Bonjour,
Cette semaine, pas enquête sur un produit financier ou une startup douteuse, mais un récit. J’en l’avais déjà fait sur les Hermès en septembre, et l’année dernière sur les Courtois ou l’histoire du 1er délit d’initié (et du Titanic).
Aujourd’hui je me suis plongé dans l’histoire des Lagardère, père et fils, dont le nom est intimement lié à leur entreprise, au point qu’Arnaud est aujourd’hui accusé d’avoir un peu trop cru que les fonds de la boîte lui appartenait.
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My name is Luc. Jean-Luc.
18 mars 1961. Un an après le rapt d’Éric Peugeot, son père annonce se porter partie civile dans le procès de ses ravisseurs. En avril de l’année passée, le petit-fils du fondateur du groupe automobile, âgé de 4 ans, avait été enlevé par Pierre Larcher. Quelques jours avant, un grand hebdomadaire lui avait laissé la parole pour expliquer son geste.
À quelques kilomètres de là , Corinne Le Vasseur de Cognée donne naissance à son premier enfant : Arnaud. Née à Boulogne en janvier 1939, Corinne est issue de la bourgeoisie parisienne, mais a coupé son nom pour s’appeler Le Vasseur. Elle est la sœur par alliance de Colette Rousselot, femme du politicien Jacques Duhamel, remariée après sa mort avec Claude Gallimard, fils de Gaston, qui a donné naissance à la fratrie médiatique des Duhamel : Jérôme (marié avec une Servan-Schreiber), Olivier (constitutionnaliste médiatique, marié avec une descendante de Murat, puis la romancière Évelyne Pisier, et donc beau-père de Camille Kouchner), Stéphane (ex-patron de RTL et La Provence) et Gilles (qui a fait carrière en cabinet ministériel, dont celui de Bernard Kouchner). Colette est éditrice aux Éditions de la Table ronde, qu’elle dirige avec sa sœur (et donc sœur par alliance de Corinne), Nadine Bolloré. L’entreprise leur a été léguée par leur beau-père, lui-même descendant direct d’Henri Plon, créateur des éditions du même nom. Et si Nadine porte le nom de Bolloré, c’est parce qu’elle est la seconde femme de Gwenn-Aël Bolloré, ex-PDG des Éditions de la Table Ronde et vice-président de Bolloré, fondé par son frère Michel, lui-même père de Vincent.
Alors oui, c’est un peu long, et l’arbre généalogique ressemble à un buisson, mais ça permet de situer un peu la suite.
Le papa du petit Arnaud s’appelle Jean-Luc. Né en 1928, il est le fils d’un ingénieur fonctionnaire, André (et de Marthe Fourcade dont on ne sait pas grand chose). Nommé à la direction de de l’ONERA1, André amènerait sa famille à Paris en 1940.2 Ce programme, qui existe toujours, est destiné à relancer les recherches aérospatiales de la France. Peut-être que c’est ça qui pousse Jean-Luc à préparer Navale et Supélec, avant d’intégrer finalement la seconde, pour ensuite rejoindre, en 1952, Dassault Aviation.
10 ans plus tard, Jean-Luc est approché par Marcel Chassagny, alors patron de Matra, qui cherche un secrétaire général. Jean-Luc accepte et se fait un nom.
Jean-Luc Lagardère.
Comme un arbre dans la ville
L’année suivante, Jean-Luc est nommé directeur général de Matra. Il diversifie massivement le groupe militaire et spatial en y intégrant l’informatique, les automatismes, les télécoms, etc. En 1977, il devient PDG et multiplie les acquisitions, avec des réussites… et quelques échecs.
Arnaud, lui, est au prestigieux lycée Janson-de-Sailly dans le XVIe, un établissement qui a entendu les voix de professeurs comme Stéphane Mallarmé, Maurice Clavel ou Alphonse Aulard. Et qui a vu, pêle-mêle, sur ses bancs les culs de Max Decugis, Pierre Brossolette, Honoré d’Estienne d’Orves, les frères Servan-Schreiber, Claude Perdiel, Léon Zitrone, Roland Garros, Jean Gabin, Jean Marais ou Sacha Guitry, pour les plus anciens. Plus récemment, Serge Dassault (et son fils), Robert Badinter, les frères Debré, Élisabeth Borne, Claude Miller, Marc-Olivier Fogiel, Laurent Fabius, Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Jospin, Édouard Philippe, Ernest Antoine Seillière, Vincent Bolloré, Jacques Attali, Philippe Bouvard, Arno Klarsfeld, Michel Polac, Carla Bruni, Richard Berry, François-Marie Banier ou encore Frédéric Mitterrand. (Ouf !)
Quand Arnaud commence ses études, c’est son tonton (à Frédéric, pas à Arnaud) qui arrive à l’Élysée. Matra fait partie des nombreuses nationalisations, mais Jean-Luc arrive à sauver sa casquette. Chirac est nommé Premier ministre en 1986, il milite activement pour un retour au privé.
Entre-temps, Jean-Luc cofonde la banque d’investissement Arjil et Associés, conçue pour financer MMB, l’ancêtre du futur groupe Lagardère. MMB devient actionnaire de référence d’Hachette et commence à lever des fonds pour racheter… Matra. Jean-Luc s’associe alors avec Daimler-Benz (future Mercedes), GEC (future General Electric) et la famille Wallenberg, les magnats suédois propriétaires de Electrolux, Scania, Ericsson et plusieurs banques. Ensemble, ils acquièrent 22 % du capital de Matra.
À la même époque, Jean-Luc fait également entrer Arnaud au conseil d’administration de MMB, pour le préparer progressivement. Pas forcément un génie des études, Arnaud décroche tout de même une maîtrise en économie appliquée et un DEA de politique générale à Dauphine.
La privatisation de Matra est prévue pour 1987… mais le krach de Wall Street (le vrai, pas le film d’Oliver Stone) oblige à reporter l’opération. Finalement, elle se conclut à un prix plus bas, très favorable aux plans de Lagardère.
En 1989, Arnaud est nommé directeur général de MMB. C’est le véritable coup d’envoi de sa carrière au sein de l’empire familial.
To the moon
En 1992, Jean-Luc poursuit son ascension avec Matra. Un gros contrat est sur le point d’être décroché : 60 Mirage 2000 armés de missiles MICA pour Taïwan. Le marché est réparti entre 4 entreprises françaises :
Dassault Aviation ;
Thomson-CSF (futur Thalès) ;
Snecma (futur Safran) ;
et Matra, pour les missiles.
En parallèle, Jean-Luc travaille sur un autre dossier d’envergure : fusionner Matra et Hachette. Mais Alain Gomez, patron de Thomson-CSF, a une idée machiavélique : grignoter des parts dans le contrat… pour faire chier Lagardère.
Pendant près de cinq ans, il mandate William Lee, un avocat américain d’origine chinoise, pour déstabiliser Matra. Comment ? En incitant des actionnaires à contester Jean-Luc et en orchestrant des opérations contre lui. Et comme si ça ne suffisait pas, un autre gros contrat, cette fois pour des frégates, est aussi dans la balance.
En mars 1992 devant un parterre de journalistes, Jean-Luc Lagardère déclare :
« Je viens d’essuyer le plus sérieux revers de ma carrière… »
Pour comprendre ce bordel, il faut remonter un petit en arrière.
Après le lancement de Canal+ en 1984, Mitterrand annonce deux nouvelles chaînes : TV6 et La Cinq. La première, portée par Europe 1 Communication (le futur Lagardère News), Publicis, NRJ et Gaumont, ne dure qu’un an. La seconde est lancée par Jérôme Seydoux (Chargeurs, et futur Pathé) et Silvio Berlusconi, via Fininvest. En 1986, Chirac redistribue les cartes : TV6 est abandonnée, et Seydoux cède sa place à Robert Hersant, magnat de la presse régionale (et propriétaire du Figaro).
À ce moment-là , Jean-Luc rêve de prendre le contrôle de TF1, en cours de privatisation. Mais c’est Bouygues qui rafle la mise. Dépité, il se tourne alors vers La Cinq en 1990, via Hachette. C’est pile au moment où Hersant s’embrouille avec Berlusconi et où les actionnaires font leurs comptes. Résultat : des dettes abyssales et des caisses vides.
Une augmentation de capital est organisée. Jean-Luc en profite pour grimper à 25 % du capital, tandis qu’Hersant chute à 10 %.
Sur fond de Guerre du Golfe et de journaux sensationnalistes, La Cinq explose les records d’audience… mais pas les recettes. Plutôt que de redresser la barre, Hachette dépense sans compter, embauche à tour de bras et produit des programmes de plus en plus chers. À cela s’ajoute une boulimie d’achats de séries (dont l’excellent Twin Peaks, la meilleure série jamais écrite3… mais ce n’est pas le sujet).
En un an, Hachette perd 1,1G Frs, soit 3,5G Frs depuis le lancement. Fin 1991, Yves Sabouret, bras droit de Jean-Luc, annonce aux salariés la fin de l’aventure. Le soir même, les spectateurs apprennent la nouvelle à l’écran.
Fin ?
Pas tout à fait. Début 1992, quelques personnalités tentent de relancer La Cinq, mais sans succès. C’est dans ce contexte qu’arrive Arte.
Mais en mai 1992, Jean-Luc doit reconnaître son échec. Si La Cinq sombre, c’est aussi à cause de Thomson-CSF et de son allié Lee, qui ont manœuvré pour monter les actionnaires contre lui. La facture finale atteint entre 6 et 7G Frs.
Au bord du gouffre, Hachette et Matra fusionnent. Ainsi naît le groupe qui portera le nom de…
Lagardère.
Qui c’est qui commande ici ?
À ce moment précis, Jean-Luc prend deux décisions stratégiques majeures :
Ce ne sera pas une fusion classique. Hachette absorbera Matra, permettant d’amortir les immenses pertes et de bénéficier d’une réduction d’impôts pendant des années.
Le groupe portera un nom particulier : Lagardère SCA.
Le premier point est assez simple à comprendre. Quant au second, il suffit de savoir que SCA signifie « société en commandite par actions ».
L’avantage ? Les commandités conservent le contrôle de l’entreprise, même s’ils détiennent une minorité d’actions. Et dans ce cas précis, il n’y a que deux commandités : Jean-Luc Lagardère et Arjil (soit… Jean-Luc Lagardère), dont le successeur désigné est Arnaud Lagardère.
Dans le même temps, Matra Espace fusionne avec GEC Marconi pour donner naissance à Matra Marconi Space, une entité qui deviendra, dix ans plus tard, Aérospatiale Matra. Mais le point culminant de ce projet aéronautique arrive en 2000, lorsque Matra fusionne avec Aeronauticas et DaimlerChrysler Aerospace. Ensemble, ils donnent naissance au mastodonte européen de l’aviation, dont le premier objectif est la construction du plus gros avion du monde : l’A380. Ainsi naît EADS.
Jean-Luc place Jean-Louis Gergorin à la tête de cette nouvelle entité. Ancien du Conseil d’État, énarque, il a travaillé dix ans dans le secteur public avant de passer dans le privé. Adjoint de Thierry de Montbrial au ministère des Affaires étrangères, il a notamment offert l’un de ses premiers postes à Dominique de Villepin, futur Premier ministre, et y a rencontré Philippe Delmas, futur dirigeant d’Airbus.
Entré chez Matra en 1984, il est l’un des plus proches conseillers de Lagardère, et l’artisan du succès de l’entreprise, et des différentes fusions.
Il restera à la tête du groupe jusqu’en 2006, lorsqu’il doit démisionner en pleine afaire Clearstream 2, nouvelle embrouille entre EADS, Thales et Airbus (co-dirigé par Philippe Delmas), sous fonds de rivalité Nicolas Sarkozy et le susnommé Dominique de Villepin.
Oncle Archibald
Vendredi 7 mars 2003. Tandis que Vivendi Universal annonce une perte record de 23,3G€, première étape médiatique de la chute de J2M4, la France se dresse comme l’une des rares nations à s’opposer à l’invasion de l’Irak voulue par les États-Unis. Un mois plus tôt, Dominique de Villepin prononçait son discours historique devant l’ONU.
Ce jeudi soir-là , la femme de Villepin, Marie-Laure, dîne chez Jean-Luc Lagardère en compagnie du couturier Emmanuel Ungaro et de Bethy, l’épouse de Jean-Luc. La discussion aborde brièvement l’opération à la hanche subie par le patron huit jours auparavant, à la Clinique du sport de Paris.
Le lendemain matin, Bethy retrouve Jean-Luc inconscient. Transporté en urgence à l’hôpital Lariboisière, il est placé en réanimation et meurt quelques jours plus tard. Si le médecin conclue à un cas très rare d’encéphalomyélite5, la famille penche plutôt pour une maladie neusocomiale contractée pendant son opération de la hanche6.
Une autopsie révèle une congestion cérébrale, et les services de police concluent à une mort naturelle.
Sauf que Jean-Louis Gergorin y voit un complot… Ce proche des services secrets français, notamment de la DST, via son ami Philippe Rondot, dont il a donné quelques coups de pouce à la carrière7. Gergorin est également très proches des socialistes, notamment de Mitterand, Debray ou encore Védrine.
Après la mort de Lagardère, Gergorin est tellement touché qu’il doit être interné pendant plusieurs semaines8. Quand il en ressort, il est convaincu d’une théorie qui ne le quittera plus : la mafia russe aurait assassiné Jean-Luc en empoisonnant son sang avec un staphylocoque, un procédé qu’elle aurait utilisé fréquemment à l’époque.
A qui le tour ?
À la mort de son père, Arnaud Lagardère, 42 ans, devient gérant en commandite du groupe Lagardère. Le "fils de" doit désormais se forger un nom. Si Bethy hérite de 25% de la fortune de Jean-Luc (soit 80M€)9, Arnaud récupère l’essentiel de l’empire… ainsi qu’un costume de dirigeant qui paraît bien trop grand pour lui.
Le jeune héritier reprend immédiatement les rênes du groupe avec ses propres priorités : les médias et le sport. Il cède les participations dans Renault ainsi que le reste des activités automobiles.
En 2005, il réalise l’un de ses rêves : intégrer le comité pour les Jeux Olympiques 2012 à Paris. Passionné de sport, Arnaud veut devenir une figure incontournable du secteur et multiplie les initiatives : marketing sportif, commercialisation d’hospitalité, sponsoring, etc.
Son père, grand fan d’équitation, s’était fait enterrer près de son haras. C’est lui qui avait poussé Lagardère à entrer au capital du Groupe Amaury, un empire des médias regroupant Le Parisien et L’Équipe, ainsi qu’Amaury Sport Organisation (ASO), organisateur du Tour de France (depuis 1947), du Dakar et du Paris-Nice.
Le problème ? ASO ne veut pas de Lagardère. L’interventionnisme d’Arnaud est régulièrement critiqué en interne. En 2010, lorsqu’il annonce vouloir étendre sa participation, ASO publie une déclaration publique cinglante :
Amaury Sport Organisation n’est pas à vendre
Après trois ans de négociations infructueuses avec Marie-Odile Amaury, Arnaud jette l’éponge en 2013 et se retire du groupe, qui rachète ses propres actions.10
Mais ce n’est pas le seul essai.
En 2006, Lagardère obtient une concession dans le Bois de Boulogne pour des installations jusqu’ici exploitées par le Racing Club de France. Ce coup est un choc pour le club, qui payait jusque-là un loyer dérisoire.
Lagardère en fait une club sportif de richer à 7000€ l’entrée et 2000€ l’année, uniquement sur cooptation. Il y loge en 2007 la Team Lagardère qu’il dote de 7M€ de budget par an, pour sponsoriser les tennismans Paul-Henri Matthieu et Richard Gasquet.
C’est un triple échec : sportif, financier et en comm’.
Médias à part
Côté médias, le groupe est plus solide, mais Arnaud veut marquer son empreinte et poursuivre l’ascension.
En 2004, il acquiert 40 % d’Editis auprès de Vivendi, qui continue sa dégringolade. Ex-propriété d’Havas (le groupe qui détenait Canal+ avant de le revendre à Vivendi), Editis a accumulé une belle collection de grands noms de l’édition : Bordas, Larousse, Plon, Robert Laffont, Seghers, etc., dépassant même Hachette en parts de marché dans les années 90. Mais en 1998, Vivendi rachète le groupe, le diversifie à l’international, y ajoute du jeu vidéo… avant de tout planter, comme tout ce que touchait Vivendi à cette époque.
Cependant, la Commission européenne impose à Lagardère de céder une partie des marques pour éviter un monopole. Résultat : le groupe n’acquiert que 40 % d’Editis, principalement des marques éducatives et professionnelles (Larousse, Dalloz, Dunod, Nathan, etc.), qui sont intégrées à Lagardère Publishing, où se trouve déjà Hachette.
Mais Lagardère possède un gros actif : ses parts dans Canal+, issues d’anciens accords. En 2007, Canal+ France voit le jour après la fusion de Canalsat (Canal+ et Europe 1 Communication, devenu Lagardère News) et TPS (M6 et TF1). Les activités et chaînes ont beaucoup évolué en dix ans.
À son lancement, Canal+ (Vivendi) détient 65 % de l’entité, Lagardère 20 %, TF1 9,9 % et M6 5,1 %, avec AB Sat et BIS TV comme seuls concurrents. En 2009, TF1 cède ses parts à Vivendi pour 744M€, suivi par M6 en 2010, qui vend sa participation pour 384M€.
Ce n’est qu’en 2013 que Lagardère quitte l’aventure, vendant ses 20 % pour 1G€, permettant à Canal+ d’absorber intégralement la société. Une transaction qui coïncide avec l’arrivée d’un certain Vincent Bolloré comme actionnaire de référence de Vivendi.
Entre temps, profitant de l’arrivée de la TNT, Arnaud lance Gulli en 2005, la première chaîne de télévision dédiée à la jeunesse. Puis il se met à faire les mêmes conneries que J2M, en lançant des projets tous azimuts, souvent voués à l’échec, ou en rachetant tout ce qui traîne.
Afin de financer tout ce bordel, Arnaud vend des actifs comme La chaîne météo, et accepte de réduire sa part dans MultiThématiques, jusqu’ici codétenue à parts égales avec Canal+. Planète Choc et Ma Planète ferment après quelques mois, tandis que Filles TV ne trouvera jamais son public. Pas mieux pour Europe 2 TV, devenu Virgin 17 et qui finira en 2010 dans l’escarcelle de Bolloré…
Arnaud avait un rêve : bâtir un groupe média puissant et transversal, à la manière de Fox ou de la BBC. Mais rien ne fonctionne. En plus de son incapacité à créer des synergies, Lagardère Publishing s’enfonce dans les pertes, tout comme Lagardère Radio (Europe 1, Europe 2, RFM), dont les audiences plongent.
Incapable de prendre un virage numérique, Lagardère rachète à prix d’or des coquilles vides surcotées. J’avais d’ailleurs vécu de l’intérieur en 2008 le rachat de Doctissimo pour 70M€ sur une valo de près de 140M€. Tout avait été désastreux :
Incapacité à faire travailler ensemble des équipes ;
Direction incapable de comprendre les problématiques métiers ;
Des millions en conseils pour rationaliser des piles technos :
Pas de stratégie long terme, etc.
Après dix ans d’hémorragie, Lagardère cède Doctissimo (et tout un tas de bazar accumulé) à TF1 pour moins de 15M€. La chaîne jette l’éponge et revend l’activité à Reworld Media pour une poignée de dollars, comme dirait Sergio.
Le seul à vraiment s’en être tiré ? Laurent Alexandre, qui a empoché des dizaines de millions dans l’affaire. Aujourd’hui, ce personnage alimente le débat public en valorisant son doctorat en pipi11 pour donner son avis sur l’IA, le transhumanisme, la PME, la démocratie ou la santé mentale de Greta Thunberg, tout en tenant des propos racistes sur le QI, prônant l’eugisme éthnique12 ou niant le réchauffement climatique13.
A défaut l’intelligence naturelle, on comprend pourquoi il prône l’intelligence artificielle.
Nono le petit robot
Très vite, Arnaud est contesté au sein des différentes branches de ses entreprises. Un cadre de l’époque explique :
« Arnaud a toujours été perçu comme un parvenu. Il est arrivé à la tête du groupe par accident, alors que certains se voyaient déjà avec un peu plus de pouvoir qu’il n’allait leur en laisser. Si on ajoute qu’il n’était pas prêt et qu’il donnait souvent l’impression de ne pas en avoir envie, il partait battu d’avance. »
La question de la véritable volonté d’Arnaud de diriger le groupe revient sans cesse parmi les proches de Lagardère. Difficile de savoir si chacun projette ses propres fantasmes ou si la question est réellement fondée.
Jean-Luc, lui, était une figure respectée, parfois crainte, que les médias, y compris les siens, décrivaient sous un jour laudatif. Arnaud, en revanche, n’a jamais bénéficié de cette indulgence.
En 2006, Le Nouvel Observateur titre : « Lagardère : où va Arnaud ? » L’article dépeint des « atermoiements, des annonces contradictoires, une stratégie indéchiffrable et une difficulté à prendre des décisions ». Quelques semaines plus tard, l’affaire Clearstream achève de fracturer le groupe.
Les fameux « Lagardère Boys » – avec en tête Jean-Louis Gergorin, Jean-Paul Gut, Philippe Camus, Fabrice Brégier et Noël Forgeard – se livrent à des dénonciations calomnieuses, déstabilisant publiquement EADS. Arnaud, pendant ce temps, reste silencieux
A l’époque, Alcatel finalise sa fusion avec Lucent et cherche à se séparer de Thalès. Lagardère est sur les rangs depuis 2004, mais faute de position claire d’EADS, c’est finalement Dassault qui remporte l’affaire.
À défaut d’avoir racheté Thalès, Lagardère s’est surtout séparé d’EADS. Entre novembre 2005 et mars 2006, de nombreux cadres d’Airbus et d’EADS exercent leurs stocks-options. Beaucoup de ces transactions soulèvent des questions, intervenant juste avant des annonces importantes.
L’épisode le plus marquant survient en juin 2006, lorsque l’annonce du retard de l’A380 provoque une chute brutale du cours de l’action : -36 %. Mais, en mars 2006, plusieurs cadres avaient réalisé des plus-values impressionnantes :
Forgeard, président exécutif d’EADS, achète et revend 162K titres pour une plus-value de 2,5M€, et 4,2M€ pour ses enfants.
Auque, patron d’EADS Space : 10K titres, +114K€.
Gut, DG d’EADS : 50K titres, +737K€.
Itavuori, DRH d’EADS : 95K titres, +1,2M€.
Andriès, VP d’Airbus : 56K titres, +389K€.
Leahy, ancien directeur commercial d’Airbus : 260K titres, +3,12M€.
Pillet, ex-DRH d’Airbus : 50K titres, +540K€.
Humbert, ex-PDG d’Airbus : 160K titres, +1,685M€.
Enders, ex-président exécutif d’EADS : 50K titres, +712K€.
Sont également cités : Thierry Breton (ministre des Finances), Francis Mayer (DG de la Caisse des Dépôts), son successeur Augustin de Romanet, ainsi que Xavier Muscat (directeur du Trésor). Et bien sûr, Arnaud Lagardère, qui vend les 7,5 % d’EADS détenus par le groupe le 4 avril 2006 pour 2G€.
Forgeard, Gut, Humbert et Sperl sont mis en examen. L’AMF (Autorité des marchés financiers) clôt le dossier sans sanction. Finalement, aucune des neuf personnes mises en cause par la justice ne sera jugée, en raison d’un incident de procédure lié à la clôture de l’enquête par l’AMF.
Forgeard finit par démissionner, empochant au passage plusieurs millions d’euros de prime, popularisant ainsi la notion médiatique de parachute doré.14
Jeu, set et Paris Match
Mais c’est une autre affaire, tout aussi médiatique mais moins liée à Lagardère, qui va coûter à Arnaud bon nombre de ses derniers appuis.
Durant l’été 2005, Paris Match fait sa une sur Cécilia Sarkozy et Richard Attias, son amant, en escapade amoureuse à New York. Le ministère de l’Intérieur est furieux, surtout en apprenant qu’Arnaud Lagardère, qu’il considère alors comme un ami, a personnellement validé cette une.
Encore aujourd’hui, Arnaud qualifie Sarkozy de « mentor » ou de « parrain »15. Peut-être est-ce pour cela qu’un an plus tard, il licencie Alain Genestar, directeur de la rédaction de Paris Match. Tout Paris interprète ce licenciement comme une offrande à son ami Sarko.
En quelques années, Arnaud réussit à perdre la confiance :
De toute la branche EADS ;
D’une grosse par de ses actionnaires ;
De toutes les rédactions de ses médias ;
De Nicolas Sarkozy et d’une partie de ses amis politiques.
« Rien ne m’aura été épargné » chougne t’il au Point fin 2006, alors en pleine campagne de promotion. Il est vrai que de nombreuses rumeurs fuitent un peu partout. Personne ne publie rien. Mais tout le monde sait.
Arnaud Lagardère serait homosexuel et toxicomane.
Il entretiendrait une liaison avec Richard Gasquet, qu’il sponsorise depuis 2003.
Lorsque sa relation avec Jade Foret est officialisée en 2010 dans Paris Match, via une série de photos à la mise en scène étrange et gênante, beaucoup y voient une tentative maladroite de démentir ces rumeurs.
Depuis, Gasquet est revenu sur la rumeur pour la démentir. Et elle semble peu probable. Mais peu importe : Lagardère a derrière lui une floppée de gens qui, effectivement, ne vont rien lui épargner.
Surtout qu’Arnaud ne va pas vraiment mettre d’eau dans son pinard. En 2007, il roule ouvertement pour son ami Sarkozy et met ses médias à contribution pour aider son voisin de la villa Montmorency. En plus de plusieurs unes de Match où, notamment, les bourrelets du futur président ont été effacés, il intervient auprès du JDD pour bloquer une info relatant que Cécila n’aurait pas été voté au 2nd tour.16
Sauf que voilà , quoi qu’en disent les uns et les autres, Arnaud reste le seul maître à bord.
Pour le moment.
Attrape moi si tu peux
Les frasques d’Arnaud Lagardère commencent à agacer… et pas qu’un peu. Les actionnaires du groupe, confrontés à des résultats en chute libre, perdent patience.
Le 27 avril 2010, Guy Wyser-Pratte, un gérant de fonds américain né en France, conteste la structure en commandite et décide de prendre le contrôle du groupe. Le contexte est désastreux : le résultat net du groupe vient de chuter de 77 %, et sa valorisation a perdu 50 % en trois ans. Cet ancien marine, qui détient 0,53 % des parts, accuse publiquement l’héritier et propose deux résolutions lors de l’assemblée générale17 :
Sa nomination au conseil de surveillance ;
Les modifications des statuts pour faire sauter la commandite.
Arnaud, qui a hérité de 5,5 % du groupe et en détient alors 9,62 %, reste confiant mais doit passer ces résolutions au vote.18 Il mobilise tout son état-major, qui passe des jours à rallier des votants pour s’assurer de garder le contrôle. Plusieurs médias, dont Le Point, publient des portraits peu flatteurs de l’activisme d’Arnaud.
77% votent contre.19
Mais la situation financière ne s’améliore pas. D’autres activités suivent le même chemin, et les cessions à perte s’accumulent :
En 2019, les gros titres papier (Femina, Télé 7 Jours, France Dimanche, Public, etc.) sont cédés à CMI pour 51M€ ;
Un an plus tard, la plupart des chaînes télé (Gulli, Canal J, Tiji, etc.) partent chez M6 pour 215M€ ;
Enfin, Lagardère Studios est vendu à Mediawan.
Le coup de grâce ? Lagardère abandonne le sport, qui tenait tant à cœur à Arnaud. Ce gouffre financier de plus d’un milliard est en partie cédé à HIG Capital, avec des activités comme Sportfive. Le groupe décide alors de se recentrer sur l’hospitality.
En coulisses, Arnaud reste toujours aussi contesté, autant au sein du groupe que parmi ses actionnaires.
Fluctuat nec mergitur
Depuis 2011, l’actionnaire de référence de Lagardère est Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain du Qatar, qui gère entre 500 et 550G$. Fin 2019, QIA20 monte à 13 % du capital et 19 % des droits de vote. À cette époque, Lagardère détient 7,33 %, et Amber Capital complète le podium avec 6,73 %.
La présence de QIA n’est pas un hasard. Son gérant, Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar depuis 2013, est un proche de Jean-Luc Lagardère, mais aussi de Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, il s’est longtemps murmuré que Sarkozy et Arnaud auraient été impliqués dans le rachat du PSG par QSI.
Si QIA fait preuve de patience avec Lagardère, ce n’est pas le cas d’Amber Capital. Également entré en 2011, le fonds dirigé par Joseph Oughourlian (président-propriétaire du RC Lens depuis 2019) réalise une plus-value en sortant en 2013. Mais après la chute du cours en 2016, Amber revient au capital autour de 5 % et demande un désengagement dans le sport et les médias pour se recentrer sur l’édition et les boutiques d’aéroport, une stratégie en partie suivie, comme on l’a vu avant.
Et Oughourlian n’est pas n’importe quel activiste. En 2014, il obtient le départ de Frédéric Vincent de Nexans. L’année suivante, il entre chez Prisa qu’il force à céder sa participation dans Le Monde, avant d’aider Vivendi dans un raid contre les frères Guillemot (Gameloft / Ubisoft).
Quelques jours avant la clôture de l’OPA, Amber apporte 15% des titres à Vivendi21, permettant à Bolloré de prendre le contrôle de Gameloft. Une opération similaire avait eu lieu lors de la cession des titres Activision en 2013.
En 2018, Amber réclame une place au conseil de surveillance et critique les salaires trop élevés, l’opacité financière et le rôle de Lagardère Capital & Management (LCM), le holding d’Arnaud où sont logées ses actions, qui n’a jamais publié ses comptes.
Dans un premier temps, QIA soutient Amber. Furieux, Arnaud mandate Pierre Leroy, un fidèle conseiller de son père, pour inverser la situation. Leroy sollicite Nasser Al-Khelaïfi (patron du PSG et de QSI) et Nicolas Sarkozy. Cinq jours plus tard, QIA change de position et sauve la tête d’Arnaud.
L’accord final est négocié par un autre conseiller, Ramzi Khiroun, un communicant aux multiples casquettes. Passé chez Lagardère via le Racing Club de France en 2006, il s’est rapproché de DSK autour de 2007 avant de rejoindre Arnaud en 2010 pour l’affaire EADS. C’est aussi lui qui a géré la communication de Richard Gasquet après son contrôle positif à la cocaïne. Khiroun, à l’époque, bénéficiait même d’une Porsche de fonction fournie par Lagardère, au cœur d’un règlement de comptes médiatique entre les soutiens de Sarkozy et de DSK.22
Suite à l’affaire du Sofitel, il s’éloigne de DSK et se rapproche d’Arnaud malgré de fortes réticences internes… qu’il finit par faire disparaître.23
Cet accord, c’est la nomination au conseil de Jamal Benomar24, diplomate marocain et ancien secrétaire général adjoint à l’ONU, soit disant indépendant, qui était en réalité proche du Qatar. Khiroun avait rencontré Benomar à Londres quelques mois auparavant via un frère de l’émir. Cet accord vaut à Khiroun une prime de 1,7M€ pour sa « bravoure ».
S’engage alors un bras de fer qui se répend dans les médias. Le bruit court que la holding serait très lourdement endettée, bien au dela de la valeur des titres, qui ne cesse de chuter.
Amber obtient du tribunal la publication des comptes de la holding. Mais Arnaud refuse et préfère payer une amende de 2 000€ par jour plutôt que de dévoiler ces documents.
Mais pourquoi un tel secret ?
Vingt Mille Lieues sous les mers
Évidemment, si Arnaud est prêt à lâcher 60K€ / mois pour éviter de publier ses comptes, la raison doit être sacrément sérieuse.
Arnaud contre-attaque en assignant Amber Capital pour harcèlement et diffamation, réclamant 84M€ pour les pertes prétendument subies, notamment suite à l’effondrement du cours.
Enfin, pas Arnaud directement. Lagardère, la société. Une éternelle confusion qui, encore une fois, semble étrange, puisqu’une société attaque ici son propre actionnaire pour le compte… d’un autre actionnaire.
C’est Grégoire Chertok, de Rothschildqui va tenter calmer l’affaire.
Sous pression, Lagardère Capital & Management (LCM) finit par publier ses comptes courant 2020, confirmant ce qui avait déjà fuité depuis plusieurs mois :
LCM sert à rémunérer le ComEx de Lagardère, dont Arnaud, et facture entre 2 et 3,9M€ / an de charges divers et variées pour couvrir les frais (astronomiques) d’Arnaud ;
LCM permet à Arnaud de percevoir autour de 12,5M€ / an ainsi que 1% du bénéfice net du groupe ;
LCM sert également à rembourser les énormes dettes de Lagardère, dont il resterait encore plus de 200M€.
Ce prêt a été accordé par le Crédit Agricole, dont l’ancien patron Patrick Valroff était au board de Lagardère, en échange du nantissement de sa participation dans Lagardère alors évaluée à … 190M€. Ce qui explique les ventes régulières de titres, Arnaud étant sommé par sa banque de rembourser.
En 2023, un magistrat estime que plus de 125M€ ont été détournés au bénéfice d’Arnaud.
Face à cette situation, et à un groupe déstabilisé par le Covid, Lagardère cherche du renfort parmi ses alliés. Marc Ladreit de Lacharrière monte au capital, autour de 3-3,5 %. Officiellement, il affirme agir par amitié pour Jean-Luc Lagardère. Officieusement, certains pensent qu’il convoite des titres stratégiques.
Dans le même temps, le voisin montmorencéen d’Arnaud, Vincent Bolloré, entre dans la danse via Vivendi, sur les conseils avisés de Nicolas Sarkozy. De 10,6 % début 2020, Vivendi grimpe à 23,5 % en août, quelques jours avant la publication des comptes de LCM.
Officiellement toujours, il vient soutenir Lagardère.
En réalité, tout le monde sait que Bolloré est proche d’Amber Capital et lorgne sur des actifs stratégiques de Lagardère, notamment Editis. Pire, Bolloré aurait secrètement sollicité l’appui de QIA… via Nicolas Sarkozy.
Malgré tout, Amber échoue à prendre le contrôle du conseil d’administration lors de l’AG du 5 mai 2020. Arnaud sauve sa tête de justesse grâce aux 5 % de la Caisse des dépôts, mobilisés sur ordre de Bruno Le Maire, et au soutien renouvelé de QIA, toujours à la demande du Saint Sarkozy.
Arnault et Arnaud
En réalité, une autre figure bien connue avait commencé à faire son entrée un an plus tôt, également conseillée par Nicolas Bazire : Bernard Arnault, autre habitant de la Villa Montmorency. Via sa holding Agache, il acquiert 25 % de Lagardère Capital & Management (LCM) pour 80M€ et, pendant la Grande Discorde, monte à 5 % du capital de Lagardère. De quoi garantir à Arnault 15,19 % des droits de vote.
Mais Arnault n’est pas un inconnu pour Arnaud. Proche de Jean-Luc, il a siégé au conseil de surveillance du groupe entre 2004 et 2012, assistant de près au début des ennuis.
Officiellement again, cette opération s’inscrit dans une histoire d’amitié. Mais beaucoup soupçonnent le patron de LVMH (ainsi que du Parisien et des Échos) de viser les titres prestigieux de Lagardère, notamment le très politique Paris Match.
Entrer à travers LCM est une manière de tenir Arnaud par l’endroit où ça fait mal de se faire tenir, et de prendre une position dans le groupe à moindre coût.
Pendant ce temps, Amber Capital et Vivendi (détenant ensemble 43,5 % des actions) s’associent pour proposer la nomination de quatre membres sur neuf au conseil de surveillance lors de la prochaine AG.
En août 2020, Arnaud provoque une AG extraordinaire, sept mois en avance, pour faire renouveler son mandat avant de perdre sa majorité. Aline Sylla-Walbaum claque la porte du conseil, tandis qu’Yves Guillemot (Ubisoft) refuse de voter.
Vincent Bolloré, de son côté, menace Lagardère d’une OPA, tout en assurant : « Ce n’est pas mon truc », une déclaration ironique face à Guillemot, qui a déjà subi deux raids de Vivendi.
This is the end, my friend
C’est finalement l’assemblée générale de 2021 qui scelle le sort d’Arnaud. Le statut de commandite est abandonné. Arnaud reste officiellement à la tête du groupe, mais plus personne n’y croit. Même son ami Nicolas Sarkozy l’a lâché pour se ranger derrière Vincent Bolloré.
Les synergies tant redoutées commencent à se concrétiser entre Europe 1 (Lagardère), CNews (Bolloré) et Radio Classique (Arnault), confirmant des rumeurs persistantes.
En septembre 2021, Vivendi rachète les parts d’Amber Capital, lance une OPA, et devient le seul maître à bord. Très vite, des liens sont activés entre les différents médias du groupe : Cyril Hanouna débarque rapidement sur Europe 1.
Les proches de Bolloré prennent position au sein du groupe, avec notamment Maxime Saada (Canal+), Grégoire Castaing comme DGA (Canal+), mais aussi Nicolas Sarkozy et Yannick Bolloré au conseil d’administration.
En 2022, le groupe redevient enfin profitable, avec un bénéfice de +161M€, une première depuis 2018. Vivendi termine la cession des derniers actifs, dont deux titres majeurs :
Gala, vendu au Figaro en 2023 ;
Et surtout Paris Match, finalement racheté pour 120M€ par Bernard Arnault via UFIPAR.
Et pour une fois, tout le monde est content.
Vers l'infini et au-delÃ
Finalement, Arnaud reste à la tête de son groupe, et la vente de ses titres lui a permis d’éponger ses dettes. Sauf que… Arnaud a toujours de nombreux ennemis qui s’activement en off de manière assez virulente.
Pendant la bataille pour le contrôle, Amber Capital avait déposé un signalement auprès de l’AMF et un autre au Haut Conseil du commissariat aux comptes (qui s’est dessaisi en faveur du PNF25). Ce qui a conduit à l’ouverture d’une information judiciaire le 30 avril 2021.
À l’instar d’Amber, la justice soupçonne Arnaud d’avoir fait financer son train de vie par Lagardère, en tapant allègrement dans les caisses. Le 29 avril 2024, il est mis en examen pour « diffusion d’informations fausses ou trompeuses, achat de vote, abus de biens sociaux, abus de pouvoir et non-dépôt de comptes ». Sous la pression des actionnaires, il doit se retirer de la société dès le lendemain. Officiellement, c’est pour « mieux préparer sa défense », mais en réalité, c’est le juge d’instruction qui lui interdit de diriger une entreprise.
Les avocats d’Arnaud obtiennent la levée de cette interdiction en juin, lui permettant de reprendre sa place à la tête du groupe, à la place de Jean-Christophe Thiery, président du conseil de surveillance de Canal+, qui l’avait brièvement remplacé.
Pour autant la lente agonie d’Arnaud est loin d’être terminée. Toujours mis en examen et présumé innocent, il ne dispose que des droits et de l’argent qu’on veut bien lui accorder.
Cet été, il a dû vendre 8,5M d’actions pour 205M€ à Vivendi, ramenant sa participation à 5,12 % du capital et 4,49 % des droits de vote26 . Selon une source proche des Arnault, cette somme servirait à rembourser ses dettes auprès du Crédit Agricole et à régler un redressement fiscal de 50M€, pour lequel il avait signé un protocole d’accord avec le fisc au printemps dernier.
Et alors que je terminais cette newsletter, Ramzi Khiroun a été mis en examen le 6 novembre dernier dans l’affaire de la nomination de Jamal Benomar, quelques jours après avoir été aperçu dans la délégation française accompagnant Emmanuel Macron au Maroc. Parti du groupe en juillet 2022 dans des conditions précipitées et contre un chèque de 17M€, son départ restait mystérieux.
Mis en examen pour « complicité d’achat de vote et d’atteinte à la liberté du vote » ainsi que « complicité d’abus de pouvoir », Khiroun n’a pas été placé sous contrôle judiciaire et demeure présumé innocent.
Quant à l’avenir de Lagardère, le groupe, il s’annonce tout aussi sombre. Vivendi a entamé une restructuration complète de ses activités, qui aboutira à l’intégration de Lagardère au sein d’Hachette, racheté quelques années auparavant, qui pourrait bien aboutir à la disparition de la marque.
De l’empire de Jean-Luc il ne restera rien.
Les dernières activités de Matra, vendues en 2014, ont été renommées Easybike ;
EADS est devenu Airbus, sans aucun lien avec Lagardère ;
Europe 1 est en déclin ;
Les participations dans Canal+ et Amaury ont disparu.
Tout juste reste t’il la Fondation Jean-Luc Lagardère qui soutient les jeunes professionnels de la culture et des médias.
Et un fils qui devra transmettre son nom et son histoire à ses trois enfants.
Je m’appelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et création de contenus pour des entreprises de la finance, de l’immobilier et du web3.
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Office national d'études et de recherches aérospatiales
Ce point biographique n’est cependant pas cohérent, l’ONERA n’ayant été créé qu’en 1946.
Source : moi.
Jean-Marie Messier
Les coulisses d’une affaire d’État, Gilles Gaetner et Jean-Marie Pontaut, L’Express,‎ 13 décembre 2004
Une histoire de fous. Le roman noir de l'affaire Clearstream, Frédéric Charpier, Seuil, 2009
Philippe Madelin, « Ce que je comprends de l'affaire Clearstream », L'Obs,‎ 27 janvier 2010
« Une longue et délicate succession enfin bouclée [archive] », Le Monde, 20 août 2004
Conclusion d’un accord avec le groupe Amaury, 2 avril 2013
Urologie en vrai, mais c’était moins drôle
Ivanne Trippenbach, « Laurent Alexandre, le docteur qui phosphore avec la droite radicale [archive] », sur lopinion.fr,
Justine Brabant, « Laurent Alexandre : chirurgien, businessman et troll [archive] », sur arretsurimages.net, 7 septembre 2019
Nicol Penicaut, « Noël Forgeard, descendu en plein vol », Libération,‎ 3 juillet 2006
Le Parrain. Sarko après Sarko : l’enquête. (Le Seuil). Publié le 29 septembre 2023.
Comment et pourquoi Arnaud Lagardère est devenu une cible, Bénédicte Charles, Marianne, 1 avril 2010
Raid sur le bunker Lagardère, Alexandra Schwartzbrod et Yann Philippin, Libération, 26 mars 2010
Victime d'un raid boursier, le groupe Lagardère contre-attaque, Dominique Gallois et Claire Gatinois, Le Monde, 6 avril 2010
Affaire de la Porsche : le conseiller en communication de DSK contre-attaque,  Raphaëlle Bacqué, Le Monde, 5 juillet 2011
Via Qatar Holding LLC.
Les Guillemot disent adieu à Gameloft, Sandrine Cassini, Le Monde, 16 juin 2016
DSK et la Porsche : Ramzi Khiroun riposte, Le Nouvel Obs, 13 mai 2011
Un "serial killer" chez Lagardère, Odile Benyahia-Kouider et Christophe Nobili, Le Canard enchaîné, 24 février 2016
Le Marocain Jamal Benomar coopté par le groupe Lagardère, Ayoub Khattabi, Le 360, 14 septembre 2018
Parquet National Financier
Communiqué AMF