đ„ Bricks : la mort d'une proptech
AprĂšs 3 ans d'existence, Bricks va devenir une fintech. Retour sur un parcours chaotique et ses perspectives.
Bonjour Ă tous,
vous ĂȘtes dĂ©sormais 700 Ă me suivre (mĂȘme si en vrai tu es que 1 quand tu me lis), ce qui est plutĂŽt cool. Autre fun fact : cette newsletter (gratuite) a gĂ©nĂ©rĂ© prĂšs de 1â000⏠de revenus en 15 jours. Alors, câest pas un appel du pied pour que tu payes, mais bon tu peux le faire quand mĂȘme.
Il y a un peu plus dâun avant, je mâĂ©tais interrogĂ© sur une sĂ©rie de pratiques de Bricks. Le rĂ©gulateur, puis la plateforme ont validĂ© ces doutes par la suite, mais le 22 juillet 2022, je recevais une lettre de mise en demeure mâenjoignant de cesser ma âcampagne de dĂ©nigrement massiveâ.
Depuis il sâest passĂ© pas mal de choses :
Bricks a fait des efforts de transparence
LâAMF a clarifiĂ© sa position sur le modĂšle royalties / obligations
Des dizaines acteurs sont apparus (certains sont déjà repartis)
Et Bricks vient de changer son modĂšle.
Analyse de la fin dâun modĂšle, et de lâavĂšnement dâun nouveau.
đ°Back to basics
Bricks est une proptech nĂ©e fin 2020. Jâavais dĂ©couvert lâentreprise via son fondateur, CĂ©dric OâNeill, qui faisait (maladroitement) sa promo sur les groupes Facebook dâinvestisseurs immo. LâidĂ©e est simple :
Bricks achÚte un bien immo divisé en bricks (des parts)
Les Ă©pargnants achĂštent les bricks
Bricks exploite le bien, rembourse lâĂ©ventuel crĂ©dit, paye ses charges, paye sa gestion, puis reverse le reste aux Ă©pargnants
Rentabilité nette affichée : 7-12%.
En gros, câest une SCPI mono-bien qui paye mieux.
Je nâutilise pas le terme au hasard : collecter de lâargent via une entreprise, puis la confier Ă une sociĂ©tĂ© qui achĂšte et gĂšre, câest exactement ce que fait une SCPI. Sauf quâici câest BRICKS GESTION 1, une fonciĂšre, qui achĂšte, gĂšre et dĂ©tient. Alors quâen SCPI, le gĂ©rant gĂšre, et la SCPI dĂ©tient. Mais la SCPI appartient aux associĂ©s (Ă©pargnants) pas au gĂ©rant.
Ce sujet rĂ©glementaire mâavait un peu surpris, mais vu que la distribution Ă©tait sous forme de royalties, il nây avait pas de rĂ©glementation particuliĂšre, sauf sur la collecte (qui passait par Lemonway).
Jâavais trouvĂ© le sujet vraiment cool :
Accessible Ă partir de 10âŹ
Promesse de liquidité
TRI élevé
Jâavais achetĂ© 1 brick ou 2 et jâĂ©tais passĂ© Ă autre chose⊠avant dây revenir pour creuser.
đ€šDe Bricks et de broc
Sans refaire toute lâhistoire en dĂ©tail, jâavais pointĂ©, coup sur coup, 2 sujets trĂšs diffĂ©rents : sur la levĂ©e de fonds, puis sur sa communication sur les rendements, qui mâavaient valu deux campagnes de harcĂšlement âanonymeâ violent Ă chaque fois. Et un courrier de menace de leurs avocats. đ
Sur la levĂ©e (qualifiĂ©e dâ âopportunitĂ© dâune vieâ par Bricks) : je mâĂ©tonnais de lâabsence complĂšte dâencadrement, notamment de DIS (ou de prospectus, puisquâelle a rapidement dĂ©passĂ© 8MâŹ). LâAMF finira par me donner raison sur le fond(s), en limitant le vĂ©hicule communautaire Ă 8MâŹ. Bricks lĂšvera 13M⏠au lieu de 20MâŹ.
Sur les chiffres : jâavais Ă©tĂ© interpellĂ© sur les rendements affichĂ©s. AprĂšs de longues analyses, publiĂ©es chaque mois dans un tableau, il sâest avĂ©rĂ© que les chiffres affichĂ©s Ă©taient trĂšs surestimĂ©s. Cette fois, câest Bricks qui finira par me donner raison aprĂšs un live en guise de rĂ©ponse :
âPlus-value des Bricksâ devient âRentabilitĂ© cibleâ
âRevenus reversĂ©sâ devient âObjectifs de revenus reversĂ©sâ
Une page de frais est créée, etc.
âLa transparence opaque
Dans chaque prise de parole, CĂ©dric OâNeill, patron de la plateforme, vante sa volontĂ© de transparence. Le problĂšme : câest que ça ne se traduit pas souvent dans les faits.
Prenons la page de frais, aujourdâhui disparue : elle Ă©tait particuliĂšrement trompeuse.
Effectivement : pas de commâ de souscription. Mais Bricks prend 10% de la transaction, inclus dans le financement. Et sâils prennent bien 1% de la valeur du bien par an en gestion, ce nâest pas comparable avec les 7-18% des SCPI qui sont sur les loyers collectĂ©s.
Pendant plusieurs mois, jâai publiĂ© un suivi de tous les projets, avec leurs rendements rĂ©els. Bricks finira Ă©galement par reprendre le tableur âpar souci de transparenceâ. Si lâidĂ©e est bonne (je vais finir par leur envoyer mes factures de conseil) les chiffres utilisĂ©s sont lĂ encore trompeurs. Y compris dans le document encore mis Ă jour actuellement.
Quand jâexpliquais que les rendements Ă©taient en moyenne gonflĂ©s de 36%, Bricks rĂ©pondait que son objectif Ă©tait atteint Ă 83%. Un chiffre honorable⊠mais faux, pour 3 raisons.
Il sâagit de la moyenne du ratio âpromis/distribuĂ©â de chaque projet, et non du promis/distribuĂ© au global
Les 3 projets qui ont distribué 0 sont exclus du calcul
Le début du calcul commence parfois 6, 8 voire 12 mois aprÚs la collecte⊠le temps que les loyers tombent
De fait, le chiffre est artificiellement gonflĂ© : on arrive plutĂŽt Ă 75-78% de lâobjectif.
Exemple : le rendement de Port Bonfim est calculĂ© Ă partir de mai 2023, alors que la collecte a eu lieu de novembre, et lâachat en dĂ©cembre.
Les chiffres affichĂ©s, mĂȘme dans un souci de transparence, ne sont donc pas trĂšs honnĂȘtes.
Le rendement moyen réel est 3,5%, et non 5,02%
En mai dernier, ne comprenant pas pourquoi le prix des bricks ne baissait jamais, jâavais une nouvelle fois analysĂ© tous les biens.
Surprise : ils Ă©taient rĂ©Ă©valuĂ©s⊠en fonction de ce qui arrangeait Bricks ! Parfois, alors mĂȘme que des Ă©valuations publiĂ©es sur la plateforme donnaient des chiffres inverses.
Quelques jours aprÚs la publication, les erreurs ont été corrigées.
Ces accumulations sont-elles une sorte dâamateurisme liĂ©e Ă la jeunesse de lâentreprise comme lâexplique parfois CĂ©dric OâNeill, ou une vraie volontĂ© dâarranger les chiffres ?
Chacun se fera son avis. Mais une chose est sĂ»re : câest principalement dĂ» Ă la gestion catastrophique des biens. CĂ©dric OâNeill me le confesse Ă demi-mot.
âOn sâest attaquĂ©s Ă du rĂ©sidentiel sur des villes de taille moyenne, avec des locataires particuliers Ă gĂ©rer. Parfois tu as des compteurs communs, donc une gestion compliquĂ©e des charges, des impayĂ©s, des locataires qui expliquent que leur loyer est parti chez lâancien propriĂ©taire (mĂȘme quand câest faux). Câest beaucoup de difficultĂ©s.â
Mais ces problĂšmes sont amenĂ©s Ă disparaĂźtre. Parce que Bricks la proptech va muter. En cause : un coup de tonnerre de lâAMF fin 2022.
đ AMF : un parfum de sapin
Le 23 dĂ©cembre dernier, lâAMF balance sous le sapin de tout le monde 2 communiquĂ©s que personne nâattendait :
âLâAMF met en garde le public contre certaines plateformes proposant dâinvestir dans lâimmobilier sous forme de « royalties »â
âActivitĂ© des plateformes de partage de revenus futurs (royalties) : qualifications juridiques et rĂ©glementations applicablesâ
Dans le 1er, tout le monde comprend que Bricks est visĂ©. Le rĂ©gulateur met en garde les investisseurs âsouvent trĂšs jeune[s]â contre un âdiscours commercial, parfois trompeurâ. Le ton est donnĂ©.
Le 2e, plus technique, explique en gros que les plateformes de royalties doivent passer en modĂšle obligataire. Pour bien comprendre :
Royalties : jâachĂšte un truc avec ton argent, je le fais vivre, je garde de lâargent pour payer mes charges, je tâen reverse une partie.
Obligations : jâai besoin dâargent, tu me fais un prĂȘt, je te rembourse.
Les royalties ne sont pas considĂ©rĂ©es comme des titres financiers Ă lâinverse des obligations. Mais surtout, en cas de dĂ©faut sur une obligation, lâargent est dĂ» lĂ©galement. Pas en royalties.
Le débat sur la qualification juridique continue de passionner une flopée de gens (pour de vrai). Si certains espÚrent encore pouvoir garder des royalties, notamment pour les plus petites plateformes, les autres se conforment vers le statut européen : le PSFP (prestataire de services de financement participatif).
MĂȘme si on pourra finalement se demander si ce statut est adaptĂ© Ă ce que voulaient faire ces plateformes initialement.
Le rĂšglement que personne nâattendait
Bricks avait 3 options, que me rĂ©sume CĂ©dric OâNeill :
âGarder le modĂšle actuel en royalties et dĂ©fier lâAMF, ce que font certains.
Aller voir une sociĂ©tĂ© de gestion pour crĂ©er un FIA (note de moi : fonds d'investissement alternatif), une SCPI etc., mais on perdrait la notion dâindividualitĂ© du projet et lâaspect gamification.
Transformer la contrainte en opportunitĂ© : aller voir des porteurs de projets externes et devenir une alternative aux banques en peer-to-peer.â
Câest la 3e option qui est retenue : devenir une fintech. Câest renoncer Ă ce qui a fait Bricks, mais finalement Ă ce que lâentreprise nâa jamais su faire. Sans amertume, et avec luciditĂ©, CĂ©dric OâNeill me confie :
âCâĂ©tait sympa de financer nos propres projets, mais câest la mđ©rde Ă gĂ©rer, Ă administrer. Souvent ce sont des immeubles rentables sur le papier : mais sâils le sont câest quâil y a des difficultĂ©s au quotidien Ă gĂ©rer.â
There is no such thing as a free lunch.
Et quand on parle dâopportunitĂ©, lui en voit une autre : la scalabilitĂ©. Parce que pour gĂ©rer des biens il faut beaucoup de gens. Alors quâen Ă©mettant des obligations, câest celui qui emprunte qui gĂšre.
Mais obtenir lâagrĂ©ment nâest pas une mince affaire, parce quâil y a une subtilitĂ© dans lâesprit du PSFP. Ce que mâexplique un expert du sujet, fin technicien et lui mĂȘme co-fondateur dâune plateforme :
âEn rĂ©alitĂ©, ce que dit lâEMSA (note de moi : lâAMF europĂ©enne) câest quâelle nâa pas le temps de rĂ©guler tout le monde, surtout les petits projets. Le PSFP est une sorte de dĂ©lĂ©gation de compĂ©tence oĂč le prestataire va ĂȘtre le lien entre porteur de projets et investisseurs. Son rĂŽle est toujours de protĂ©ger les investisseurs.â
Dâailleurs le rĂšglement ne parle jamais dâimmo. Il parle de financement de PME, de startup etc. Mais pas dâimmo.
Pourtant, sur les 15 agrĂ©ments donnĂ©s, 12 sont des acteurs de lâimmobilier. Parmi les autres :
SoWeFund et Soul Invest, qui financent des startups
Enerfip, qui finance des projets énergétiques
Et câest sans compter les nombreuses autres plateformes (Bloks, Tantiem, Atoa, Katapult, Wincity, Brik et jâen passe) qui gravitent avec un modĂšle plus ou moins identique, dont une partie cherche Ă obtenir lâagrĂ©ment.
Mais au fait : comment ça marche ?
Mais quâest-ce que câest quâce biiinz ?
Câest assez simple : un porteur de projet (PDP) va voir une plateforme (le PSFP) pour financer un projet. Le PSFP analyse la fiabilitĂ© du truc, puis le met sur sa plateforme. Les investisseurs mettent de lâargent. Le tour est jouĂ©.
Dans le cas dâactifs indivisibles et illiquides, lâarticle 3.6 prĂ©voit la possibilitĂ© de crĂ©er un SVP (special vehicle purpose), en gros une entreprise dans laquelle on va ranger lâinvestissement. Câest devenu systĂ©matique.
Bricks explique trĂšs bien cette structure :
Ce qui a posĂ© problĂšme Ă Bricks, et Ă de nombreux autres acteurs, câest lâarticle 8 sur les conflits dâintĂ©rĂȘts : il est interdit de financer ses propres projets.
La raison nâest pas compliquĂ©e Ă comprendre : le rĂŽle du PSFP est dâanalyser les projets, pour ĂȘtre sĂ»r quâils soient viables et mettre son tampon âOKâ afin que les investisseurs y aillent. Sâil valide ses propres projets, alors il ne se rangera pas du cĂŽtĂ© des investisseurs.
Bricks a donc restructuré toute son activité.
Jusquâici Bricks SAS Ă©tait une holding avec des participations dans diffĂ©rentes activitĂ©s. Le groupe a donc crĂ©Ă© une vraie holding, descendu Bricks SAS dedans, afin quâelle soit sĆur, et non mĂšre des autres.
Ce qui a donc activĂ© les BSA Air de la fameuse levĂ©e, puisque le vĂ©hicule communautaire Ă©tait investisseur de la SAS. On a alors appris que Bricks Ă©tait valorisĂ© 115MâŹ. Soit deux fois son encours sous gestion (54MâŹ). Et donc une PV latente annoncĂ©e de 30%, qui fait sourire certains.
âBricks a fait une levĂ©e en pleine folie des VC, et annonce 30% de plus-value alors quâils nâont pas encaissĂ© un euro depuis 6 mois et que le marchĂ© fintech fait -60% sur la mĂȘme pĂ©riodeâ soupire un analyste financier, spĂ©cialisĂ© en M&A
Mais en plus de se restructurer, Bricks a du changer son modĂšle : jusquâici la boite cherchait des biens Ă acheter. Maintenant, elle doit trouver des porteurs de projet. Et câest ainsi que les 3 recrutements phares de Bricks ont dĂ» eux aussi ĂȘtre restructurĂ©s :
Sylvain Dumas, Chief of Real Estate Officer, recrutĂ© pour superviser lâ âAsset Management, le Property management et les opĂ©rations de dĂ©veloppement (travaux).â est devenu le Chief of Investiment and Loan ;
Benoit Jamin, Chief of Property Development en charge âde la stratĂ©gie de recherche et d'acquisition des biens immobiliersâ quitte lâentreprise en fĂ©vrier ;
InĂšs Dias, Country Manager Portugal en charge de âdĂ©velopper le marchĂ© portugaisâ semble la seule Ă ne pas changer de poste.
Et ça tombe bien : le 1er projet ânouvelle versionâ est Ă Lisbonne !
đ”đč Road to Lisbonne
18 juillet. Bricks collecte 406â670⏠à 7% via 2â100 investisseurs en 48H.
Certains (dont moi) en doutaient : mais la machine nâest pas morte !
Bricks a largement communiquĂ© sur son nouveau modĂšle obligataire. Ă raison, parce que lâentreprise est restĂ©e 7 mois sans collecter. Sur la page de lâinvestissement, pour expliquer ce que sont ces 7% de revenus reversĂ©s, Bricks Ă©crit :
Taux annuel correspondant aux revenus versĂ©s [âŠ]. Les revenus sont fixes et ne peuvent Ă©voluer dans le temps. L'investisseur ne supporte pas les risques liĂ©s Ă l'actif immobilier (impayĂ©s, vacances, taxes, etc).
Et lĂ , on retrouve les anciennes habitudes de Bricks.
Un risque pas trĂšs clair
Parce que tous les documents rĂ©glementaires disent lâinverse, Ă commencer par le FICI :
âInvestir dans le prĂ©sent projet de financement participatif comporte des risques, y compris le risque de perte totale ou partielle du capital investiâ
La note de lâopĂ©ration y consacre carrĂ©ment 2 pages. Il est clairement indiquĂ© que la performance de lâinvestissement peut varier et quâil y a un risque de dĂ©faut de paiement et de dĂ©faut de loyer.
Dans un live en juillet 2023, CĂ©dric OâNeill martĂšle :
âQuoi quâil se passe, la sociĂ©tĂ© va vous reverser ces 6% (note de moi : câĂ©tait le rendement annoncĂ© Ă lâĂ©poque) Ă lâannĂ©e, que les loyers soient collectĂ©s ou pasâ
Lors de notre conversation, le CEO prĂȘche la naĂŻvetĂ©. Effectivement, câest le PDP qui supporte le risque dâimpayĂ© s, tandis que lâinvestisseur supporte le risque de dĂ©faut du PDP. Subtile. Mais il indique que suite Ă notre discussion, la mention a Ă©tĂ© supprimĂ©e.
Une garantie pas trĂšs fiable
Le bien est achetĂ© par le PDP pour 310â000âŹ. Auxquels sâajoutent les frais classiques dâacquisition, et la commission de Bricks de 36â970âŹ, payĂ©e par le PDP. La totalitĂ© de cette somme est demandĂ©e, câest-Ă -dire que le PDP ne met pas un seul euro dans lâopĂ©ration.
CĂ©dric OâNeill mâexplique vouloir se positionner comme une alternative aux banques.
âOn va permettre aux boulangers de financer leurs murs dâexploitationâ
Mais sâil y a une chose que savent faire les banques : câest prendre une garantie. Si elles demandent un apport, câest parce que si elles prĂȘtent les frais dâacquisition, en cas de dĂ©faillance rapide, la vente du bien au prix dâachat ne permettrait pas de se rembourser.
Pour toute garantie, Bricks a acceptĂ© une promesse dâaffectation hypothĂ©caire. Câest une opĂ©ration lĂ©gale, mais assez rare. Cela veut dire que lâhypothĂšque nâest pas inscrite chez un notaire. La quasi-totalitĂ© des banques refuse ce systĂšme parce quâil est moins protecteur. En gros câest âpromis jurĂ©â.
Pour CĂ©dric OâNeill câest une question purement budgĂ©taire : çâaurait coĂ»tĂ© 1% du prix Ă lâentrĂ©e et pareil Ă la sortie. Un argument un peu limitĂ©, alors que câest le PDP qui aurait dĂ» sâacquitter de cette garantie. Et non les financeurs. Mais le patron se veut rassurant en expliquant quâil est co-gĂ©rant du SPV (avec InĂšs Dias), ce qui ne sera sans doute pas le cas pour les prochains projets.
Sur la fiche de lâinvestissement du site de Bricks, InĂšs Dias explique longuement la stratĂ©gie du PDP. Elle note pour seul point de vigilance le fait quâil cible des Ă©tudiants : donc un risque de rotation Ă©levĂ©e.
Pourtant, il me semble quâil existe un point de vigilance autrement plus important:
Le PDP est une SASU au capital de 100âŹ, ARIYA Portugal PDP, crĂ©Ă©e le 19 juin 2023
Son actionnaire est ARIYA CONSULTING, Ă©galement une SASU au capital social de 100âŹ, crĂ©Ă©e le 25 fĂ©vrier 2023.
En gros, en cas de problĂšme : yâa plus quâĂ serrer les fesses. đ¶
InterrogĂ©s, sans leur avoir donnĂ© lâidentitĂ© de la plateforme, 2 acteurs du crowdfunding immobilier et 1 banquier mâont clairement dit quâils nâauraient jamais financĂ© un projet avec ce montage.
âChez nous câest 2 bilans minimumâ mâassure le patron dâune plateforme majeure
Et ça, câĂ©tait sans leur donner les chiffres. Parce que si la structuration semble fragile⊠le business plan a carrĂ©ment la maladie des os de verre.
Un business plan osé
La documentation commerciale donne une estimation de 39â000⏠de loyers annuels, 27â824⏠aprĂšs charges. Soit 6,84% net.
Et lĂ , les plus malins voient le truc venir : il faut autour de 10% de rendement pour ĂȘtre Ă lâĂ©quilibre sur un achat sans apport, avec un crĂ©dit sur 20 ans.
Or, on est sur 10 ans.
Lâastuce se trouve dans le prĂȘt : il sâagit dâune obligation in fine.
Bien quâaucun Ă©chĂ©ancier ne soit donnĂ©, il est facile de le calculer :
119 mensualitĂ©s de 2â372âŹ
Puis une 120e 406â670âŹ
Soit un coĂ»t de crĂ©dit de 284KâŹ, contre 160K⏠pour un prĂȘt classique. Mais qui aurait eu une mensualitĂ© de 4â720⏠environ.
Le projet entier se base donc sur le fait que
Le bien crache 2â318⏠par mois
Pour payer 2â372⏠de mensualitĂ©
Dans une sociĂ©tĂ© qui nâa aucun fond propre.
De quoi douter que les projets soient âsuffisamment sĂ©curisĂ©s pour que le dĂ©faut de paiement nâarrive pasâ comme le promettait CĂ©dric OâNeill. Pour mesurer ce risque, le CEO mâexplique âprendre en compte 3 Ă©lĂ©mentsâ :
â La LTV (note de moi : Loan To Value) : est-ce que le porteur sera en capacitĂ© de rembourser Ă la fin du projet ? Ici lâappartement est dĂ©cotĂ© par rapport au marchĂ© ; (note de moi : il faudra une plus-value de 34%)
Le cashflow : si le locataire ne paye pas, comment on peut sécuriser ? On a pris en compte les cashflows qui entrent dans la holding, environ 15K⏠/ mois ;
Et une garantie sur le bien.â
On imagine donc que Bricks a toute confiance dans le PDP. Dâautant que la holding a crĂ©Ă© Ariya Bureaux PDP le 13 juin et Ariya Commerces PDP le 5 juillet. Donc on pourrait bien ĂȘtre amenĂ©s Ă le revoirâŠ
NOTE : le temps que jâĂ©crive cette newsletter, un 2e bien est arrivĂ© sur la plateforme.
- Le mĂȘme PDP
- 789,8K⏠sans apport à 7%, soit 4607⏠/ mois
- 48,9K⏠de revenus nets / an, soit 4078⏠/ mois
Donc plus de 500⏠à trouver chaque mois.
- Le mĂȘme PDP
- 789,8K⏠sans apport à 7%, soit 4607⏠/ mois
- 48,9K⏠de revenus nets / an, soit 4078⏠/ mois
Donc plus de 500⏠à trouver chaque mois.
Un conflit dâintĂ©rĂȘts plus ou moins maĂźtrisĂ©
En rĂ©alitĂ©, derriĂšre la holding Ariya, il y a Eymeric OâNeill. FrĂšre de CĂ©dric OâNeill, et membre du conseil de surveillance de CommunautĂ© Bricks 1 SCA, actionnaire de Bricks.
Le sujet nâest pas cachĂ©. Dans son live, CĂ©dric OâNeill le dit clairement expliquant quâil est âexterne Ă la sociĂ©tĂ© Bricksâ et quâil nâest âni actionnaire, ni employĂ©â. Câest Ă©galement rappelĂ© dans la documentation.
Un trĂšs proche de la Commission europĂ©enne, travaillant sur le rapport dâapplication du rĂšglement qui sera publiĂ© Ă la rentrĂ©e, analyse ce mĂ©lange :
âDâun point de vue strictement rĂ©glementaire, nous ne sommes pas dans le cadre de lâarticle 8.2 (note de moi : qui parle des conflits dâintĂ©rĂȘts non autorisĂ©s) sauf Ă ce que le porteur du projet soit actionnaire Ă plus de 20%. Du point de vue de lâesprit du texte, câest autre chose : ce cas nâavait pas Ă©tĂ© prĂ©vu, on mais le voit dans plusieurs montages.â
LâAMF, qui mâa rĂ©pondu ne pas âcommente[r] les dossiers en particulierâ a spĂ©cifiquement validĂ© ce montage. Mais a retoquĂ© celui dâune autre plateforme, oĂč lâun des associĂ©s quitterait lâentreprise pour devenir PDP.
âMon frĂšre avait dĂ©jĂ ces projets-lĂ , câĂ©tait lâoccasion de dĂ©buter. Mais câest une goutte dâeau. Notre objectif câest de travailler avec des gens qui ont des bureaux, des magasins, des complexes. Et quoiquâil arrive, nous sommes capĂ©s Ă 5M⏠par porteur sur 12 mois glissants.â
Selon CĂ©dric OâNeill, il nây a pas eu de procĂ©dure spĂ©cifique pour gĂ©rer ce conflit dâintĂ©rĂȘts : âon a suivi la procĂ©dure dâun investisseur classiqueâ.
On peut nĂ©anmoins sâĂ©tonner que les 2 premiers projets financĂ©s par Bricks soient au Portugal, comme 6 de ses 18 derniers projets âanciens modĂšlesâ. LĂ oĂč InĂšs Dias, recrutĂ©e pour ça, est basĂ©e.
Le 2 aoĂ»t, Bricks a crĂ©Ă© son 3e SPV destinĂ© Ă un projet portugais, qui nâa pas encore Ă©tĂ© annoncĂ©.
đ€ŻUne laborieuse mutation en fintech
En 2 ans, Bricks aura crĂ©Ă© un marchĂ© qui nâexistait pas. Le dĂ©bouclage de ses projets royalties pourrait ĂȘtre un problĂšme. Ă aujourdâhui une partie des biens seraient en moins-value, mais CĂ©dric OâNeill se veut rassurant et explique que Bricks les portera 'âquelques annĂ©esâ, le temps de les liquider (lâAMF laisse les contrats aller Ă leur terme). Sans doute au prix dâune gestion laborieuse et de rendements instables.
Mais Bricks aura eu le mĂ©rite de poser les questions sur la qualification juridique de ces investissements, et sur le modĂšle global de lâimmobilier fractionnĂ©. MĂȘme si finalement, câest surtout le marchĂ© qui est fractionnĂ© entre :
Ceux qui financent la promotion immobiliĂšre (WeShareBonds, ClubFunding, The Clique, Tokimmo, Fundr etc.), dont certains ont des taux de dĂ©fauts qui explosent (jâen parlais ici et ici) ;
Ceux qui financent lâacquisition de murs quâils exploitent en baux commerciaux (Tantiem, Bloks etc.) ;
Ceux qui font pareil pour du résidentiel (Atoa, Real-T, Meute Invest etc.)
Ceux qui font du prĂȘt peer-to-peer (vers quoi tend Bricks), mais pas uniquement immo (Pretup, October etc.) ;
Et les sacro-saints FIA type OCPI, SCPI et autres fonds réglementés.
Mais il sâagit ici uniquement de ce qui est financĂ©. Parce quâen rĂ©alitĂ©, les modes de financement sont trĂšs diffĂ©rents :
Real-T tokenise des parts de
SARLSA qui dĂ©tiennent les biens ;Atoa lâadapte en France via une fiducie ;
La bande des PSFP distribue des obligations ;
Et quelques gaulois réfractaires restent sur le royalties ;
Tandis que dâautres nâont toujours pas de statutâŠ
EDIT 15/08 : depuis 2 ans, RealT ne tokenise plus de SARL (LLC) mais des SA (C-Corps ou Inc., ce qui a son importance réglementaire.
Le tout pour une petite collecte de 1,6mds⏠pour lâimmobilier en 20221 (vs 10,2mds⏠pour les SCPI).
Lâesprit du rĂšglement europĂ©en, qui Ă©tait de simplifier et unifier, est loin. Mais surtout en discutant avec des Ă©pargnants et en lisant quelques avis, il semble Ă©vident que lâimmense majoritĂ© ne comprend pas la diffĂ©rence. Peut-on leur en vouloir ?
Comment expliquer quâune opĂ©ration de marchand de biens en plein hausse des taux est risquĂ©e ? Comment lui expliquer que le paiement de son obligation repose sur un bĂ©nĂ©fice de quelques euros ?
LâAMF avait dĂ©jĂ soulevĂ© ce point en 2010 en soulignant âlâasymĂ©trie dâinformation qui existe entre les investisseurs non professionnels et les producteurs ou distributeursâ. Depuis, les OPCVM et FIA (dont les SCPI) sont considĂ©rĂ©s comme complexes. Ce nâest pas le cas des obligations.
CâĂ©tait prĂ©cisĂ©ment le rĂŽle de ces plateformes PSFP, que de servir dâintermĂ©diaires et dâanalystes impartiaux. Mais une bonne partie de ces projets se sont crĂ©Ă©s avec lâ âesprit Bricksâ, câest-Ă -dire lâachats de biens choisis par les dirigeants. Et non par des externes.
Fallait-il vraiment les amener vers un modĂšle quâils doivent tordre ? Peut-on leur en vouloir de contourner les limites dâun systĂšme qui nâest pas lâesprit de leur projet ?
Nous ne sommes quâau dĂ©but de lâaventure. Le temps fera disparaĂźtre les plus fragiles. Le retournement de marchĂ© va faire trembler les mieux installĂ©s. Et si par malheur des Ă©pargnants venaient Ă se plaindre, lâESMA et lâAMF pourraient rappeler quâils avaient communiquĂ© et mis en place des rĂ©glementations.
Mais personne nâest dupe. Ceux qui disent vouloir protĂ©ger les Ă©pargnants, ne protĂšgent en gĂ©nĂ©ral quâeux-mĂȘmes.
Je mâappelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et crĂ©ation de contenus pour des entreprises de la finance, de lâimmobilier et du web3.
đ Me contacter, ou rĂ©pondre Ă ce post : benj@mincharl.es
đ Prendre RDV en visio pour prĂ©senter un projet ou un service (150⏠le call)
BaromÚtre 2022 du crowdfunding en France - Focus immobilier, Mazars, février 2023
Bravo pour cet article avec un bel effort de recherche !
La valorisation de Bricks lors de l'apport est trÚs exagérée ( elle utilise un taux d'actualisation de 29% ), peut-on la contester ? ( je sais que le fisc peut le faire ).