💥 Laurent Villa : serial leveur, mauvais payeur
Des dizaines de millions levés, des restaurants jamais ouverts, et des plateformes qui détournent le regard.
Bonjour,
Y’a quelques semaines, une personne m’a demandé pourquoi j’écrivais Zero Bullshit. Pas vraiment pour trouver des clients, ce que je fais sur LinkedIn suffirait. Pas vraiment pour la gloire, je mets pas ma tronche par dessus. Un peu maintenant pour l’argent, depuis 6 mois des partenaires sont venus se greffer. Sauf que passer plusieurs jours, voire semaines, voire mois dans le cas présent, pur une newsletter lue 50 ou 70K fois qui rapporte 1K€, c’est pas rentable.
Mais ce qu’anime au quotidien, ça reste d’analyser ce qui se passe dans les placements faits par les particuliers, et comprendre comment le système s’articule. Et rarement dans leur sens.
A l’été 2024, alors que les bonnes gens glandouillent sur le sable de plage bondée, je reçois un e-mail m’alertant d’une opération arrivée sur la plateforme de crowdfunding Bricks, sur laquelle j’ai beaucoup écrit. Il est question d’une des plus grosses opérations de la plateforme, pour de splendides villas à côté de Porto-Vecchio.
2,55M€ à financer, avec un maximum de 4,2M€.
Un sacré pactole, mais qui n’est pas non plus inédit en crowdfunding. Ce qui l’est un peu plus, c’est qu’un porteur de projet notoirement en retard sur plusieurs financements – et sur des montants très significatifs – soit en train de relever une autre plateforme.
Je vais pas te raconter des cracks, vu qu’on va passer deux voire trois épisodes sur le sujet : j’ai regardé vite fait, et je suis passé à autre chose. Je raconte jamais ma vie dans mes newsletters ou sur LinkedIn, mais bon, cette info a son lien avec l’histoire. J’avais sorti quelques semaines avant une newsletter sur le cash-out d’une autre plateforme, et son dirigeant avait lancé une vendetta et un harcèlement extrêmement violent contre moi. Ma question d’alors n’était pas de savoir si j’allais encore faire des newsletters, mais si j’allais encore faire quelque chose de ma vie. Parce que oui, le cyberharcèlement, c’est aussi ça.
Mais trêve de violonneries. La société en question a été condamnée deux fois aux dépens pour ses procédures lancées contre moi1, et Zero Bullshit, jusqu’ici mensuelle (en gros), est devenue hebdomadaire.
C’est seulement en écrivant la newsletter sur Tudigo il y a quelques mois2, que je me suis rappelé cette histoire… que je n’imaginais pas aussi longue. Au point que, pour la première fois, cette newsletter sera en deux, peut-être trois épisodes. On y parlera financement de restaurants ou de biens de luxe, tout en voyageant entre Cannes, la Suisse, l’Angleterre ou la Corse.
Et surtout de celui au centre de toutes ces entreprises : Laurent Villa.
Bonne (longue) lecture.
Note conflit d’intérêts : suite à ma newsletter du 30 mars 2025 sur Tudigo, qui mentionnait ses financements, Laurent Villa m’a assigné le 30 juin 2025 pour de prétendus faits de diffamation. Cette publication n’en est en rien une vengeance ou une réponse, mais une enquête parmi d’autres, sur le crowdfunding immobilier.
Laurent Villa a été sollicité dans le cadre de cette enquête et à répondu, lors d’un échange en visio, puis par écrit. Dans le premier échange il a expliqué que l’assignation était un moyen de “prendre contact avec” Zero Bullshit.
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Laurent Villa / Xavier Laurent-Perrier / Chloé Albertini
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Novaxia
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🪞 Miroirs et lignées
Héritage sous scellés
L’histoire de Laurent Villa s’écrit entre la Corse et Nice, où il naît le 1ᵉʳ avril 1971, au cœur d’une ville déjà sous emprise : celle de Jacques Médecin. Son père, Gabriel Villa, est un cadre-clé du système municipal. Dès les années 1980, Gabriel évolue dans l’orbite directe du maire, occupant tour à tour les fonctions de directeur de la communication, gérant de la SEGAT, responsable local de NRJ, et en 1984, il est nommé directeur de la promotion de la ville de Nice, un poste stratégique, au croisement de la communication, de l’événementiel et de l’attribution de subventions publiques.
Le 12 juin 1981, la municipalité lance Radio Baie des Anges. Officiellement radio libre, elle est en réalité une plateforme de propagande municipale : financée à 100 % par la mairie, équipée par la SEREL (fournisseur en voirie très lié à Médecin), gérée par des proches, et animée par des journalistes devenus, pour certains, élus ou notables locaux. Gabriel Villa est dans la boucle. Il supervise l’image, le discours, les relais, tout en pilotant les liens entre les médias, les prestataires, les imprimeurs et les services techniques.
Mais l’édifice repose sur un équilibre fragile. En 1993, Villa est condamné pour faux, usage de faux et recel d’abus de biens sociaux. Il est impliqué dans une affaire de fausses factures : notamment une de 126K F, pour un ouvrage à la gloire de Médecin, imprimé par Imprimix, jamais comptabilisé, mais bien encaissé. La justice établit que Gabriel Villa a perçu personnellement une partie des sommes, sans contrepartie réelle. Il est condamné à de la prison avec sursis et une amende, dans l’un des nombreux volets de l’affaire Médecin.
Mais jusqu’au bout, il tente de maintenir le système à flot. En octobre 1993, alors que le maire Bailet, successeur de Médecin, est sur le point de démissionner, Villa prend l’avion pour Paris, pour essayer de le faire changer d’avis. Une ultime tentative pour garder la main. Peine perdue. Le RPR a déjà verrouillé la succession. La lettre de démission est entre les mains du préfet. Et Villa, épuisé, sort définitivement du jeu.
Dobble shot
C’est donc dans cet environnement, qu’il n’a pas choisi et dont il n’est pas responsable, que grandit Laurent Villa. Très tôt intéressé par l’entrepreneuriat, il crée plusieurs sociétés, dont une avec son frère, Boomerang Voyages, qu’il dit avoir vendue à LastMinute.com. Selon une personne qui avait vu passer le dossier lors de la cession par LastMinute à Directours, c’était une entreprise qui avait, à l’époque, changé 5 fois de mains en moins de 10 ans. Et selon des informations que j’ai pu recouper, la transaction aurait eu lieu début 2004, et c’est Travelocity (j’avoue, le nom est rigolo) qui a racheté VFinances, groupe qui opérait Boomerang. Or, LastMinute a bien été racheté par Travelocity pour 577M£, mais c’était un an plus tard. Et LastMinute ne gardera qu’un an le tour-opérateur.
Suite à ça, Villa entre chez Play Factory. Au milieu des années 2000, l’entreprise édite quelques jeux et magazines, sur des cartes Magic ou Yu-Gi-Oh!. Villa connaît bien le patron : ils sont tous les deux corses, et ont des liens familiaux.
En 2007, Villa veut diversifier les activités, et lance son premier restaurant, Spirit Of House3. Les plans sont faits, les travaux débutent, mais ce n’est pas concluant… alors tout est refait. Au total, 700K€ ont été dépensés, argent qui aurait été mis en CCA4, non par Villa mais par son associé, qui m’en témoigne. Ce qui n’a été démontré par aucun jugement par la suite, cependant.
Dans le même temps, Villa est en charge de Play Distribution, qui vend les jeux de Factory dans un magasin à Paris. Là encore, le trou est abyssal, du même ordre que dans l’autre société.
Un peu avant 2010, les associés de Play cherchent à faire sortir Villa alors qu’ils s’apprêtent à sortir le jeu Dobble. Mais malgré le départ de Villa, les entreprises vont mal et sont placées en redressement judiciaire en 2013. Factory s’en remettra. Mais pas Distribution, qui sera finalement liquidée en mars 2015. Mais quelques mois auparavant, le tribunal prononce une interdiction de gérer une entreprise pour Laurent Villa de 7 ans, soit jusqu’à fin 2022, devant les fautes de gestion constatées.
Le tribunal5 lui reproche principalement de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, laissant l'entreprise agoniser pendant 18 mois et aggravant le passif de 97K€. Alors même que l’entreprise n’aurait plus d’activité de 2012, et que la liquidation, débutée en juillet 2013, faisant suite aux dettes salariales impayées de 2 employés.
Plus grave encore, aucune comptabilité n’a été produite et Villa n’a transmis aucun document au mandataire liquidateur, pas même la liste des créanciers. Face à un passif total de 667K€, dont 102K€ de dettes fiscales, et une insuffisance d’actif totale, le tribunal constate que Villa s’est complètement désintéressé de la procédure, ne se présentant même pas à l’audience pour s’expliquer. Cette « méconnaissance coupable des obligations qui s’imposent à un chef d’entreprise » lui vaut donc l’interdiction de gérer.
Laurent Villa conteste cette version et dit avoir été victime d’une escroquerie. C’est également ce que ses avocats affirment dans leur assignation contre Zero Bullshit en juin dernier.
« Cette interdiction de gérer n’a pas duré 7 ans puisqu’elle a été levée par ce même tribunal, à l’initiative du Parquet lui-même, après que Monsieur Villa a réussi à prouver qu’il était en réalité la victime d’une escroquerie. »
Effectivement, début 2017, Laurent Villa conteste la condamnation, affirmant qu’il n’avait jamais reçu de convocation et qu’il aurait démissionné en septembre 2012, un peu avant que Play Distribution soit cédée. Le tribunal6 ne reconnaît pas la démission parce qu’elle est envoyée en courrier simple par Evolution Web, propriétaire de Play Distribution, à… Play Distribution. Donc à lui-même.
Laurent Villa aurait en réalité démissionné en septembre 2012, donc avant tous les problèmes qui lui ont été reprochés, et c’est pour cette raison qu’il n’a appris… qu’en 2016 qu’il avait été condamné, faute d’avoir reçu les convocations et le jugement.
Mais Villa ne renonce pas. Changeant de stratégie, il dépose en août 2017 une demande de relevé de déchéance. Cette fois, plutôt que de nier sa responsabilité, il plaide les circonstances atténuantes. Il produit des attestations d’experts-comptables vantant sa « rigueur de gestionnaire », fait témoigner des associés sur sa probité, et surtout révèle un élément crucial : le passif de 667K€ incluait une provision de 500K€ pour un litige qui s’est finalement révélé sans objet. Le passif réel n’était donc que de 167K€.
En novembre 2017, malgré l'avis défavorable du Procureur7 (contrairement à ce que disent ses avocats dans leur assignation), qui rappelle la non-présentation de la comptabilité et le manque de coopération, le tribunal se laisse convaincre et lève l'interdiction de gérer. Villa reste néanmoins juridiquement coupable des fautes de gestion : le tribunal a simplement estimé que la sanction n'était plus proportionnée aux faits réels.
Cela dit, et comme je l’ai affirmé dans la newsletter visée par l’assignation, Laurent Villa a bien créé des sociétés durant la période, entre 2014 et 2017. Comme par exemple Villa D’Ailleurs (alors gérée par Chloé Albertini), ou sa société au Luxembourg Group Clav (pays où il n’était pas concerné par une sanction) :
🪙 License to bill
Viande froide
C’est à peu près à cette époque que Villa lance BeefHouse, dont le nom m’exempte d’expliquer le concept. Le premier restaurant ouvre sur la place du marché Gambetta à Cannes, à quelques centaines de mètres de la célèbre Croisette. Pour se lancer, il s’associe avec Chloé Albertini, puis plus tard avec son frère Vincent, fille de Marcel Albertini, un restaurateur cannois très en vogue, qui deviendra rapidement sa compagne.8
Au fil du temps, d’autres établissements sont ouverts. Un deuxième ouvre sur le Cours Saleya en 2013, puis un troisième en 2015 à Marseille, dans un local loué par Hammerson, au cœur du centre commercial Les Terrasses du port. Puis Lille, Toulon, Cagnes-sur-Mer.
En 2015, alors qu’il est toujours interdit de gestion en France, Laurent Villa crée une holding au Luxembourg, Group Clav, pour centraliser ses participations, notamment dans les restaurants. Chloé Albertini prend 15 % l’année suivante.
Jusqu’en 2019, les entreprises semblent tourner. Sur la dizaine de sociétés dont j’ai pu voir les bilans, ils étaient plutôt dans le rouge, mais il ne m’a pas été possible de vérifier les 25, d’autant que la majorité n’ont jamais déposé leurs comptes. De son côté, Laurent Villa affirme que le groupe était rentable, s’il était regardé dans sa globalité.
Un point attire pourtant l’attention : la totalité des entreprises cessent de déposer leurs comptes après 2019. Toutes étaient pourtant globalement clean, chaque année. Et soudainement, plus rien. Plus de dépôt de comptes, plus de chiffres. Même lorsqu’il va lever sur des plateformes, on n’aura droit qu’à des prévisionnels.
Opacité sanitaire
Durant le Covid, Laurent Villa fait plusieurs apparitions télés9, qu’il est très fier de me rappeler, pour parler de la situation difficile des restaurants. Et signe même une tribune dans Les Échos10 pour s’étonner (comme beaucoup) de l’étrange loi sur la fermeture des restaurants. Pour autant, il n’abandonne pas. Mieux (pire ?), il continue d’ouvrir des restaurants, sur trois marques distinctes :
BeefHouse : viandes du monde, burgers premium, la marque historique ;
Beer&Beef : concept de bar sportif ;
Tribeca : brasserie casual premium.
Au sortir du Covid, c’est surtout sur la troisième qu’il capitalise. Pourtant, en off, plusieurs signaux laissent à penser que la situation n’est pas très bonne.
Mais avant de passer à la suite, il va falloir qu’on passe deux minutes à comprendre la structuration des entreprises de Laurent Villa, parce que c’est un peu complexe. Et pas forcément anodin.
Afin de simplifier (et de garder un peu de suspens), je n’ai gardé que la partie restauration et mis de côté l’immobilier qui sera l’objet d’une future newsletter. Disons qu’il y a quelques noms à retenir :
Be@liv🇫🇷 : la holding personnelle de Laurent Villa, qui lui appartient à 100 % ;
RX Venture🇫🇷 : la société d’investissement destinée à financer et supporter les activités d’expansion des restaurants, et les activités support ;
Group Clav🇱🇺 : la holding du groupe de restauration au Luxembourg, qui appartient à 85 % à Laurent Villa, et à 15 % à Chloé Albertini ;
BHI Finance🇱🇺 : l’IP Box du groupe, qui va également servir à lever les premiers financements.
C'est en 2015 que l'architecture commence à se figer. D'un côté de la frontière, des restaurants ouverts à la chaîne. De l'autre, une mécanique plus raffinée : une IP Box, ou Patent Box, ou boîte magique selon le niveau de cynisme.
Le principe est limpide, presque poétique : on isole la propriété intellectuelle dans une structure dédiée, ici BHI Finance, et toutes les sociétés opérationnelles lui versent des redevances pour pouvoir utiliser les marques. Un BeefHouse sans le House, ça claque moins.
Dans le jargon, on appelle ça une « exploitation sous licence de marque ». Dans les faits, c’est un tuyau qui permet de faire remonter de l’argent vers une société fiscalement choyée. Les redevances sont déductibles en France, taxées faiblement au Luxembourg. Et tout le monde ferme les yeux tant que ça a l’air propre.
Jusqu’en 2016, le Grand-Duché était une autoroute à cash bien connue des multinationales. Amazon y logeait ses ventes européennes, Ferrero son Nutella, Skype ses appels, non via des IP Box déclarées, mais via des rescrits fiscaux bien ficelés. Même combat.
La vraie IP Box luxembourgeoise a été réformée en 2018 après les pressions de l'OCDE et le projet BEPS11. Elle permettait d’imposer les revenus IP à un taux effectif de 5,2 %. Aujourd’hui, il faut prouver une substance économique réelle, une activité de R&D locale, et respecter le nexus approach, c’est-à-dire une proportionnalité stricte entre activité et avantage fiscal. Pas impossible à monter, mais plus musclé que les montages vintage des années 2010.
D’autres pays restent dans le game. Le Royaume-Uni propose une Patent Box à 10 %, la Belgique descend à 6,8 %, et la Suisse laisse ses cantons bricoler jusqu’à 90 % d’exonération sur les revenus qualifiés.
Mais ce n’est pas qu’une histoire de taux. Ce qui compte, c’est la narration. Le Luxembourg reste une scène bien rodée pour raconter une histoire crédible à l’administration : un actif immatériel, une société qui le valorise, des contrats bien rédigés, et des flux qui ressemblent à autre chose qu’une pompe à dividendes.
Toujours est-il que pour les marques sont rachetées pour 650K€, et les restaurants devront payer 35K€ et 4% de leur CA par an à BHI. Et que si selon Laurent Villa, l’IP Box n’a jamais été mise en place, les chiffres disent l’inverse.
Olivier Tugaut va leader les levées de dette pour financer l’expansion, contre un peu plus de 8K€/mois de salaire et une jolie BMW R GS comme moto de fonction. Par la suite, Group Clav va payer à Antobella (une société de Tugaut) 1’500€/mois pour la gestion administrative, et à partir de 2020, à L’Arche de Néo (une holding de Tugaut au Luxembourg) 1‘700€ pour un bureau qui n’est jamais occupé, puisque Laurent Villa et sa compagne habitent Cannes.
À sa création, le capital de 33K€ est réparti à parts égales entre les trois holdings luxembourgeoises d’Olivier Tugaut (Neo Capital, l’autre holding de Tugaut), de Jean-Christophe B. (Bayet Properties) et de Laurent Villa (Group Clav).
Une première levée, dite 2015.03, de 3M€ de dette est lancée, et Tugaut apporte 2M€.
Jean-Christophe B., par ailleurs gérant de plusieurs restaurants, sort assez rapidement, laissant Olivier Tugaut (via Neo Capital et L’Arche de Néo) et Laurent Villa à parts égales, à 45 % chacun, Natixis détenant le reste.
Captable de BHI Finance en 2016. Les trois premières cases sont signées par Olivier Tugaut.
Une nouvelle série est émise fin 2015 pour 10M€, via des obligations à coupon annuel de 10 % sur 7 ans, auprès d’une dizaine de petits porteurs, comme Christian M., qui devient administrateur, ou Jean D., un médecin bientôt à la retraite, qui investissent entre 125 et 375K€.
Puis une nouvelle série est lancée en 2017 aux mêmes conditions, pour un remboursement prévu en 2023, qui attire une demi-douzaine d’investisseurs qui posent 2,1M€.
Entre-temps, M Capital aurait également investi 2 à 3M€. Et année après année, la dette s’envole sans que BHI soit capable de rembourser. D’autant que le lancement des restaurants ne permet pas de générer des revenus rapidement. À fin 2016, tous les restaurants sont dans le rouge :
Butcher House : –151K€
Maotsumy Cagnes : –223K€
BeefHouse Lille : –485K€
BeefHouse Toulon : –149K€
Mais peu importe. Grâce au système d’IP Box, BHI fait 224K€ de bénéfices. Et ça, c’est principalement dû aux redevances des trois chaînes :
BH by BeefHouse : 15K€ en 2015 – 21K€ en 2016
BeefHouse : 104K€ – 150K€
Maotsumy : 0€ – 97K€
Covid washing
Si personne ne conteste que les restaurants ont largement souffert du Covid, et même des changements de comportements qui ont eu lieu par la suite, il s’avère qu’en réalité, les difficultés du groupe commencent un peu avant.
Prenons l’exemple du BeefHouse Lyon. Probablement pour financer l’ouverture, la société emprunte 400K€ auprès d’un CIC local, Lyonnaise de Banque, auquel viendront s’ajouter 920K€ de BNP.
On est en 2017, alors les conditions sont cools : 1,34 % sur 5 ans, avec une franchise de 6 mois. Un an plus tard, la banque ferme le compte de l’entreprise, suite à un découvert de 15K€, et prononce la déchéance du terme du prêt en février 2019, exigeant les 391K€ restants immédiatement. BeefHouse Group, caution, est assigné par la banque pour 406K€, incluant le découvert, mais la holding argue que Covid, bla-bla-bla. En décembre 2020, le tribunal rejette la demande, ce qui sera confirmé par la cour d’appel en février 202212. Parce qu’à deux reprises, BeefHouse Group demande un délai sans expliquer clairement comment la holding compte payer, surtout autant d’années après.
Mais bon, les échecs, ça arrive.
En mai 2019, BHI Finance est placée en faillite par un tribunal luxembourgeois13. Interrogé, Laurent Villa dément dans un premier temps, puis, devant la question plus détaillée, explique que la faillite a été rabattue.
Selon une source judiciaire luxembourgeoise, la faillite portait sur une créance d’1M€+ d’arriérés en charges sociales et a effectivement été rapportée14 en 2020. Pourtant, Laurent Villa me certifie que la société n’a toujours pas été liquidée, et qu’elle ne serait plus en faillite suite à la décision.
C’est factuellement faux.
L’entreprise est de nouveau en faillite depuis mai 2025, alors qu’elle n’a plus publié ses comptes depuis 5 ans. Et elle est en cours de liquidation.
S’il n’a pas été possible d’obtenir un état exact des créances, il est fort probable que plus de 6M€ soient plantés. Selon un créancier de 2017, les coupons de 2018 et 2019 ont été payés, mais celui de 2020 ne l’a été qu’à moitié, et depuis, plus aucun versement n’a été fait. Ce même investisseur affirme que Laurent Villa lui a annoncé que BHI avait été liquidée en mars 2023, mais qu’en tant que « homme de parole », il lui proposait de transférer la dette sur RX Venture, via un protocole que l’investisseur va signer. Et dont… il n’aura jamais aucune nouvelle. Ce témoignage a d’ailleurs été adressé au tribunal de Grasse durant l’été 2025, afin de donner du poids à une plainte contre Laurent Villa.
Proposition de Laurent Villa à l’investisseur créancier de BHI Finance en 2022, initialement refusée.
Reste que pendant des années, la valeur de BHI ne va cesser de diminuer, à l’inverse de l’endettement, et le montant des participations dans les restaurants s’effondre jusqu’en 2019. C’est-à-dire qu’avant le Covid, un an avant Raizers, deux ans avant SquareStones, trois avant Tudigo, une partie des restaurants allaient déjà très mal.
Certes, et c’est pour ça que j’ai commencé avec l’organigramme, ça ne concerne qu’une partie des restaurants. Mais ça donne de premières indications.
Bilans reconstitués de BHI Finance, de 2016 à 2020
Reste qu’entre les deux confinements de 2020, Laurent Villa sollicite Olivier Tugaut pour un projet de « restructuration [du] groupe, de désendettement, et notamment le remboursement de la dette senior et junior de […] BHI Finance ». Mais très rapidement, Tugaut annonce vouloir revendre ses parts, et démissionne de toutes ses fonctions à la fin de l’année, son CDI comme son rôle d’administrateur. Suivi de Christian M. . Et on voit mal comment l’entreprise pourrait s’en sortir vu la tête des bilans depuis la création. Les capitaux propres n’ont été positifs que la première année, et depuis c’est la débandade.
Au moment de la séparation, en 2020, il restait donc 6,1M€ sur les obligations levées, et environ 4M€ de dettes aux associés, principalement envers Olivier Tugaut. Que Villa déclare sans détour ne pas vouloir rembourser, suite à la brouille entre eux.
Un an après son départ, Olivier Tugaut réclame à BHI ses 2M€ et ses 850K€ d’intérêts, à trois reprises pendant l’année 2022, pour Neo Capital et L’Arche de Néo, dont l’échéance est fin 2022. Sauf qu’il n’y a plus rien dans les caisses, évidemment. Tugaut ne l’ignore pas. En avril 2023, c’est un cabinet d’avocats qui passe à l’action, ajoutant les frais de retour, ce qui amène le montant à 3,2M€.
Mais alors, que se passe-t-il de l’autre côté des restaurants, chez Clav ?
Eh bien globalement : la même chose, dans les mêmes proportions et sur la même période.
Bilans reconstitués du Group Clav, de 2015 à 2020.
Et si le passif explose en 2019, c’est parce que Group Clav lève 6M€ en obligations. Sauf que la holding luxembourgeoise aussi est en difficulté. Fin 2018, Clav accorde un prêt de 200K€ sur 12 ans à Laurent Villa. Ce n’est pas courant, mais pas non plus illégal. Cela dit, la question du conflit d’intérêts se pose forcément, puisque Laurent Villa est signataire et bénéficiaire, le second signataire est sa compagne, et le troisième leur avocat. D’autant que l’entreprise ne prend pas la moindre garantie, et offre des conditions particulièrement souples pour le remboursement.
Côté finances, c’est une catastrophe et les impayés s’enchaînent, au point que plusieurs huissiers passent dans les bureaux. En novembre 2021, une saisie pour vente forcée est effectuée par l’État luxembourgeois pour purger plus de 50K€ de dettes fiscales… mais aucun bien n’est trouvé.
Certes, BHI ne détient pas directement les restaurants, et vit sur les royalties, mais la dette a servi ces restaurants, ce qui amène forcément à penser que l’exploitation se passait déjà très mal. Ce que semble confirmer les comptes de Clav.
Et la situation ne va pas aller s’en s’améliorer
🗼La Tour Montparnasse infernale
Previously, chez RX
Après avoir emprunté auprès de diverses banques et contacté des fonds, Laurent Villa se tourne en octobre 2020 vers le crowdfunding. L’opération à 2M€ lancée sur Raizers vise à financer l’ouverture d’un restaurant Tribeca à Paris, dans la gare Montparnasse. Une société, TMP, est créée quelques jours plus tôt, détenue par Clav.
Il s’agit du premier restaurant parisien de Villa « avec Altarea, [qu’ils ont] hameçonné grâce au succès du Tribeca de Cap 3000 15 ». Avec est un bien grand mot. Villa s’engage sur un bail à 600K€ HT/an : on est loin de la joint-venture. Mais bon, c’est le jeu de la communication.
Le financement sur Raizers, sur 60 mois à 7 %, lui permet un remboursement par tranches de 25% dès la 2ᵉ année, contre sa caution personnelle et celle de sa compagne, une GAPD sur Clav16, ainsi que le nantissement d’un fonds de commerce… qui n’existe pas encore. Ce projet aurait un budget de 4,7M€, dont 500K€ de BFR et 4,2M€ pour les travaux, selon les documents consultés :
3,5M€ en obligations Raizers ;
1M€ en fonds propres ;
200K€ de subvention d’Altarea, le bailleur.
Sauf que Raizers ne lève finalement que 2M€, soit le minimum pour boucler le projet.
Un peu avant de signer la levée, en mars 2021, Laurent Villa annonce dans la Tribune Côte d’Azur une levée de 4,5M€ pour développer RX, notamment sur la partie industrie et Tribeca17 dont je n’ai plus trouvé aucune trace.
Mais quelques mois plus tard, en novembre 2021, Laurent Villa lève 15M€ pour RX Venture, par l’intermédiaire de SquareStones, qui regroupe 7 investisseurs suisses afin de financer deux projets distincts :
L’ouverture du restaurant Tribeca à Montparnasse ;
Le financement d’une usine de 4 000 m² à Mouans-Sartoux, pour RX Industries.
En réalité, il s’agit d’un financement de 15M€ en trois tranches.
Si l’opération prévoyait trois tranches de 5M€, il ne reçoit finalement que 3,4M€ pour commencer.
Puis, l’année suivante en 2022, Laurent Villa apparaît une dizaine de fois sur Tudigo, pour des projets immobiliers (qui feront l’objet d’une future newsletter dédiée), et trois fois pour le financement de restaurants Tribeca.
Le problème, c’est qu’en 2025, l’intégralité de ces restaurants a fermé :
RX Industries, qui portait l’usine de Mouans-Sartoux, a été liquidée ;
Tribeca Marseille n’a jamais ouvert ;
Tribeca Toulon non plus ;
Tribeca Montparnasse encore moins.
Interrogé, Laurent Villa explique tour à tour que c’est à cause du Covid, des investisseurs, des banques, de ses ex-associés ou de ses bailleurs. Mais les dates ne collent pas vraiment.
Parce qu’en octobre 2020, quand il arrive sur Raizers, cela fait des mois que le Covid est installé. Quand il lève via SquareStones, le dernier confinement est terminé depuis 6 mois. Et quand il se finance sur Tudigo, on est déjà fin 2022…
La réalité semble plus prosaïque : en plus des problèmes déjà évoqués, le groupe était déjà en difficulté.
C’est quoi les bails ?
Le premier point qui interpelle sur le financement de ce projet, c’est que les trois emprunteurs sont différents :
Sur Raizers en 2020, c’est TMP, filiale de Clav ;
Chez SquareStones, c’est RX Venture, créée en 2021, filiale de Be@liv, qui n’a donc aucun lien capitalistique avec TMP, si ce n’est d’avoir un actionnaire-dirigeant commun ;
Chez Tudigo, la documentation commerciale parle d’un restaurant filiale de RX Retail, elle-même filiale de RX Green Venture… qui désigne en réalité RX Venture, puisque RX Green est une filiale de RX Venture.
EDIT 05/08/2025 9H30 : un document parvenu après publication montre qu’à fin 2022, TMP est détenu à 70% par RX Venture.
Mais il y a deux autres détails qui attirent mon attention sur le contrat entre TMP et Raizers18.
Comme dirait France : « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup. »
Premier point : les travaux de dépollution. Le contrat conjugue au passé, semblant indiquer que les travaux sont terminés. Mais en juillet 2023, Laurent Villa indique à Raizers que ces travaux ont retardé le projet de 8 mois, puis de 20 mois à cause de « litiges administratifs » avec la mairie.
Deuxième point : le bail. On pourrait croire qu’il s’agit d’un bail commercial traditionnel. Interrogé spécifiquement sur ce point, Villa me confirme oralement qu’il s’agit bien d’un bail de 9 ans, puis par écrit qu’il s’agit de celui « communiqué dans les dossiers de financement ».
Voici ce bail présenté par Laurent Villa à Raizers, signé par Frédéric Laloum d’Altarea :
9 ans reconductible, avec indemnité d’éviction si refus de renouvellement ;
600K€ HT HC/an ;
Franchise de 4 mois ;
Réduction régressive (200K€ en Y1, 100K€ en Y2) ;
150K€ de GAPD.
Mais ce n’est pas le vrai bail.
Laurent Villa a donné un faux : il a en réalité signé un bail précaire de 3 ans, le 31 juillet 2020.
Le bail réel, je l’ai obtenu, et j’ai pu en confirmer la véracité.
Ce bail dérogatoire de 3 ans était assorti d’une side letter de Sorac, filiale d’Altarea, permettant une extension de 10 ans, dont 6 ans fermes, si le CA du restaurant atteignait 4,5M€ HT.
Dès lors, le bail passait à 635K€ HT HC/an + 14 % du CA HT.
Ce n’est évidemment pas un détail, puisqu’il avait aussi fait tiquer le pool d’investisseurs suisses de SquareStones.
En off, un membre du groupe m’explique que « jamais » il n’aurait investi dans le projet s’il avait eu connaissance du bail. Parce que cela implique que le bail se terminait le 30 juillet 202319, et qu’il restait alors 19 mois à Laurent Villa pour finir les travaux, ouvrir et faire 4,5M€ de CA. Ce qui est clairement irréaliste.
Chez Tudigo, leurs analystes avaient bien reçu le bail précaire, à qui il restait, entre la levée fin 2022 et la fin du bail… moins d’un an. De fait, on est quand même en droit de se demander : comment un tel projet a-t-il pu être validé ?
Et visiblement, pour Laurent Villa, ce n’est pas un détail non plus. Il n’avait pas très envie que ça se sache. Puisqu’alors qu’il doit répondre à l’assignation des investisseurs SquareStones, il écrit :
[Eric] Agnetti, est l’avocat de Laurent Villa et de ses sociétés dans plusieurs affaires, notamment celles contre les investisseurs SquareStones - Fin 2023
Note : j’ai longtemps hésité à prendre le risque légal de publier cette image, puisque c’est une atteinte au secret des correspondances. Mais ces messages ne sont pas une communication avec un avocat, ne sont dans aucune instruction à ma connaissance, et sont évidemment d’intérêt général puisqu’ils permettent d’illustrer un mensonge qui a clairement nui à des investisseurs, dans le cadre d’un appel public à l’épargne.20.
En réalité, Sorac résilie le bail de TMP en mai 2023, invoquant les 2,2M€ dus par trois autres restaurants. Et on arrive ici sur un sujet (encore une fois) un peu technique.
Quand Laurent Villa signe le bail de Montparnasse, TMP n’existe pas encore. Le contrat stipule que Laurent Villa devait être associé et mandataire de la société à créer.
Ce qu’Altarea conteste après coup, arguant que Villa n’est ni dirigeant ni actionnaire direct, mais bénéficiaire effectif à 85 % via Clav. De son côté, Villa argue que Sorac prend une décision sur la base d’impayés de sociétés distinctes, non liées juridiquement. Ce qui est vrai… ou pas.
Sur les impayés
Tribeca Cap 3000 appartient à Group Clav ;
BeefHouse Toulon également ;
BeefHouse Aix est un cas particulier, co-créé par Jean-Christophe B. et Gabriel Villa (le père de Laurent), mais semble avoir atterri dans l’escarcelle de BHI Finance, probablement lors de la mise en place de l’IP Box.
Sur le bail
Si on décide qu’il est dans TMP, financé par Raizers, alors c’est une filiale de Clav, donc on est bien dans le même groupe ;
Si on décide qu’il est dans RX Venture, financé par Tudigo, alors il n’y a plus de lien capitalistique entre les impayés et le bail.
Reste qu’il s’agit en réalité moins d’un problème de lien capitalistique que d’une confiance rompue entre un entrepreneur et un partenaire.
🥸Les sous-doués font du financement
Soap financier
Mais revenons un peu en arrière sur Tudigo, qui va financer trois restaurants de Laurent Villa au second semestre 2022 :
500K€ pour Tribeca Marseille21, en juillet 2022
500K€ pour Tribeca Toulon22, en septembre 2022
750K€ pour le fameux Tribeca Montparnasse23, probablement autour d’octobre 2022
Pour Montparnasse, Villa annonce 675K€ de RX Retail en CCA, et offre une GAPD sur RX Green Venture24.
Et le timing est quand même sacrément étrange : nous sommes en octobre 2022, et Laurent Villa cherche 750K€ pour financer des travaux à 1,4M€ (selon lui), censés être finis depuis 18 mois, pour un restaurant censé être ouvert plus d’un an avant, alors même que depuis deux ans, il n’a jamais eu accès à la coque.
Mieux : pour montrer à quel point le groupe est solide, une slide présente tous les restaurants. On peut bien se demander qui a validé de parler d’une ouverture « fin 2022 » pour un restaurant dont les travaux non commencés sont en financement en octobre 2022…
Dans le même genre, Tudigo rassure ses investisseurs en expliquant que le groupe a déjà réalisé « 5 levées en obligations » pour 3,1M€, avec 0 retard et 0 défaut. A priori, cela fait référence à :
325K€ à une date indéterminée, probablement entre 2018 et 2019, pour BeefHouse Group, qui n’a aucun lien capitalistique avec ces opérations ;
1,7M€ fin 20192526, qui a visiblement été annulée parce qu’elle aurait dû être lancée au début du Covid ;
Et sans doute des opérations immobilières, qui n’ont pas encore donné lieu à des versements de coupons.
Et tout ça, sans visiblement avoir vérifié la réalité de la santé des restaurants, ni avoir pu y accéder. De même que Tudigo ne semble avoir aucune difficulté à afficher un prévisionnel de 4,6M€ de chiffre d’affaires sur 12 mois en 2023, ce qui nécessiterait donc d’ouvrir dans deux mois alors que les travaux n’ont pas commencé. Ce chiffre est par ailleurs très inférieur aux 7,6M€ annoncés chez Raizers. Le tout pour une prétendue SAS Tribeca Montparnasse, qui n’a jamais existé, et qui permet à Tudigo de noter, sur une échelle de 1 (très risqué) à 4 (peu risqué), une jolie couleur vert clair correspondant à 3.
Pour achever de convaincre à quel point la plateforme n’en a rien à carrer ni des investisseurs ni du projet, la slide sur les risques déborde, et personne ne semble avoir remarqué que la ligne « Situation financière » n’est même pas lisible. Alors que, quand même, c’était sans doute le point le plus important…
Cela dit, la question même de la faisabilité se pose. Parce que quand le dossier était arrivé chez Raizers, il était question de :
4,7M€ de budget
- 200K€ de subvention par Altarea
- 2M€ de Raizers
Soit 2,5M€ restant à trouver.
On peut déjà s’étonner qu’autant d’argent ait été dépensé alors même que les travaux n’ont jamais débuté. Laurent Villa explique qu’il a dû commander du matériel, payer des frais, etc. Certes. Mais que s’est-il passé entre fin 2020, où les 2M€ arrivent, et fin 2022 ? Autrement dit :
Pourquoi le budget n’est-il toujours pas bouclé, notamment via la levée de SquareStones ?
Qu’est-ce qui a suffisamment évolué dans les négociations avec Altarea pour justifier qu’à cette date précise, les travaux pourraient débuter, alors qu’il ne s’était rien passé depuis deux ans ?
D’autant qu’entre-temps, le projet RX Industries s’est planté.
Les temps modernes
L’idée de RX Industries, c’est de centraliser des productions, afin que le restaurant d’une ville X bénéficie du même pain ou des mêmes desserts que celui d’une ville Y, ce qui permet d’uniformiser les expériences et de rationaliser les goûts. Une première chaîne de production est ouverte, puis une deuxième plus petite, et l’objet du financement de ce nouveau projet, c’est de réunir les deux au sein d’une même usine. RX Industries obtient notamment un financement de 200K€ de la région PACA, qui mentionne un coût total de 6,2M€ pour le projet.
Quatre locaux sont loués auprès de Valimmo, foncière locale et société de gestion régulée par l’AMF, qui possède énormément de lots dans le coin. Contrairement à ce qui est annoncé auprès des investisseurs et de la région, ce n’est pas RX Industries qui signe le bail, mais BeefHouse Group, la holding des restaurants. Un choix bien étrange, puisqu’il fait reposer la charge sur Group Clav (anciens restaurants), au lieu d’être sur la branche RX Venture / RX Industries, qui porte le nouveau projet et a reçu les fonds. Sur les quatre locaux loués, un seul sera finalement aménagé.
Mais dès avril 2022, les premiers impayés surviennent. Le bailleur assigne BeefHouse Group, qui accepte à l’audience de septembre 2022 de quitter les lieux et de perdre son dépôt de garantie, en échange de l’abandon de l’impayé.
Cet échec tend les négociations avec le pool suisse. Car durant tout l’été 2022, Laurent Villa négocie activement, alors que les investisseurs n’ont mis que 3,4M€ sur la première tranche, pourtant initialement prévue à 5M€. Eux s’étonnent que l’ouverture prévue pour le T2 2022 (et même 2021 pour Raizers) n’ait pas eu lieu, que les travaux n’aient toujours pas commencé, et s’opposent même aux financements Tudigo, qu’ils trouvent beaucoup trop chers (12 % contre 7 % pour leurs OCA).
Pire : en octobre 2022, alors que RX Venture finit ses levées sur Tudigo, les intérêts ne sont pas payés aux investisseurs de SquareStones. Et ils ne le seront plus.
Ce qui amène forcément la question suivante :
Puisque le pool suisse n’allait plus mettre d’argent ;
Que les structures étaient déjà en difficultés ;
Que les relations avec Altarea étaient dégradées ;
Que la coque n’avait pas été livrée ;
Que les travaux ne pouvait pas avancer ;Pourquoi lever des fonds sur Tudigo ?
Et puisqu’aucun des trois projets Tudigo n’a abouti, où donc est passé l’argent ?
Parce que les relevés de comptes des structures début 2023, soit quelques mois à peine après les levées pour des travaux qui n’ont visiblement pas été faits, montrent que le restaurant de Marseille n’a plus les fonds de Tudigo.
En rouge, 2 des 3 sociétés financées par Tudigo, qui montre que les fonds ne sont plus sur les comptes de Tribeca Marseille
🪙 Impayé vaut mieux que deux tu l'auras
Laurent Villa affirme qu’il aurait attaqué Altarea pour 2,4M€ de dommages et intérêts pour la rupture abusive du bail de Montparnasse. Mais l’historique des sociétés montre de nombreux impayés dans tout le groupe. Au BeefHouse Toulon, à l’Avenue 83 (bailleur : Altarea), plusieurs autres factures sont restées impayées, notamment une de près de 150K€ pour des travaux… de 2016, lors de l’ouverture du restaurant. Six mois après le chantier, la société EGCM, qui a subi l’impayé, a même fini liquidée, et le liquidateur a clairement pointé le chantier comme cause directe du défaut27.
La même histoire se passe en parallèle au Tribeca Marseille, porté par Seven FR, que Villa qualifie de vaisseau amiral du groupe. Selon mes informations, là encore, 1,6M€ d’impayés de loyers envers Hammerson. En conflit avec un voisin pour une histoire de fuite qui dure depuis des mois, le restaurant galère avant de signer un nouveau bail à l’été 2022, réduisant le passif à 600K€. Mais au moment de signer, Villa conteste le bail pour éviter de payer le million d’euros de droit d’entrée.
Pareil au centre commercial Mon Grand Plaisir28 de… Plaisir : le restaurant Tribeca installé en 2019 reçoit un commandement de payer de 283K€ en janvier 2022, puis une assignation pour résiliation du bail.
On parle de plus d’un an de loyer.
Quelques mois avant les trois levées sur Tudigo.
Seven est condamné en première instance à payer ses 450K€ d’arriérés de loyers (le temps file…) et une indemnité d’occupation. Tribeca quitte finalement les lieux en avril 2024, après plus d’1M€ d’impayés. Il devient difficile d’attribuer cela au Covid.
Quant au BeefHouse Grenoble, ouvert au sein de La Caserne de Bonne, un centre commercial, le bail est pris mi-2015 et pendant trois ans, aucun loyer ne sera payé29. Puis les travaux seront abandonnés. En 2020 pourtant, il est toujours question de l’ouverture30, mais l’autorisation n’arrivera qu’en août 2021, et le restaurant fermera rapidement. À sa fermeture, aucun loyer n’aura été payé, laissant une ardoise de 1,3M€ au bailleur. Ou 17K€ à un brasseur, dont les factures sont restées impayées, même avant le Covid.
Ou encore au BeefHouse Lille, qui affiche 840K€ d’impayés en novembre 2021, alors que toutes les levées arrivent. Là encore, Laurent Villa invoque le Covid, mais le bailleur Westfield démontre que les impayés dataient… d’avant le Covid31. BeefHouse est donc expulsé.
Et l’histoire se répète de très nombreuses fois :
Un prêt bancaire de 90K€ du CIC Nord Ouest, en défaut en février 202232 ;
Un prêt brasseur de 85K€, en défaut le mai 202233.
Laurent Villa se défend alors en expliquant que le Covid, ce n’est pas juste le confinement, mais plus largement des changements de comportement, dans les commerces ou les cinémas, qui font baisser la fréquentation des centres commerciaux, et donc ses chiffres. Sauf que c’est précisément ce qui est marqué dans la documentation commerciale diffusée sur Tudigo.
Ces impayés permettent probablement de comprendre pourquoi les deux autres projets financés sur Tudigo, en plus de Tribeca Montparnasse, n’ont jamais eu lieu. Dans les deux cas, il s’agissait de transformer des BeefHouse, côté Clav, en Tribeca, côté RX Venture.
Est-ce que les impayés du BeefHouse Toulon envers Altarea ont fait avorter le projet ? En tout cas, ils existaient avant la levée sur Tudigo, et se sont aggravés jusqu’en juillet 2024, date de la fermeture définitive du restaurant. Dans tous les cas, les travaux ne semblent jamais avoir eu lieu, comme me le confirme un cadre du centre commercial.
« Je n’ai pas eu connaissance de travaux et encore moins de changement d’enseigne. »
Même histoire pour le Tribeca Marseille. Le BeefHouse a fermé ses portes en juillet 2022, et n’a jamais changé de marque. Là encore, un responsable des Terrasses du Port, le centre commercial, est formel :
« Quand le BeefHouse a fermé, sa vitrine a été stickée Tribeca, mais rien n’a jamais eu lieu après. »
On a donc 1,75M€ levés sur Tudigo qui n’ont non seulement jamais permis l’ouverture d’un restaurant, mais dont on peut sérieusement se demander où sont passés les fonds. À cette question, Laurent Villa me répond sans hésitation :
« Les fonds levés étaient destinés aux projets à financer. »
Une réponse qui laisse songeur, car dans le cas des dossiers immobiliers (dont nous reparlerons prochainement) Laurent Villa n’hésite pas à expliquer que les fonds naviguent de société en société et sont centralisés via une convention (parfaitement légale) de trésorerie.
Cela dit, une troublante coïncidence pourrait amener à penser le contraire.
Merry Christmas
Quelques jours après Noël 2021, les 55 investisseurs de Raizers ont la mauvaise surprise de découvrir que le coupon34 de novembre, puis celui de décembre, sont en impayés. Laurent Villa sort la carte du Covid, encore. Soit. Sauf que le retard continue…
En février 2022, seule la moitié des intérêts est versée. Laurent Villa promet le solde pour mars, puis pour juin. Les versements arrivent au compte-gouttes, toujours en retard, toujours incomplets. Les excuses s’enchaînent. Notamment les retards considérables, selon une communication adressée par Raizers :
8 mois de dépollution par SORAC–Altarea ;
Puis 10 mois supplémentaires de travaux.
Alors que la dépollution était déjà censée être faite, et que les travaux entrepris par Laurent Villa, notamment via sa société BuildUp, n’ont jamais commencé.
Le paiement devient presque un running gag dans les communications envoyées par Raizers à ses investisseurs, un classique malheureusement retrouvé dans de très nombreux dossiers de crowdfunding, où les porteurs de projets choisissent bien souvent la fuite en avant.
Puis soudain, le 12 novembre 2022, Villa règle 500K€ d’un coup : sa première échéance. D’où vient cet argent, alors que le restaurant n’est toujours pas terminé, et que la société opérationnelle ne dégage pas un euro ? Étrangement, ces fonds arrivent quelques semaines après une des levées sur Tudigo.
Interrogé spécifiquement sur ce virement, Laurent Villa explique cette fois que le cash est centralisé via RX Venture, et que ces 500K€ ne sont donc pas « forcément » ceux de Tudigo. L’argent n’a pas de couleur.
Selon lui, ces fonds, levés dans le cadre du Tribeca Marseille, devaient servir à « racheter le fonds de commerce ». Qui appartenait à Seven FR / Clav. Et qui amène à penser à une sorte d’opération où tous les actifs ont été sortis de la branche Clav / BHI pour être reconstitués sur la branche RX Venture.
Quoi qu'il en coûte
Ce comportement pourrait s’expliquer par le fait que la branche Seven / Clav a contracté pas mal de dettes à la sortie du Covid, notamment en PGE. 2M€ rien qu’avec la CECAZ35.
Reconstitution des dettes obligataires auprès de la Caisse d’Épargne Cote d’Azur.
* Première échéance ou première tranche non réglée.
** Principal, intérêts et indemnités arrêtés au 05 / 12 / 2023 (ou date la plus proche indiquée).
La banque finira d’ailleurs par activer les cautions de Laurent Villa et Chloé Albertini, qui, en échange de l’effacement d’une partie de la dette, acceptent de payer 900K€ avant le 31 décembre 2024. Dette qui ne correspond en réalité qu’aux découverts et aux crédits des entreprises, et en aucun cas aux PGE, dont elle n’essaye même pas de valoriser les pertes, et qui finiront probablement dans un dossier Bpifrance, où la banque se fera rembourser à 90 %. « Quoi qu’il en coûte », qu’il disait.
Est-ce que les différents investisseurs avaient connaissance de ces impayés ?
A la question « Quand les investisseurs suisses signent en décembre 2021 et que Tudigo signe mi-2022, est-ce que certaines sociétés ont déjà des impayés de crédit », Laurent Villa répond :
« Très honnêtement je ne pense pas et je ne comprends pas votre question qui peut sous entendre que j’aurais caché quelque chose aux investisseurs suisses. Je vous rappelle que je les ai assigné pour 76M€ en DEI !!! Ce genre d’investisseurs ne fonctionne pas à la légère et tous les audits préalables ont été menés par eux avant d’investir. »
Selon d’autres sources, La Banque Postale et la Société Marseillaise de Crédit auraient également accordé des PGE à plusieurs entités, dont BeefHouse Marseille et BeefHouse Group.
On retrouve également de nombreuses sûretés liées à des crédits-baux, ce qui est plutôt classique, ou des fonds de commerce :
178K€ de Seven FR pour BeefHouse Marseille, au profit de Natiocredimurs ;
180K€ pour un nantissement de la plupart des fonds de commerce au profit du CIC Est ;
6M€ pour un nantissement de la plupart des fonds de commerce de Seven FR au profit de Diis ;
660K€ pour le fonds de commerce de Marseille, auprès du Crédit Agricole ;
480K€ pour le fonds de commerce de Plaisir, à La Banque Postale ;
etc.
Ce même registre permet aussi de voir une partie des ardoises sociales laissées par les sociétés :
26K€ d’URSSAF pour BeefHouse Marseille ;
40K€ pour Seven FR, 25K€ pour RX Retail ;
16K€ pour RX Build, 25K€ pour RX Industries ;
211K€ d’impôts pour BuildUp ;
163€ d’URSSAF et Klesia à Toulon ;
347K€ d’impôts pour BeefHouse Group ;
233K€ d’impôts pour Alvil Gestion ;
etc.
Reste que la somme négociée avec la CECAZ n’a pas été payée à temps. Selon Laurent Villa, le dossier aurait été soldé en mai 2025. Comment ?
« La Caisse d’Épargne avait pris des hypothèques provisoires sur les biens de Chloé Albertini. »
Reste à savoir lesquels. Parce que comme on le verra dans le prochain épisode, la frontière entre ce qui est à Albertini ou à Villa n’est pas toujours très claire. Ce qui l’est, par contre, c’est qu’en 2024, la CECAZ demande la saisie des parts de Casa Isula, qui détient une villa en Corse (dont on reparlera dans… bla-bla-bla).
Le nantissement devient définitif en mai 2025.
Mais à ce jour, il n’apparaît plus au registre des sûretés mobilières, ce qui semble indiquer que la dette a été payée. Par ailleurs, une augmentation de capital a rendu les parts de Laurent Villa très minoritaires, et à ce jour, les bénéficiaires effectifs de Casa Isula sont Chloé Albertini (46,55 %) et son frère Vincent (48,45 %).
Quant à savoir qui a payé, et quand… Impossible de savoir si Laurent Villa a payé de sa poche, et si un énième mouvement interne a eu lieu.
Échangisme structuré
Ce système de mouvement de fonds centralisés est la marque de fabrique de Laurent Villa, et on le retrouve partout. Prenons la transformation du BeefHouse Cannes en Tribeca Cannes.
En avril 2022, Villa annonce lors d’un board la transformation de ce restaurant avec sa terrasse de 350 places sur les Allées de la Liberté, qui est aussi le nom de la société, visant 3,5M€ de chiffre d’affaires annuel. Le site rouvre le 15 mars sous le label Tribeca, présenté comme un des milestones majeurs de RX Venture.
Extrait d’un compte rendu de réunion
Les comptes racontent une autre histoire. Au 31 mars 2022, les intercos de RX Venture affichent une créance de 1,1M€ sur la société Tribeca Cannes, décrite comme :
« filiale de RX Retail dont l’actionnaire est RX Venture. Filiale à 5 % puis 49 %. »
Bilan de RX Venture
Sauf que la société Tribeca Cannes n’existe pas. Six mois plus tard, la créance de Tribeca Cannes disparaît des comptes, remplacée par une ligne de 1,22M€ sur une société Allées de la Liberté, qui exploite effectivement le BeefHouse Cannes, mais sans aucun lien capitalistique avec RX Venture, puisqu’elle appartient à Chloé et Vincent Albertini.
Écritures de RX Venture
À ce jour, c’est d’ailleurs le seul restaurant qui est toujours ouvert.
🕰️ Snap back to reality
À partir de 2023, les courriers et autres démarches amiables se transforment en recours juridiques. Le collectif issu de SquareStones obtient une décision en référé en octobre 2023. RX Venture, après avoir tenté quelques points de procédure, explique que les OCA ne seraient encore ni remboursables ni convertibles, et qu’elles ne sont donc pas en retard. Mais le juge condamne RX Venture, aux dépens, à rembourser sans délai 3,7M€.
RX Venture fait appel de la condamnation, espérant contester l’obligation de payer. Mais les créanciers court-circuitent cette stratégie en invoquant l’article 524 du Code de procédure civile : pas de bras, pas de chocolat.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence leur donne raison en juin 2024 et refuse même d’examiner les arguments de RX Venture, disant que tant que la somme n’est pas payée, elle ne veut pas entendre l’appel. L’appel est radié, autrement dit supprimé avant même d’être jugé.
Le pool tente même de faire liquider de force l’entreprise, mais la justice refuse puisque la dette est toujours contestée par RX Venture : il faudra attendre un jugement au fond(s).
Reste que, grâce à un titre exécutoire, les créanciers tentent de saisir directement sur les comptes. Sauf qu’il n’y a plus rien :
8€ chez Qonto ;
-1’206€ à la Société Générale36.
RX Industries est immédiatement déclarée en cessation de paiement, avec 1,5M€ de passif… et 0 € d’actif. On apprend alors que le chiffre d’affaires 2023 était de 282K€. Pareil pour RX Retail : 382K€ de passif, 0 € d’actif, CA 2023 de 139K€.
Puis la majorité des sociétés d’exploitation vont y passer, comme Tribeca Cap 3000 (novembre 2023), qui laisse 2,4M€ de dettes pour 0 € d’actif, suite à l’assignation en redressement judiciaire… d’un salarié qui n’était plus payé. Ou BeefHouse Toulon, qui plante ses 25 salariés avec 2M€ de passif et seulement 11K€ de liquidité.
Il n’a pas été possible de définir clairement l’état exact des passifs, celui des sociétés étant mêlés avec ceux des groupes, où apparaissent (parfois) ceux des investisseurs mélangés avec des loyers. On a minima on obtient :
1,75M€ de Tudigo ;
3,7M€ de SquareStones ;
2M€ de Raizers ;
6M€ sur BHI ;
6M€ sur Groupe Clav ;
2,4M€ de loyer pour Altarea ;
1M€ de loyer pour Carlin (Plaisir)
1,3M€ pour La Caserne de Bonne (Grenoble) ;
2,8M€ pour CECAZ, réduit à 900K€ ;
1-2M€ pour La Banque Postale et La Société Marseillaise de Crédit.
Et plusieurs millions pour les sociétés d’exploitations en charges sociétés, salaires impayés, fournisseurs etc.
Soit probablement 20 à 30M€ au total.
À plusieurs reprises, Laurent Villa m’a expliqué qu’il contestait certaines de ses créances :
Celles d’Olivier Tugaut, son ex-associé ;
Celles du pool suisse, qu’il a assigné pour 76M€ suite à l’annulation des tranches 2 et 3 ;
Celles d’Altarea, dont il conteste le bien-fondé puisque, selon lui, il n’a pas à payer un loyer alors que les centres commerciaux étaient fermés pendant le Covid, qu’il a assignée pour résiliation abusive du bail pour 2,4M€ ;
Celles de certaines banques.
Pour autant, il explique également vouloir trouver un protocole pour rembourser les créanciers du crowdfunding, mais que les plateformes l’empêchent de leur parler directement. Parce qu’effectivement, comme je l’expliquais dans la newsletter pour laquelle Villa m’a assigné, les plateformes gardent jalousement le contact avec les investisseurs puisqu’elles sont représentantes de la masse obligataire, et donc en charge du contentieux, alors qu’elles sont initialement payées par le financé. Ce qui est un évident conflit d’intérêts, dont on voit désormais chaque semaine, dans d’autres dossiers, pourquoi c’est problématique.
Ce remboursement inclurait les 6M€ d’obligations de particuliers de BHI, Raizers et Tudigo, soit approximativement 10M€. Mais alors, avec quel argent, puisque toutes les sociétés qu’on vient de citer sont vides, et que son patrimoine personnel ne permet visiblement pas de trouver une telle somme ?
Eh bien, par deux sacrées hypothèses :
Une partie grâce aux procès qu’il compte bien gagner, contre Altarea (afin, selon lui, d’ouvrir véritablement le Tribeca Montparnasse) et le pool SquareStones ;
L’autre grâce à la revente de la Casa Isula en Corse qu’il estime à 19M€, pour laquelle il aurait 8M€ de dettes et 3,2M€ à récupérer auprès de l’État, en TVA et crédit d’impôts.
Si la première est sacrément incertaine, compte tenu des éléments précédemment expliqués et du caractère aléatoire de toute procédure judiciaire, la deuxième sera très longuement abordée dans le second épisode sur la partie immobilière. Et elle n’est guère plus certaine.
D’autant qu’à la vue des éléments passés, plusieurs procédures ont été lancées. Fin 2024, les actionnaires SquareStones déposent une plainte avec constitution de partie civile, et une autre au pénal, contre Laurent Villa et ses sociétés, parce qu’ils n’ont jamais été remboursés et qu’ils pensent que les fonds ont été utilisés à d’autres fins que l’usine de RX Industries et le restaurant Tribeca Montparnasse. Leur objectif est clair : rendre Laurent Villa personnellement responsable et obtenir une extension de passif, afin de se faire rembourser plus largement que sur les sociétés où il ne reste plus rien.
Laurent Villa accuse ouvertement les investisseurs de SquareStones de vouloir s’emparer de sa société à moindre coût, affirmant qu’il s’agit d’investissements qualifiés37 qui savaient ce qu’ils faisaient et avaient fait tous les audits nécessaires.
Rien que sur le 2ᵉ semestre 2025, au moins trois jugements sont attendus dans des procédures initiées par ou contre Laurent Villa, rien que dans l’affaire du pool suisse.
Du côté de Tudigo, après une médiation entre avril et octobre 2024, une procédure a été initiée, jointe avec le volet immobilier, et la plateforme a annoncé avoir déposé une plainte contre Laurent Villa et un signalement auprès de l’AMF. Sollicitée, Tudigo affirme que les contentieux ont « déjà donné lieu à des condamnations judiciaires »38. Et de préciser :
« Comme dans tout cas de fraude complexe, les agissements ont été masqués par des moyens sophistiqués, incluant de faux documents, indétectables ex ante malgré des diligences renforcées. »
Effectivement, le 8 juillet dernier, les sociétés de Laurent Villa ont été condamnées à neuf reprises par Tudigo, à l’issue d’une audience à laquelle elles ne se sont pas présentées :
RX Venture, 5 fois, pour 3,8M€39, au bénéfice de Tudigo, a priori sur la partie restauration, et probablement en garantie de l’immobilier ;
Be@Liv40, 4 fois, pour 3,5M€, au bénéfice de Tudigo Immobilier41.
Soit 7,4M€.
Quant à Raizers, la plateforme a demandé à un juge, en janvier 2025, de pouvoir procéder à des saisies sur les deux cautions, Villa et Albertini, et affirme vouloir activer… sa GAPD sur Group Clav. Dont on peut bien se demander pourquoi la GAPD arrive plus de deux ans après l’impayé, et comment la plateforme espère récupérer le moindre euro sur une coquille vide en RJ.
Pour sa défense, Laurent Villa évoque le rapport Talon, du nom de François Talon, l’expert-comptable mandaté par le tribunal de commerce de Cannes pour auditer le groupe en décembre 2023, et remis en septembre 2024. Selon lui, ce rapport n’aurait pas montré la moindre malversation, et au contraire prouverait la bonne gestion et la tenue de ses comptes, sur 386 pages.
Quand je lui demande s’il est possible de le lire, il me dit d’abord que c’est « une chienlit à lire », qu’il faut « demander à [ses] avocats », mais qu’il me fournira une synthèse faite par un avocat.
Sauf que la synthèse que je reçois… elle est signée de Laurent Villa.
« Merci donc d’informer vos lecteurs des éléments du rapport Talon. Si vous ne le faites pas cela confirmera votre volonté de me nuire personnellement en réponse à mon assignation en diffamation contre vous. »
Puisque c’était notre accord pour qu’il accepte de me parler, en voici les extraits les plus significatifs42 :
« Jamais mon groupe a été redressé. Cette stratégie financière et juridique lui a permis de tenir face aux difficultés de marché. […]
Ce rapport d’expertise met en avant de très nombreux points importants […] :
Ma gestion n’est pas à remettre en cause […]
Jamais il n’y a eu quelconque enrichissement personnel de ma part […]
En aucun cas les PGE ont été détournés […]
[…] La CECAZ43 elle a bien profité de l’attribution des PGE pour se
rembourser ses lignes court terme
[…]
[Je veux] au travers Rx Venture [rembourser] les prêts […] Tudigo [et ceux faits] et au travers d’autres intermédiaires, sur l’ensemble du périmètre Juridique du Groupe Be@Liv et du Groupe Clav et BHI. »
🌕To the moon
Après des mois d’enquête, il me semble assez clair que l’excuse Covid ne tient plus. Parce que la chronologie est assez limpide :
2015–2018 : le groupe se développe en empruntant beaucoup.
2019 : certaines activités montrent des signes de faiblesse.
2020 : le groupe prend de plein fouet le Covid.
2021 : plutôt que de se stabiliser, le groupe cherche à investir massivement dans les sociétés logées dans RX Venture, alors qu’il est en train de faire défaut sur certaines dettes logées dans Group Clav, qui concernent pourtant la même activité, dans les mêmes locaux.
2022 : les levées sont dès lors destinées à financer des projets qui n’ont aucun sens, alors que tout est déjà en train de s’effondrer.
Forcément, la question de la qualité des due diligence se pose sérieusement.
On peut accorder à Raizers le bénéfice du doute pour un financement en 2020. Certes, cela concerne un restaurant, en plein Covid, mais il n’est pas impossible que la situation réelle des restaurants n’était pas encore claire, et il apparaît établi que des faux documents ont été utilisés.
On peut donner le bénéfice du doute également à SquareStones, dont les investisseurs vantent le travail, et qui, en novembre 2021, a également été dupé sur le bail et n’avait pas connaissance des retards qui commençaient.
On pourrait même faire de même avec Tudigo, qui accorde quelques mois plus tard un premier financement. Mais comment expliquer la petite dizaine qui va suivre, pour près de 10M€, soit un quart de la collecte de Tudigo Immo ? Interrogé à l’époque de ma première newsletter, Stéphane Vromman me répondait ceci :
« Pour les sujets spécifiques que tu évoques, il faut être très prudent car nous citons des personnes et des acteurs. Je peux te confirmer que sur ces sujets, les diligences nécessaires ont été faites et préciser au passage qu’en notre qualité de CIP, nous n’avions pas accès au Fichier National des Interdits de Gérer. Je ne sais pas si c’est une information qu’il est légal de dévoiler publiquement. »
Force est de constater que c’est faux. Parce qu’avec le temps passant en 2022, comment était-il possible d’ignorer les difficultés croissantes des restaurants ? Les retards qui s’accumulaient, notamment sur Raizers, ce qui était facilement vérifiable. Quant à l’interdiction de gérer de Laurent Villa, il suffisait de deux clics sur Pappers (je ne sais pas ce qu’on ferait sans eux…), pour voir que Laurent Villa avait trois anciennes procédures collectives, et que dans celle de Play Distribution, une interdiction de gérer était mentionnée.
Ce qui, comme je l’ai plusieurs fois dit, ne suffit pas à disqualifier Laurent Villa à vie de toute gestion ou de tout financement. Mais qui aurait dû, a minima, provoquer un approfondissement du sujet. De même que les signaux faibles sur les restaurants, et l’absence évidence due diligence sur les sociétés mères.
Il faudra, un jour, que les plateformes et les intermédiaires comprennent que distribuer du rendement ne les exonère pas de rendre des comptes.
Et que les régulateurs leur rappellent que l’immunité n’est pas un business model.
Contactés, Vincent et Chloé Albertini n’ont pas donné suite.
Altarea Commerce a déclaré ne « pas faire de commentaires ».
Hammerson n’a pas répondu à mes questions.
Contacté tardivement, Valimmo n’a pas pu être joint
Les tribunaux d’Aix et de Grasse n’ont pas donné suite.
Les différents greffes contactés n’ont pas répondu à mes demandes de fournir les dépôts des créances.
Les plaintes déposées envers Laurent Villa et ses sociétés ne préjugent pas de sa culpabilité, et il reste présumé innocent de tous les faits dont il est accusé dans ces plaintes, ou de faits qui pourraient apparaître comme problématique à lecture de cette newsletter.
J’ai appris entre temps qu’une plainte au pénal avait été déposé en plus des autres, qui amènera à ma probable mise en examen prochaine pour diffamation, procédure assez classique.
Dont je ne mets pas le lien puisque plusieurs jurisprudences tendent à considérer un lien comme une republication ce qui relancerait le délai de prescription.
Compte courant d’associé
Tribunal de commerce / TAE de Paris, 18eme chambre, 2 décembre 2014, n° 2014046140
Tribunal de commerce / TAE de Paris, 17 ème chambre, 24 janvier 2017, n° 2016042825
Tribunal de commerce / TAE de Paris, 5ème chambre, 28 novembre 2017, n° 2017046822
L’information est précisée ici parce qu’elle m’a été confirmée par Laurent Villa, qu’elle est notée dans les documentations commerciales, et qu’elle a son importance dans l’histoire.
Laurent Villa (fondateur RX Eat), BFM Business, octobre 2020
Laurent Villa (fondateur RX Eat), BFM Business, mai 2021
Stéphane Tendero et Laurent Villa : Café et restaurants rouvrent, ou non, BFM Business, 19 mai 2021
Laurent Villa (RX Venture) : Restaurateurs, encore besoin d'aide ?, BFM TV, 15 novembre 2021
Opinion | Pourquoi 21 heures ?, Les Echos, 19 octobre 2020
Base Erosion and Profit Shifting
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-3, 24 février 2022, n° 20/12349
Cour d’appel de Luxembourg, 11 novembre 2019, CAL-2019-00604
La mention « faillite rapportée » signifie que la décision de mise en faillite a été annulée rétroactivement par la Cour d’appel.
Centre commercial à Saint-Laurent-du-Var, dont le bailleur est Altarea
Garantie à première demande
Et si le succès des circuits courts dépendait du e-commerce ?, Tribune Côte d’Azur, 11 mars 2021
Egalement disponible dans la note d’information relative à l’offre d’obligation par TMP, mise à disposition par la FSMA, le régulateur des marchés financiers belge.
Probablement 1er octobre 2023 vu les dates réelles de signature
Au sens de l’article L.411-1 du Code monétaire et financier et de la réglementation Prospectus UE 2017/1129
Tribeca Marseille lève 500 000 euros auprès de 65 investisseurs, Le Journal des Entreprises, 12 juillet 2022
Tribeca Toulon lève 500 000 euros auprès de 69 investisseurs, Le Journal des Entreprises, 2 septembre 2022
Probablement RX Venture en réalité, RX Green étant une filiale.
Beef House group veut lever 2 millions d’euros via la plateforme Tudigo, Le Journal des Entreprises, 13 décembre 2019
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, arrêt au fond du 25 mai 2023, RG n° 18/18396
Tribunal de commerce de Toulon, jugement du 17 octobre 2018, RG n° 2017J00342
Qui a validé un nom de centre commercial aussi pourri ?
Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1 6, 7 novembre 2024, n° 23/05705
De la commande à la gestion des stocks, BeefHouse digitalise la restauration, Le Journal des Entreprises, 31 août 2020
Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 10 février 2022, n° 21/03097
Tribunal de commerce / TAE de Cannes, Contentieux 1re chambre, 17 avril 2025, n° 2023F00264
Tribunal de commerce / TAE de Cannes, Contentieux 1re chambre, 17 avril 2025, n° 2023F00264
Le coupon désigne uniquement l’intérêt périodique versé à l’investisseur, à l’exclusion du remboursement du capital.
Caisse d’Épargne Cote d’Azur
La Société marseillaise de crédit, qui avait été rachetée par Crédit du Nord, a depuis été intégré à la Société Générale donc le cadre de la fusion.
Le profil des investisseurs pourraient effectivement être qualifiés de professionnels au sens de MIF-2.
Au moment au bouclage, Tudigo n’avait pas encore donné les références des dites condamnations.
Tribunal de commerce de Bordeaux, 8 juillet 2025, jugements n° 2025R00328, n° 2025R00326, n° 2025R00327, n° 2025R00333
Tribunal de commerce de Bordeaux, 8 juillet 2025, jugements n° 2025R00329, n° 2025R00331, n° 2025R00332, n° 2025R00330
TBD IMMO
Le courrier est daté du 25 septembre 2024. Il adressé au Juge Commissaire du Tribunal de Commerce de Cannes, et signé par Laurent Villa.
Caisse d’Épargne Côté d’Azur
Excellent travail salutaire sur les dérives cautionnées par les plateformes de crowdfunding.
Je me suis amusé à mettre de manière pédagogique 1500€ sur Tudigo sur une de ses innombrables levées car je voulais suivre ce que je percevais comme étant un projet bien pourri.
Cela n'a pas raté.
La nullité (au sens propre) du travail d'analyse de Tudigo a été répétée lors d'une levée de fonds pour des châteaux. La sélectivité de ces plateformes est proche du néant...
Félicitations Benjamin une nouvelle fois pour la qualité et la précision des éléments fournis. Brillant, bluffant et... éclairant sur certaines pratiques bien connues en matière de due diligence sur l'analyse des projets. Car au final, tout repose sur un seul paramètre : en dehors de ce qui est présenté, peut-on avoir confiance dans l'entrepreneur pour lui prêter ? Et cet aspect là est forcément complexe à évaluer, mesurer, dans le cadre d'une prise de décision qui est nécessairement rapide (plate-formes de levée obligataire) ET pour lesquelles le gain lié aux honoraires perçus est un one shot pour l'intermédiaire, les petits prêteurs étant les seuls à être exposés à la bonne fin de l'opération. Bref, un non-alignement des intérêts qui est préjudiciable, indéniablement. Et nous ne sommes qu'au (tout début ) de la découverte de l'iceberg monumental qui est en train de fondre. En clair, environ 1,5 Mds de dettes obligataires sont en contentieux ou pré-contentieux à ce stade sur le seul marché français, en raison, majoritairement, de ces intérêts divergents entre des plate-formes court termistes dans leur organisation, et des "petits prêteurs" non professionnels qui pensent que les plate-formes qui représentent la "masse des obligataires" sont de fins limiers de la due diligence et de la détection des entrepreneurs de confiance. Hélas, sauf exception, que nenni ! Et l'exemple cité l'illustre cruellement, chez Tudigo et Raizers comme chez les autres...