis qu'OpenAI est étroitement lié à ses deux grands rivaux, Microsoft et Apple.
« Si le nouveau modèle d'entreprise d'OpenAI est valable, les investisseurs à but non lucratif obtiendraient les mêmes bénéfices que ceux qui investissent de manière conventionnelle dans des entreprises à but lucratif, tout en bénéficiant de déductions fiscales accordées par le gouvernement. »
La tension monte d’un cran à la rentrée 2024. OpenAI cherche 6,6G$, et tout le monde veut investir, notamment les deux historiques Thrive Capital et Tiger Global. OpenAI impose alors une condition : l’interdiction formelle de financer l’un des 5 concurrents28, qui permet d’avoir une cartographie du milieu :
Anthropic (backé par Google, Amazon)
xAI (Elon Musk)
Safe Superintelligence, SSI (cofondé par Ilya Sutskever, backé par SV Angel, DST, Sequoia et Andreessen Horowitz)
Perplexity (backé par Meta, qui fournit le LLM)
Glean (backé par DST, Softbank VF2, Sequoia, Lightspeed etc.)
Un peu étonnant puisque SoftBank ou Fidelity sont déjà dans plusieurs autres structures.
En tout cas, quelques semaines après, c’est xAI qui annonce finalement avoir boucler un tour à 6G$, comme pour répondre à OpenAI. Mais sur une valo de 50G$, bien loin des 157G$ de son meilleur ennemi. Parmi les investisseurs on retrouve Valor, Vy, Horowitz, Fidelity ou encore le prince saoudien Alwaleed Bin Talal. De quoi doubler la puissance de calcul de Colossus.
De quoi, également, renouveler l’alliance inattendue entre Musk et Zuckerberg, qui s'étaient pourtant défiés en cage l'été dernier, montrant à quel point la bataille de l'IA redessine les lignes de front dans la Silicon Valley.
La guerre monte encore d’un cran mi-novembre, quand Musk accuse directement OpenAI et Microsoft de collusion anticoncurrentielle pour dominer le développement de l'IA.
Il utilise comme argument l’interdiction par OpenAI de financer xAI. Plus personnellement, il accuse Altman de « népotisme effréné » dans ses relations avec d'autres sociétés et d'avoir orchestré une « fusion de facto » avec Microsoft. Une expression répétée sept fois dans la plainte.
La bataille qui dépasse désormais largement le cadre technologique pour devenir éminemment politique. Et… une nouvelle fois personnelle.
Retour encore vers le passé
Parce que, désolé je vais encore digresser, mais dans la plainte de Musk, sont cités OpenAI, évidemment, Microsoft, en tant qu’actionnaire et Reid Hoffman.
Ce milliardaire29 américain est co-fondateur d’Inflection IA, un agent conversationnel de type ChatGPT codeveloppé avec Nvidia, qui a levé 1,3G$ (valo 4G$) mi 202330 avant de rejoindre la division AI de Microsoft un an plus tard, dans une quasi-acquisition31. Derrière Inflection AI on retrouve Mustafa Suleyman et Karén Simonyan, qui ont cofondé DeepMind qu’ils ont quitté après le rachat par Google, et donc Hoffman. Ce passionné de sciences, qui siège au board de Zynga ou Mozilla32, démocrate et critique de Trump est surtout connu pour avoir cofondé LinkedIn en 2003. CEO jusqu’en 2007, il quitte finalement le board quelques années plus tard.
Mais l’histoire commence bien avant ça. Après être passé chez Apple pour travailler sur l’UX, Hoffman se fait un nom dans la tech en fondant un site de rencontre qu’il revend à son concurrent, Match. C’est comme ça qu’il arrive au board de Confinity, la société de Peter Thiel qu’il va finir par rejoindre, qui fusionne avec X pour donner PayPal etc. C’était long, mais on y arrive.
Hoffmann fait donc partie de ce qu’on appelle la Mafia PayPal, avec Thiel, mais également Max Levchin et David Sacks. La légende veut que les trois premiers aient voté le renvoi de Musk, mais pas le dernier. Né en Afrique du Sud comme Musk, conservateur comme Musk, Sacks fait lui aussi partie de l’administration Trump, en charge des cryptos comme on l’a vu avant. Comme Musk.
Selon plusieurs personnes, c’est Hoffmann qui serait à l’origine de la création d’Open AI. C’est lui qui met en contact Altman et Musk par l’intermédiaire du partner de YC, et qui contacte également Demis Hassabis, Mustafa Suleyman, Yann Le Cun ou encore Jeff Dean. C’est lui qui veut un projet « pour l’humanité ». Parce que pour lui, c’est avant tout un projet philanthropique. Définition qu’il explique longuement en 2017 dans The Atlantic33.
« Je pense que c'est une bonne chose d'avoir des personnes qui savent comment utiliser les capitaux et tirer parti de méthodes efficaces, dans un but social et philanthropique. Il faut juste faire attention à la politique et aux abus. »
Mais Hoffmann n’est pas stupide, et sait qu’il faut des fonds. Il serait à l’origine des premiers contacts avec Tiger Global, qu’il qualifie de « ultimate prophet maker », afin qu’ils entrent au capital dès le seed d’OpenAI.
De quoi faire entrer Hoffmann dans la liste des ennemis d’Elon Musk.
Money X
Dernière muskerie en date, le 10 février dernier. Et j’avoue que, à titre personnel ça a pas mal foutu le bordel, parce que j’écris cette newsletter depuis plusieurs semaines, et ces derniers jours ont été très chargés.
Musk annonce mettre 97,4G$ sur la table pour racheter l’association OpenAI. C’est son avocat, Marc Toberoff, qui fait le tour des rédactions pour défendre l’offre qu’il a lui-même envoyé.
« Il est temps qu'OpenAI redevienne la force de proposition open source et axée sur la sécurité qu'elle était autrefois. »
L’offre adressée par Marc Toberoff à Bret Taylor, Sam Altman, Adam D’Angelo, Sue Desmond-Hellman et Zico Kolter, le board d’OpenAI
L’annonce est un énorme coup de tonnerre, alors que la gouvernance d’OpenAI est toujours fragile et que la société est en train de lever 40G$ dans un tour leadé par Softbank sur une valo de 300G.
La réponse d’Altman ne sait pas faite attendre… sur X :
« Non merci, mais nous achèterons Twitter pour 9,74G$ si vous le souhaitez »
Oopsie.
Les plans de Musk sont clairs, sur le papier :
Empêcher OpenAI de devenir une société à profit ;
Rendre le projet OpenAI open source ;
Renforcer la sécurité sur projet.
En réalité, ça peut paraitre un peu étonnant. Certes, l’algo de X est open source, depuis le rachat, ce qui n’a en rien empêché qu’il soit largement manipulé, pour se mettre en avant, par exemple. Mais surtout, Musk n’a jamais créé de fondation, et n’a jamais voulu utiliser une structure non commerciale pour la moindre de ces entreprises, qu’il dit pourquoi avoir créé pour le bien de l’humanité. Si on peut comprendre que Tesla a des objectifs commerciaux, cela aurait très bien pu être le cas pour xAI ou X. Et puis, comme on l’a vu, il a toujours soutenu le passage d’OpenAI en société à bénéfice… ne serait que parce que ça lui aurait rapporté gros à lui aussi.
Evidemment, l’offre de Musk n’a rien d’anodine. Le message, c’est qu’il veut ramener OpenAI à ses racines : une organisation open source, centrée sur la sécurité, et affranchie des intérêts commerciaux de Microsoft. Mais il n’ignore évidemment rien de la phase critique (gouvernance + levée) et vient ajouter de l’huile sur un bûcher dont on se demande bien qui va finir dedans.
En annonçant publiquement 97,4G$, il fixe un prix plancher pour l’évaluation des actifs d’OpenAI et met une pression énorme sur Altman et ses investisseurs. Si SoftBank et les autres veulent finaliser leur deal, ils doivent désormais justifier une valeur qui tienne compte de l’offre de Musk – et potentiellement mettre plus d’argent sur la table.
En parallèle, ce coup de force crée un risque réglementaire supplémentaire. Avec une telle somme en jeu, toute conversion d’OpenAI en entreprise à but lucratif sera examinée de près, notamment par les autorités américaines (vaguement sous influence), qui pourraient juger l’opération trop avantageuse pour les dirigeants et les actionnaires d’OpenAI. Musk s’assure ainsi que la transition d’Altman vers une structure commerciale ne se fera pas sans vague.
Il est évident que l’offre de Musk n’est pas sérieuse. Et qu’il vise uniquement à emmerder Altman en lui faisant perdre du temps et possiblement de l’argent. Tout en espérant que ça aille dans le sens de xAI.
Mais ce qui reste intéressant, c’est la liste des investisseurs qui auraient backé l’offre à près de 100G$ (en cash comme elle le précise) qui ne sont pas des habitués du VC mais plutôt des proches de Musk :
Baron Capital : le fonds de Ron Baron est l’un des plus gros investisseurs historiques de Tesla et SpaceX. Son fonds Baron Partners détient des participations massives dans les deux entreprises.
Atreides Management : fondé par Gavin Baker, ce hedge fund a investi très tôt dans SpaceX et Tesla. Baker, ex-Fidelity, a même publiquement défendu le méga-package de rémunération de Musk chez Tesla.
Valor Equity Partners : Fondé par Antonio Gracias, ex-membre du board de Tesla et investisseur historique de SpaceX. Il a également soutenu SolarCity, l’ancienne société de panneaux solaires de Musk, avant qu’elle ne soit rachetée par Tesla.
Vy Capital : créé par Alexander Tamas, ce fonds a investi dans SpaceX, mais aussi dans The Boring Company et Neuralink. Une constante : chaque projet est une boîte de Musk.
8VC : le fonds de Joe Lonsdale, cofondateur de Palantir, qui investit quasi-systématiquement dans l’IA. Lonsdale est aussi un fervent supporter de Musk et ne cache pas son admiration pour lui.
Plus étonnant : la présence de Ari Emanuel, le tout-puissant CEO d’Endeavor, qui contrôle désormais une large partie d’Hollywood après avoir mis la main sur IMG, WME, ICM, et plusieurs agences artistiques de premier plan. Son empire ne s’arrête pas là : il détient ou gère les droits des plus grandes compétitions du monde (ATP, FIFA, JO, Moto GP, NBA, NFL, Nascar, Premier League, UFC, Miss Universe, Le Mans). Dans un Hollywood très démocrate, voir celui qui a fait pression sur les marques pour lâcher Kanye West et qui a soutenu Hillary Clinton se retrouver aux côtés de Musk a surpris. Ou pas.
Les signataires de l’offre
Note : Alors que j’avais fini cette newsletter depuis quelques heures, Musk a finalement annoncé avoir retiré son offre.
Chaud business
Parce qu’entre sa carrière dans l’immobilier et celle dans la politique, Trump a aussi été une star de télé, volet qu’on a assez peu vu en France. Entre 2004 et 2015 il apparait dans l’émission The Apprentice, sorte de real-TV business, où il devient célèbre avec sa fameuse expression You’re Fired!. A cette époque, Ari Emanuel (qui a inspiré le personne d’Ari Gold dans Entourage, pour les connaisseurs) devient alors l’agent, et l’ami de Trump. C’est également Ari Emanuel qui rachète les droits de Miss Universe et Miss USA à Trump quand NBC a rompu le contrat après qu’il ait éclairé que de nombreux immigrés mexicains « étaient des criminels et des violeurs ». Trump en a profité pour racheter les 51% restant dans Miss Universe Organization et à revenu le tout à WME/IMG pour une somme estimée à 100M$+.
Pour la petite histoire, c’est pendant The Apprentice que Trump a lancé sa campagne présidentielle en 2015, en se servant du programme pour faire du storytelling. Et c’est précisément cette bascule qui aurait inspiré Volodymyr Zelensky à produire Serviteur du peuple dans le but lui aussi de se présenter aux élections présentielles.
La même année, c’est un des éditeurs d’Endeavour qui va signer Hillbilly Elegy, un des cartons littéraires de 2016, écrit par un certain… JD Vance.
S’il a toujours dit ne pas être actif auprès de Trump, Axios a dévoilé dans son leak de documents 201934 qu’Emanuel avait été approché pour un poste dans l’administration et que le passé de son frère Rahm, alors maire démocrate de Chicago, avait été fouillé. Reste qu’une source au sein de Endeavour me confirme que c’est lui qui a présenté le commentateur de l’UFC Joe Rogan, et surtout le très puissant patron de l’UFC Dana White à Trump. C’est aussi lui qui l’a fait rentrer au board de Meta.
Cette même source m’explique que Musk et Emanuel se connaissent depuis 10 ans. A l’époque, l’entrepreneur est sur le point de divorcer pour la 3e fois. La 2e avec Talulah Riley. Mais le 2 mai 2016, quelques mois avant l’officialisation du divorce, alors que le couple ne vit plus ensemble, Elon Musk rencontre Amber Heard au Met Gala. Accompagné de sa mère, Musk aperçoit l’actrice assise à une table devant lui, qui porte une magnifique robe champagne de chez Ralph Lauren.
Mariée à Johnny Depp depuis quelques années l’actrice est venue seule. Musk apprendra le soir même qu’elle prépare, elle aussi, son divorce avec la star de Pirate des Caraïbes… mais qu’il ne le sait pas. C’est à cette époque qu’Heard commence à parler des violences qu’elle aurait subie de la part de Depp.
La situation explosive remonte rapidement aux oreilles d’Emanuel. A l’époque Heard est représentée par Christian Carino, qui s’occupe principalement de la musique au sein de CAA, une filiale du groupe, vendue depuis. Ami du couple, il représente également parfois Depp, sur sa partie musicale. En réalité, la carrière de Depp est gérée par Tracey Jacobs d’UTA depuis 1988 qui aurait négocié plus de 650M$ de contrat au total pour lui. Un rôle que convoite Carino qui va jouer un drôle de jeu pendant des années, mais bon, on n’est pas là pour parler de ça.
Toujours est-il qu’une fois la relation assumée, Johnny Depp en veut à mort à Elon Musk, la relation se finit avec fracas en 2018, Musk est cité à comparaître au procès Heard vs. Depp, mais grâce à l’intervention d’Ari Emanuel, il arrive à rester loin de tout ça.
Reste que les deux sont restés proches, jusqu’à partir en vacances ensemble35. Et depuis le rachat de Twitter par Musk, Emanuel a toujours poussé ses clients à utiliser la plateforme. Si l’information selon laquelle Emanuel a proposé a Musk de diriger Twitter pour 100M$ (il a un fixe autour de 20M$ / an, et perçoit plusieurs centaines de millions en actions chaque année chez Endeavour) a fuité36 c’était une boutade, mais le patron d’Endeavour aurait bien aimé joué un rôle de premier plan dans la plateforme sociale.
Vers l'avenir et au-delà
En réalité l’offre de Musk pour OpenAI n’a aucune chance d’aboutir [Note une minute avant l’envoi : le board vient d’annoncer son refus officiel]. Déjà parce que les VC devrait accepter de vendre à 100G$ ce qu’ils ont valorisé 250G$ y’a quelques mois, dans un marché en pleine exposition. Et surtout parce que, pour une fois, Musk a des ennemis bien plus robustes que lui sur le chemin, que sont Microsoft et Altman.
Selon un VC français qui investit à l’international, ça pourrait même s’avérer très nocif pour Musk. Parce que certes ça lui permet d’exister et de montrer au grand public qu’il en a, mais :
Son hyperactivité alors qu’il est censé être focus sur le DOGE ;
Sa dispersion alors que les actionnaires de Tesla sont de plus en plus mécontents ;
L’évident conflit d’intérêts d’un tel deal, et même d’une telle manœuvre ;
Son incapacité à fédérer d’autres financeurs que ses très proches ;
pourraient bien finir par l’affaiblir avec le temps. D’autant qu’en face de lui, les autres semblent se réunir.
Surtout qu’il n’a pas fini de ses faire des ennemis.
StarGate : la porte des étoiles
Le 21 janvier 2025 à Maison Blanche, Trump leve le voile sur le projet Stargate. Présenté comme "le plus grand projet d'infrastructure en intelligence artificielle de l'histoire", Stargate ambitionne d'investir jusqu'à 500G$ dans les infrastructures d'IA aux US au cours des quatre prochaines années.
A ses côtés Sam Altman, Larry Ellison et Masayoshi Son (et le fantôme d’Elon Musk qui rôde) annoncent les partenaires majeurs :
OpenAI 🇺🇸, en charge de l’opérationnel
SoftBank 🇯🇵, en charge des financements
Oracle 🇺🇸
MGX 🇦🇪 37
Si le dernier est moins connu, sa maison mère Mubadala est un des plus gros fonds de private equity au monde. Et parmi les principaux investisseurs de MGX, on retrouve BlackRock 🇺🇸… et Microsoft. Le fonds vise un AUM38 de 100G$ d’ici deux ans39.
Aux côtés des entreprises majeures, on retrouve également des partenaires technologiques :
Arm 🇬🇧
Microsoft 🇺🇸
Nvidia 🇺🇸
Et c’est Masa himself qui va présider le projet dont l’investissement initial est de 100G$, les 500G$ étant une projection sur quatre ans.
Cette somme colossale est destinée à la construction de datacenters de nouvelle génération et à la mise en place d'infrastructures énergétiques pour alimenter ces installations.
Le premier site phare est annoncé à Abilene, Texas. Sa construction est en réalité déjà en cours depuis juin 2023, menée par Crusoe et financée à hauteur de 3,4G$ par Blue Owl. Oracle y investit également 7G$ en puces, qui seront mises à disposition de Microsoft pour alimenter les besoins d’OpenAI.
Suivront ensuite une vingtaine de datacenters, chacun couvrant environ 500’000ft². Trump parle alors de centaines de milliers d’emplois et de réindustrialisation du pays.
Ellison parle d’un vaccin contre le cancer en 48H. Rien que ça.
Alors que revoilà la sous préfète
Si la promesse est immense, elle n’échappe pas aux critiques. Elon Musk, encore lui, a rapidement émis des doutes sur la solidité financière du projet, affirmant que SoftBank n’avait pas sécurisé les fonds annoncés. Selon lui, l’entreprise japonaise disposerait de moins de 10G$ en financement effectif. Sam Altman a immédiatement réfuté cette affirmation en l’invitant à venir visiter les installations déjà en construction.
Mais si Musk est à ce point remonté, c’est parce que Stargate est un projet… exclusivement OpenAI. Contrairement à ce qui avait été annoncé initialement, le projet est exclusivement destiné aux besoins d’OpenAI. Il ne bénéficiera d’aucun financement gouvernemental direct et ne vise pas à devenir un fournisseur d’infrastructure pour d’autres entreprises.
Les analystes, eux, restent prudents. SoftBank dispose d’environ 30G$ en capital, ce qui signifie qu’il lui faudrait lever 470G$ supplémentaires. Comparativement, Microsoft, l’une des plus grosses entreprises du monde avec une capitalisation de 3,3T$, n’a prévu que 80G$ d’investissements en IA cette année. Cette semaine, Softbank a d’ailleurs annoncé chercher à lever 50G$ en obligations, tendant à prouver que Musk avait plutôt raison : l’argent n’est pas encore là.
Quant aux experts et ingénieurs, eux soulèvent un autre défie : l’énergie. Nombreux sont ceux qui pointent du doigt le besoin crucial d'infrastructures énergétiques supplémentaires et nouvelles technologies de stockage. OpenAI explore ainsi différentes options, le solaire via SB Energy (filiale de SoftBank), le nucléaire avec les réacteurs modulaires d’Oklo ou la fusion avec Helion, deux entreprises où Sam Altman a directement investi.
Reste que l’annonce de Stargate, quelques jours après l’investiture de Trump, juste après avoir fait sauté les garde-fous réglementaires mis en place par Bien est un sacré signal.
Même si DeepSeek est venu entre temps secouter le cocotier. Et à la surprise générale… Emmanuel Macron également.
Cocorico
Tout juste 15 jours après, la France organise le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle à Paris. La veille de l’ouverture, Macron annonçait 109G€ d’investissements privés dans l’IA au cours des prochaines années, avec des financements venus notamment des Émirats Arabes Unis (50G€), du Canada (20G€ via Brookfield 🇨🇦), ainsi que de plusieurs acteurs européens et américains. Et une poche de 10G€ de Bpifrance 🇫🇷.
Les fonds seront majoritairement consacrés à la construction de datacenters, avec en tête de gondole le plus grand data center d’Europe financé par les EAU, et un autre projet à Cambrai porté par Brookfield 🇨🇦. Mistral AI 🇫🇷 investira plusieurs milliards d’euros dans un cluster dédié en Essonne.
En parallèle, la France mise sur un réseau de 35 sites « prêts à l’emploi » pour accueillir ces infrastructures. Ces terrains, qui totalisent environ 1’200 Ha, sont situés principalement dans en région :
Hauts-de-France (8 sites)
Grand Est et l'Île-de-France (7 sites chacun)
Auvergne-Rhône-Alpes (4 sites)
Centre-Val de Loire (3 sites)
Normandie et Provence-Alpes-Côte d'Azur (2 sites chacun)
Bourgogne-Franche-Comté et la Nouvelle-Aquitaine (1 site chacune)
Ces sites disposent d’un accès facilité aux réseaux électriques via EDF 🇫🇷 et RTE 🇫🇷, permettant un développement accéléré des infrastructures IA. RTE vient d’ailleurs d’annoncer cette semaine un colossal plan à 100G€ sur 15 ans pour rénover ses infrastructures.
Certes, plusieurs de ces annonces étaient déjà connues, et le chiffre de 109G€ agrègent pas mal de trucs différents. Mais à l’inverse de Stargate :
Les fonds sont effectivement sur la table ;
Le projet va profiter à toute la France ;
Si Mistral AI est évidemment au centre, il n’en est pas le seul bénéficiaire.
Bien que ces annonces témoignent d’une volonté de rivaliser avec les États-Unis, elles posent forcément aussi des questions sur la dépendance de la France à des investisseurs étrangers pour financer ses infrastructures stratégiques. À l’image de Mistral AI 🇫🇷 qui, s’il a été créé par trois Français et qu’on trouve au capital quelques angels, notamment les fondateurs d’Alan 🇫🇷 ou l’ancien ministre du numérique Cédric O, a des fonds majoritairement étrangers.
Le seed de juin 2023 (105M€, valo 240M€) a vu Lightspeed 🇺🇸 prendre 44% du capital, suivi par Xavier Niel 🇫🇷, Rodolphe Saadé 🇫🇷, JCDecaux Holding 🇫🇷, Motier Ventures 🇫🇷, La Famiglia 🇮🇹, Headline 🇩🇪, Exor Ventures 🇮🇹, Sofina 🇧🇪, First Minute Capital 🇬🇧, LocalGlobe 🇬🇧, Bpifrance 🇫🇷, Eric Schmidt 🇺🇸, General Catalyst 🇺🇸, Redpoint 🇺🇸, LocalGlobe 🇬🇧, Index Ventures 🇺🇸, Headline 🇺🇸.
Lors de la série A à 385M€ quelques mois plus tard (valo 1,9G€), les fondateurs deviennent alors minoritaires, passant sous les 45%. Lightspeed 🇺🇸 reste leader, rejoint par Andreessen Horowitz 🇺🇸. Suivent BNP Paribas 🇫🇷, CMA CGM 🇫🇷, Sofina 🇧🇪, Salesforce 🇺🇸, Motier Ventures 🇫🇷, La Famiglia 🇮🇹, General Catalyst 🇺🇸, Emmerson Collective 🇺🇸, Elad Gil 🇺🇸, Conviction VC 🇺🇸, Bpifrance 🇫🇷.
En 2024, Salesforce 🇺🇸, Nvidia 🇺🇸 et Microsoft 🇺🇸 entrent sous forme d’OC, toujours sur la même valo.
S’il n’est pas vraiment possible de connaître la part du capital en France (ou en Europe) vs. US, il semble évident que Mistral AI 🇫🇷 est de moins en moins une entreprise française. Reste que :
Ses dirigeants sont Français ;
Ses bureaux sont en France ;
Ses investissements sont en France.
C’est quand même pas si mal !
DOGE vs . SEC
Mais revenons une dernière fois aux US, sur le dernier giga problème de conflit d’intérêts. Parce qu’Elon Musk a toujours eu un problème avec les règles, surtout quand elles s’appliquent à lui. Et quand il a un problème, il ne cherche pas à négocier : il attaque. Son dernier terrain de jeu ? La SEC, pour laquelle il partage la détestation avec son ami Trump. Si, fondamentalement, on peut comprendre que des libéraux veulent déréguler, le fait qu’ils soient deviennent juges et parties pose fortement question, surtout que Musk a une longue histoire avec l’équivalent US de l’AMF.
2018 : "Funding secured", le tweet à 40M$ sur Tesla
Le 7 août 2018, Musk lâche une bombe sur Twitter : il affirme qu'il envisage de retirer Tesla de la Bourse à 420$ par action et que le financement est "sécurisé". L'effet est immédiat : l’action bondit de plus de 6 %, déclenchant une frénésie spéculative et mettant en difficulté les vendeurs à découvert.
Problème : aucun financement concret n’existe. Musk évoque un intérêt du fonds souverain saoudien, mais aucun accord n’a été signé, aucune discussion détaillée n’a eu lieu, et aucun mécanisme de financement n’est prévu.
Chez Tesla, c’est la panique. Le CA découvre l’annonce en même temps que le public, n’ayant jamais été consulté sur une telle opération. Aucune banque d’investissement n’a été engagée pour structurer un rachat, et les équipes internes doivent bricoler une communication de crise pour éviter un effondrement de la confiance des investisseurs.
Très vite, la SEC est submergée de requêtes, l’obligeant à ouvrir une enquête. Le régulateur accuse Musk de fraude boursière, estimant qu’il a manipulé le marché en diffusant des informations trompeuses. Elle exige que Musk soit banni de toute direction d’une entreprise cotée. Musk refuse d’abord toute négociation, persuadé d’avoir raison et dénonçant une persécution des autorités boursières.
Exemple de requête reçue par la SEC
Mais la pression monte : un procès risquerait de le forcer à quitter définitivement Tesla, ce que ses avocats jugent trop risqué. L’accord est signé en urgence un vendredi soir, après des jours de tractations tendues. Et les sanctions sont sévères :
40M$ d’amende : 20M$ pour Tesla, 20M$ pour Musk, qu’il doit payer de sa poche.
Démission de Musk du poste de président du conseil pour trois ans, même s’il conserve son rôle de CEO.
Mise en place d’un contrôle strict de ses tweets, censés être approuvés par un avocat avant toute publication liée à Tesla.
Mais cette sanction a des conséquences bien plus larges. Tesla risque de perdre son accès aux financements privés via la Regulation D, un dispositif qui lui permet d’émettre des titres sans enregistrement préalable. L’entreprise demande alors une exemption spéciale, arguant que cela pourrait freiner sa croissance et pénaliser ses actionnaires.
Dans sa défense, Tesla tente un coup de poker : elle affirme que Musk s'exprimait en tant que "potentiel acquéreur" et non en tant que PDG. En clair, la société cherche à se distancer de son propre dirigeant pour éviter des sanctions plus lourdes.
La SEC, elle, reste sceptique. Certains commissaires estiment que Tesla n’a pas mis en place des contrôles suffisants, et que Musk continue d’agir comme si les règles ne s’appliquaient pas à lui. En coulisses, des discussions internes montrent que plusieurs responsables de la SEC s’inquiètent de l’incapacité du régulateur à le contraindre.
Finalement, Tesla obtient son exemption, évitant une crise financière majeure.
En 2022, Musk est à nouveau poursuivi pour cette affaire, dans un procès qui met en lumière ses méthodes de management parfois brutales. Parmi les témoins appelés à la barre :
James Murdoch (News Corp), membre du CA de Tesla.
Larry Ellison (Oracle), again.
Le juge fédéral confirme que ses déclarations de 2018 étaient "imprudentes et inexactes".
Mais l’affaire auprès pu ébranler l’empire Musk bien plus largement. En raison de son rôle de dirigeant et d’actionnaire majoritaire, la mise en cause de la SEC a également impliqué SpaceX, Neuralink et The Boring Company, qui ont elles aussi failli perdre leur accès aux financements privés via la Regulation D.
SpaceX a été la première à réagir en demandant une exemption, arguant que Musk n’avait aucun rôle actif dans ses levées de fonds et que l’empêcher d’utiliser cette exemption pénaliserait son développement. L’entreprise a rappelé qu’elle avait levé plus de 2G$ en financements privés et qu’une exclusion l’obligerait à revoir entièrement sa stratégie de croissance.
Même problématique pour Neuralink et The Boring Company, qui ont dû défendre leur droit à utiliser la Regulation D malgré la condamnation de Musk. Leur ligne de défense ? Musk est certes actionnaire majoritaire, mais il n’exerce aucun rôle opérationnel direct dans la gestion financière. Les deux entreprises ont insisté sur leur indépendance et sur le fait que priver Musk d’exemptions ne devait pas les impacter. Curieusement, si chaque entreprise a ses propres avocats… les courriers argumentaires adressés à la SEC sont tous identiques, au mot près.
Finalement, après des mois de discussions, toutes les entreprises ont obtenu des exemptions. Mais l’affaire a mis en lumière un problème plus large : la concentration du pouvoir de Musk sur plusieurs sociétés clés et son impact potentiel sur tout un écosystème d’entreprises à chaque faux pas.
Et ça, les actionnaires de Tesla, entreprise cotée, l’ont bien compris.
2019-2020 : Des chiffres "au doigt mouillé"
L’épisode suivant a lieu en 2019. Musk annonce que Tesla produira 500’000 voitures cette année-là. En réalité, Tesla atteindra à peine 367’000 unités. Il annonce également des chiffres très étonnants sur la pose de panneaux solaires.
Plusieurs journalistes commencent alors à se pencher sur le sujet, et forcent la SEC à réagir. Encore.
La SEC demande à un juge de sanctionner Musk pour non-respect de l’accord de 2018. Après plusieurs mois de bras de fer, un nouvel accord est trouvé, précisant exactement les sujets sur lesquels Musk doit obtenir un aval avant de tweeter.
Mais en 2020, il recommence : il balance que le cours de Tesla est "trop haut". Résultat ? L’action plonge.
Le 21 février 2021, la commissionnaire Hester M. Preice, nommée à la SEC par Trump en 2018, partage un alerte reçue quelques heures auparavant, obligeant le régulateur a lancé une énième enquête. Les différents échanges montrent que les commissionnaires sont passablement énervés de l’impunité qui règne autour de Musk. D’autant que les plaintes s’accumulent accusant la SEC de laisser Musk "manipuler le marché à volonté via Twitter" sans réaction.
Une plainte est déposée, mais un juge bloque la procédure. Quelques mois plus tard, grâce à une demande Freedom of Information Act (FOIA), il est révélé que la SEC avait conclu que Musk avait violé son accord au moins deux fois :
En annonçant des chiffres de production de panneaux solaires ;
En évoquant encore une fois le prix de l’action Tesla.
And so what ?
Alors que revoilà (encore) la sous-préfète
Même après l’accord signé avec la SEC, Musk n’en a pas fini avec le régulateur. Il refuse toujours l’idée que ses tweets doivent être approuvés, et continue d’attaquer publiquement la SEC, allant jusqu’à la surnommer la "Shortseller Enrichment Commission".
En 2023, il saisit la Cour suprême des États-Unis pour contester l’accord qu’il avait signé avec la SEC. Il accuse l’agence de violer son droit à la liberté d’expression et affirme que l’exigence de validation préalable de ses tweets est une "condition inconstitutionnelle".
Ses arguments devant la Cour suprême sont que :
L’accord viole le Premier Amendement : Musk estime que la SEC n’a pas le droit de lui imposer une censure préalable sur ses communications.
Un précédent dangereux : il soutient que si la SEC peut restreindre son droit d’expression, elle pourrait imposer des limites similaires à d’autres dirigeants d’entreprise.
Un accord signé sous la contrainte : Musk argue que la menace de poursuites l’a forcé à accepter ces conditions sans réel consentement.
La Cour suprême n’a rejetera la requête en avril 202440.
Twitter : une prise de contrôle chaotique
Difficile de faire plus muskesque que le rachat de Twitter, mais on ne va pas refaire intégralement l’histoire qui pourrait faire l’objet d’une newsletter… (Et celle-ci est déjà bien assez longue)
En mars 2022, Musk commence à acheter des actions du réseau social, alors coté. Il dépasse rapidement les 5% du capital, mais omet de le signaler dans les délais légaux, retardant l’information de plusieurs semaines. Cette manœuvre lui permet d’accumuler encore plus de titres à bas prix avant que le marché ne réagisse à sa montée au capital. Qui fait immédiatement augmenter le cours.
La SEC, qui n’apprécie pas qu’on joue avec les règles de transparence boursière, ouvre une enquête. Faute d’obtenir des réponses, elle finit par déposer plainte contre Musk en octobre 2023 pour le forcer à témoigner.
Aujourd’hui encore, la SEC cherche à comprendre les conditions exactes de ce rachat, notamment ce qui a poussé Musk à tarder à déclarer son entrée au capital (enfin, elle feint de se poser la question, tout le monde aura compris).
L’affaire n’a pas encore été jugée.
Dogecoin : pump & dump
Si Musk aime un secteur autant que les fusées, c’est bien la crypto. Et s’il y a une crypto qu’il adore, c’est Dogecoin (DOGE).
Depuis 2019, il a multiplié les tweets et les références à ce jeton inspiré d’un mème, provoquant des envolées spectaculaires de son prix. En 2021, après une série de tweets, le DOGE s’envole de 1’500 % en un an.
Musk va encore plus loin :
Il annonce que Tesla acceptera le DOGE comme moyen de paiement.
Il remplace temporairement le logo de Twitter par la tête du chien Doge en avril 2023, déclenchant une nouvelle flambée du cours.
Il le mentionne dans Saturday Night Live, puis le qualifie d’"arnaque", provoquant un effondrement immédiat de son cours.
Le tout, alors que des wallets qui lui semblent liés ont des activités à ce moment là, j’en avais parlé ici.
Les investisseurs, furieux d’avoir perdu des milliards, l’accusent de pump & dump41. Ils réclament 258G$ en dommages et intérêts, estimant que Musk savait que la monnaie n’avait "pas de valeur intrinsèque" mais qu’il l’a tout de même promue auprès de ses millions de followers.
Le 29 août 2024, la justice américaine rejette leur plainte, jugeant que les déclarations de Musk étaient "aspirationnelles" plutôt que "factuelles", et que "aucun investisseur raisonnable ne pouvait s’y fier". La cour écarte également l’accusation de pump & dump, expliquant qu’il n’était pas possible de prouver une volonté délibérée de manipulation.
Quelques semaines après, il annonçait la création de son ministère, qui porte donc le nom… de DOGE. Ce qui fait fait une nouvelle fois bondir le cours (qui a bien diminué depuis).
Elon, vous êtes le maillon faible
Si Elon Musk est au cœur de la guerre de l’IA, c’est avant tout parce qu’il joue sur tous les tableaux en même temps – et souvent en contradiction avec lui-même. Défenseur acharné de la liberté d’expression, il a transformé X en un champ de bataille idéologique où la modération des contenus varie au gré de ses humeurs et des pressions politiques. Fervent opposant aux financements publics, il a pourtant bâti une partie de son empire sur des contrats d’État, que ce soit les 15G$ de la NASA pour SpaceX ou les 10G$ de crédits carbone pour Tesla.
Mais le paradoxe ultime réside peut-être dans sa nouvelle position au sein du gouvernement Trump. À la tête du DOGE, Musk n’a jamais été aussi proche du pouvoir, avec un accès privilégié aux finances publiques et aux décisions réglementaires. Un rôle clé qui lui permet d’influencer directement des secteurs où il a des intérêts colossaux :
Tesla 🇺🇸, dépendant des subventions et régulations sur les véhicules électriques.
SpaceX 🇺🇸, qui vit en grande partie grâce aux contrats de la NASA et du Pentagone.
Neuralink 🇺🇸, qui pourrait bénéficier d’un assouplissement des régulations pour accélérer les essais sur l’homme.
X 🇺🇸, qui pourrait bénéficier d’une dérégulation sur les moyens de paiements, pour lancer sa super app.
xAI 🇺🇸, dont l’avenir va largement dépendre du moov prochains d’OpenAI 🇺🇸.
Et c’est sans compter l’annonce de Trump de relancer la conquête spatiale, avec Mars en ligne de mire. Pour Musk, qui rêve de coloniser la planète rouge, cela signifie que SpaceX pourrait se retrouver en position de monopole absolu sur les prochaines missions d’exploration. Autrement dit, en quelques mois, il est passé du statut d’homme le plus riche du monde, à celui d’homme d’État officieux, capable d’orienter des budgets et des décisions stratégiques pour servir ses propres ambitions.
Et si ça tournait mal ?
Entre des régulateurs débordés qui pourraient devenir encore plus impuissants, des alliances mouvantes et un Musk imprévisible, le risque est gigantesque.
Parce que si en quelques mois, Nadella, Zuckerberg ou Bezos ont retourné leurs vestes pour se trumpiser, une mouvement inverse pourrait avoir lieu également. Mais surtout, au sein même des Républicains, Musk est devenu la personnalité qui divise le plus. Même plus que Trump lui-même.
Derrière tout ça, ce n’est pas juste une course à l’IA, c’est encore plus qu’une course à l’AGI : c’est possiblement une course vers une singularité technologique. Ceux qui en seront à l’origine :
Feront date dans l’Histoire de l’Humanité ;
Seront à la tête de la technologie la plus puissante jamais inventée.
Parce qu’on dit toujours que ce qui rule the world, c’est l’argent, la fame et le pouvoir (et le sexe aussi). Ces quatre là sont déjà riches et célèbres. Ce qui se joue ici, est au delà du pouvoir, et de la postérité.
Il est impossible de faire la moindre prédiction. En tout juste un mois, il s’est déjà passé tellement de choses. Rien que cette semaine j’ai du rajouté des dizaines d’infos, et compléter chaque jour. Comment imaginer où on en sera dans 4 ans, à la fin du mandat de Trump ?
Surtout avec un Musk, plus volatile qu’un shitcoin en plein bullrun.
Tout peut basculer en un tweet.
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Elon Musk, Walter Isaacson, Simon & Schuster, 2023
Note : ce livre est une biographie autorisée par Elon Musk, qu’il a relu, et qui peut donc comporter une part de storytelling destinée à assoir sa légende.
Terme japonais qualifiant les étrangers qui séjournent au Japon
How To Be Successful, Sam Altman, 25 janvier 2019
Ces emails sont issus de plusieurs leaks organisés par un cofondateur d’OpenAI, qui les transmet à qui veut bien les lire.
Sam Altman told Elon Musk is was worried Google Deepmind was…, Business Insider
AGI : Artificial general intelligence / Intelligence artificielle générale : machine autonome capable d’effectuer l'ensemble des tâches intellectuelles qu'un être humain peut effectuer.
Department of Government Efficiency
We got a DOGE staff list. From a McKinsey alum to a former Clarence Thomas clerk, here are the workers powering Elon Musk's cost-cutting squad., Jack Newsham, Katie Balevic, Lakshmi Varanasi, and Kenneth Niemeyer , Business Insider, 11 février 2025
Young Aides Emerge as Enforcers in Musk’s Broadside Against Government, Theodore Schleifer, Nicholas Nehamas, Kate Conger and Ryan Mac, The NY Times, 7 février 2025
General Services Administration
Chief Information Officer
Office of Personnel Management
Diversité et à l’inclusion
Consumer Financial Protection Bureau
Agence des États-Unis pour le développement international
Federal Emergency Management Agency
The Memo: Musk rivals Trump as most controversial figure on political stage, Niall Stanage, The Hille, 12 février 2025
Consumer Financial Protection Bureau
National Labor Relations Board
Conseil d'administration
Elon Musk savaged as SpaceX gets new $40m defense contract amid his cutting of federal spending, Mike Bedigan, Independant, 13 février 2025
Elon Musk says he is not interested in buying TikTok, Gursimrankaur Mehar, Reuters, 9 février 2025
Format original de Qui veut être mon associé ?
Pause Giant AI Experiments: An Open Letter, 22 mars 2023
OpenAI asks investors to avoid five AI startups including Sutskever's SSI, Anna Tong, Kenrick Cai and Krystal Hu, Reuters, 3 octobre 2024
Reid Hoffman, « athée mystique » et gourou de l’intelligence, Arnaud Leparmentier, Le Monde, 8 avril 2024
Inflection AI, The Year-Old Startup Behind Chatbot Pi, Raises $1.3 Billion, Alex Konrad, Forbes, 2023
The new Inflection: An important change to how we'll work, Inflection, 2024
A King of Connections Is Tech’s Go-To Guy, Evelyn M. Rusli, The New York Times, 5 novembre 2011
A Billionaire Defends Modern Philanthropy, Alana Semuels, The Atlantic, juin 2017
Leaked Trump vetting docs, Exclusive: Leaked Trump vetting docs, Jonathan Swan, Juliet Bartz , Alayna Treene, Orion Rummler, Axia, 23 juin 2019
Elon Musk spotted aboard yacht in Greece, Fox News, juillet 2022
Ari Emanuel Offered to Run Twitter for $100 Million, but Musk Rejected the ‘Insulting’ and ‘Insane’ Proposal, Book Claims, Todd Spangler, Variety, 15 septembre 2023
Fonds souverain d’Abou Dhabi dédié à l’IA, créé en 2024 par Mubadala.
Assets under management : les actifs sous gestion sont la valeur marchande totale des investissements gérés par une personne ou une entité pour le compte d'investisseurs.
Abu Dhabi Targets $100 Billion AUM for AI Investment Firm, Ben Bartenstein, Bloomberg, mars 2024
La Cour suprême rejette un recours d’Elon Musk concernant des tweets sur Tesla, AP/La Presse, avril 2024
Manipulation de marché qui consiste à faire artificiellement grimper un actif avant de le revendre au plus haut
Bravo pour le travail de recherche et merci.
@ Benjamin bravo pour la qualité de tes articles, je suis de plus en plus étonné du niveau de détails et d'informations que tu arrives à produire, c'est rare ! (unique ?) A quand un article sur la sortie de DeepSeek et l'évaporation de 1000 milliards de cap. en une journée ?