Bonjour,
Depuis quelque temps le mot défense revient un peu partout. Dans les médias, dans les hauts sommets, et même dans les VC, dont certains tentent de boucler avec le retail ce qu’ils n’avaient jamais réussi à boucler avec les instits. M’enfin, on va pas commencer cette édition en parlant de Marwan Lahoud qui pourrait bien en avoir une juste pour lui.
Ce qui est étonnant, c’est l’étrange euphémisme du mot.
Défense.
En France, on a eu un ministère de la Guerre, de 1791 à 1946, qui est devenu le ministère de la Défense. En 2017, Macron a choisi de le renommer ministère des Armées. Je n’ai pas trouvé la raison exacte, mais le nom avait déjà été utilisé en 1958 puis en 1973, soit à des périodes pas ouf ouf en termes de paix.
Reste qu’il est rigolo ce mot.
Défense.
Parce que depuis un an maintenant, il est question de financer cette défense, de consacrer 5% de son PIB à la défense, et que ce pognon, il sert ni à construire des murs avec des fils barbelés, ni à coller William Saliba et Antonio Rüdiger aux frontières pour arrêter les attaquants.
Il s’agit bien d’acheter des armes. Et une arme, ça sert autant à attaquer qu’à se défendre.
L’idée n’est évidemment pas de faire un énième appel pour la paix, ou une ode de hippie à fleurs, mais de comprendre les aspects économiques des conflits.
Bonne lecture !
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🤑 L'argent, nerf éternel de la guerre
Imaginez. Un drone iranien Shahed-136 s'approche de Kiev. Prix de revient : 20K€1. Une poignée de billets, à peine le prix d'une voiture d'occasion. Face à lui, un missile américain Patriot PAC-3 construit par Raytheon s'élance dans la nuit ukrainienne. Coût unitaire : 3,3M$. En quelques secondes, l'équivalent de 165 années de SMIC français part en fumée pour intercepter ce qui n'est, au fond, qu'un vulgaire scooter volant bourré d'explosifs.
Un ancien général français résume l’absurdité :
« Quand on tue un Shahed avec un Aster, en réalité c’est le Shahed qui a tué l’Aster »
Cette équation économique résume à elle seule le paradoxe de la guerre moderne. Jamais les conflits n'ont été aussi courts dans leur phase "chaude" : l'invasion de l'Irak en 2003 fut bouclée en trois semaines - mais jamais ils n'ont coûté aussi cher. Les guerres napoléoniennes ont saigné l’Europe pendant deux décennies. L’effort de guerre britannique, par exemple, a coûté environ 831M£, soit l'équivalent de dizaines, voire de centaines de milliards de dollars actuels selon les méthodes de conversion. La Seconde Guerre mondiale ? 4,1T€ en valeur actuelle2. Mais tenez-vous bien3 : en Ukraine, la seule reconstruction est aujourd'hui estimée à 524G€. Et le conflit n'est même pas terminé. Et donc c’était plusieurs centaines de milliards de dollars pour l’Irak. Probablement plus de 6400G$ dans les 20 années suivantes4, partagés entre l’Irak '(800G$5) et la fameuse War On Terror (Irak, Afghanistan, sécurité)6
Prenons un autre exemple tout récent : la guerre éclair de 12 jours entre Israël et l'Iran. Douze petits jours. Le temps de deux semaines de vacances. Résultat ? 12G$ partis en fumée côté israélien. Un milliard par jour de conflit.
Les chiffres donnent le vertige : 550 missiles balistiques iraniens lancés, dont seulement 31 ont touché des zones habitées. Mais ces 31 impacts ont suffi à faire trembler l'économie israélienne. Le Trésor a déjà absorbé 22G ILS7, soit 6,5G$. Et ce n'est que le début.
Car la vraie facture, elle se décompose comme un millefeuille empoisonné. D'abord, 10G ILS pour les opérations militaires proprement dites, c’est-à-dire les avions qui décollent, les chars qui roulent, les réservistes qu'il faut mobiliser. Ensuite, 5G ILS pour les dommages directs des missiles sur les bâtiments et infrastructures. L'Institut Weizmann touché. La raffinerie de Haïfa éventrée. Même la Kirya, le Pentagone israélien en plein Tel-Aviv, n'a pas été épargnée.
Mais le plus révélateur, c'est peut-être ce chiffre : entre 10 et 200M$ par jour, rien que pour faire fonctionner les systèmes de défense antimissile. Chaque interception, c’est entre 50K et 3M$ qui s’envolent – une Ferrari par tir, parfois une Bugatti. Et pendant ce temps, 40’000 demandes d'indemnisation s'accumulent sur les bureaux de l'administration fiscale. Des familles ruinées, des entreprises détruites, une économie qui vacille.
Car derrière chaque char qui roule, chaque missile qui décolle, chaque drone qui explose, il y a une facture. Et quelqu'un doit la payer. Souvent on essaye de faire payer le perdant. Et ces dettes de guerre ont la vie dure. Le Royaume-Uni n'a fini de rembourser ses emprunts de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis qu'en... 20068, soixante ans après la fin du conflit. L'Allemagne, elle, a versé en 2010 ses toutes dernières indemnités du traité de Versailles9. Oui, vous avez bien lu : l'Allemagne payait encore pour la Première Guerre mondiale au XXIe siècle.
Face à l'urgence, les États innovent pour trouver de l’argent. Asphyxiée économiquement dès 2022, l’Ukraine a osé une première : lever 277M$ en war bonds10, des obligations de guerre vendues sur les marchés financiers. Une goutte d'eau face aux besoins, mais symboliquement forte. Même les groupes armés s'adaptent : le Hamas et d'autres organisations terroristes se sont tournés vers les cryptomonnaies pour contourner les sanctions bancaires. Le FBI a saisi 200K€ sur ces portefeuilles numériques en 2023, la pointe émergée d'un iceberg financier souterrain, et qui dépasse largement les cryptos qui jouent un rôle croissant, mais minoritaire.
🪖 De la guerre artisanale à l'industrie de mort
La guerre a toujours coûté cher. Cette vérité élémentaire traverse les siècles avec une constance troublante. Depuis que l'humanité a inventé l'art de s’étriper allègrement de manière organisée, elle a dû trouver, en parallèle, l'art de financer son loisir mortifère. Car paradoxalement, détruire nécessite parfois plus de ressources que construire. C’est une évidence pour n’importe gérant de fonds moisi de la place, mais ce n’est pas une connaissance universelle.
Reculons d’un (grand) pas. Dans l'Antiquité, le modèle économique de la guerre était d'une brutalité limpide : on pillait l'ennemi vaincu. Simple, efficace, direct. Carthage en fit l'amère expérience après sa défaite face à Rome lors de la Première guerre punique. Le traité de Lutatius (241 av. J.-C.) contraint la cité marchande à s'acquitter d'un tribut écrasant de 3’200 talents d'argent - environ 82t. de métal précieux, payables sur dix ans avec 1’000 talents immédiatement. Une somme colossale pour l'époque, équivalant à plusieurs années de revenus pour la puissance vaincue. Et comme si cela ne suffisait pas, Rome s'empara aussi de la Sicile, grenier à blé de la Méditerranée et carrefour commercial stratégique. Double peine : payer et perdre ses sources de revenus. C'était le prix de la paix, ou plutôt le coût de la défaite. La guerre se finançait elle-même, pourvu qu'on gagne.
Au Moyen Âge, les choses se compliquent. Les croisades nécessitent des financements considérables, et piller Jérusalem ne suffit plus. En 1188, apparaît la dîme saladine - non pas le premier impôt de l'histoire, mais bien la première taxe militaire levée simultanément et de manière centralisée dans plusieurs royaumes européens pour financer la Troisième croisade. Dix pour cent sur les revenus et les biens meubles - un choc fiscal qui provoque de telles contestations en France que Philippe Auguste doit la suspendre dès 118911. L'impopularité de l'impôt de guerre, déjà. Les Templiers, mi-moines mi-banquiers (et re-mi-moines derrière), développent avec les Hospitaliers un système bancaire avant l'heure : lettres de change, dépôts sécurisés, transferts internationaux12. Un chevalier pouvait déposer son or à Paris et le retirer en Terre sainte. La mondialisation de la finance au service de la guerre sainte - la première banque multinationale du Moyen Âge était née.
Les XVIIe et XVIIIe siècles marquent une révolution : la naissance de la dette publique moderne. En 1694, la Banque d'Angleterre voit le jour avec une mission claire - prêter au gouvernement pour financer la guerre contre la France. C'est l'acte de naissance de l'État emprunteur permanent. Les guerres ne se paient plus seulement avec l'or des coffres royaux ou le sang de l'ennemi, mais avec des promesses de remboursement futur. Une innovation majeure qui permet de mobiliser des ressources considérables... et de léguer l'addition aux générations suivantes. La France, engoncée dans sa monarchie absolue, résiste longtemps à ce modèle et ne créera une véritable dette consolidée qu'après la Révolution.
Puis viennent les guerres napoléoniennes, apothéose d'un système où "la guerre nourrit la guerre", selon formule de l'Empereur himself. Napoléon transforme l'Europe en vache à lait : contributions forcées, pillages organisés, réquisitions systématiques. La Prusse doit verser 311M francs après Iéna, l'Autriche saigne 75M puis 164M supplémentaires13. Les armées françaises vivent sur le pays conquis, transformant l'occupation en modèle économique. Mais cette mécanique a ses limites : quand la Grande Armée s'enfonce en Russie en 1812, elle découvre la terre brûlée. Les Russes incendient leurs propres récoltes, évacuent leurs stocks. Plus rien à piller, plus rien à réquisitionner. Le système s'effondre dans les neiges. Et avec lui, l'Empire.
Mais c’est la guerre préférée de Brassens, 1914-1918, qui marque le basculement définitif. Les Liberty Bonds américains mobilisent plus de 20M de souscripteurs14, les Bons de la Défense nationale français (surnommés Ribotins du nom du ministre des affaires étrangères Antoine Ribot) couvrent plus de 75% des dépenses de guerre dès 191715. Chaque citoyen devient créancier de l'État guerrier. La propagande patriotique remplace le pillage : "Votre argent pour la victoire !" Une affiche italienne proclame : "Donnez votre argent pour la Victoire : la victoire signifie la paix", avec un canon posé sur un tas de pièces. Les affiches montrent des poilus souriants, pas les factures astronomiques qui s'accumulent.
Illustration sans rapport qui s’est perdue
Puis c’est la déroute outre-Rhin. L'hyperinflation allemande de 1923 révèle la face sombre de ce nouveau monde. Pour payer les réparations de guerre imposées par le traité de Versailles (132G marks-or), l'Allemagne fait tourner la planche à billets jusqu'à l'absurde. Un dollar vaut 4,2G marks en novembre 1923. Les Allemands transportent leur salaire dans des brouettes. Des fortunes s'évaporent, la classe moyenne est anéantie. La dette de guerre devient elle-même une arme de destruction massive, économique cette fois. Cette catastrophe monétaire reste gravée dans la mémoire collective allemande et nourrira, entre autres facteurs, la montée du nazisme.
Enfin arrivent les sacro-saints américains. Bretton Woods, en 1944, tente de reconstruire un ordre monétaire stable sur les ruines fumantes de la guerre. Paradoxe ultime : c'est au moment où le monde achève de se détruire qu'il planifie sa reconstruction financière. Le dollar, adossé à l'or, devient la monnaie de référence. Les institutions créées alors (FMI, Banque mondiale) sont censées éviter que les déséquilibres économiques ne dégénèrent à nouveau en conflits armés.
Noble intention, succès mitigé.
🔫 Modern warfare
Dans l'arrière-boutique d'un marchand d'armes de Peshawar, le prix s'affiche sans détour : 2’500$ pour une Kalachnikov d'occasion, 1’000$ le pistolet Glock sur le marché noir. Des prix équivalents à ceux qu’on trouve parmi les 30’000 armes qui circulent illégalement en France, où l’on parle de 250 et 2’000€ pour la fameuse Kalach’ et 400 à 1’000€ pour 357 Magnum ou un 11.431617.
Des sommes qui feraient presque sourire face aux tarifs pratiqués dans les catalogues officiels des industriels de l'armement auxquels j’ai pu avoir accès, dont l’un présenté récemment au salon du Bourget (uniquement aux initiés). Si certains fabriquants ont de belles plaquettes qui ressemblent à celle d’un concessionnaire automobile, pour la majorité, ce sont surtout des tableaux Excel avec des références. Et beaucoup de zéros. Ces gens sont vraiment nuls en marketing…
Car la guerre moderne se chiffre désormais en millions, et l'inflation technologique transforme chaque conflit en gouffre financier.
Prenez le soldat américain de base. Son M4, ce fusil d'assaut qui équipe les forces de l'Oncle Sam depuis des décennies, coûte 5’100€ pièce au contribuable. Une bagatelle comparée à ce qui l'attend sur le champ de bataille moderne.
Parce que l'absurdité économique se révèle dans toute sa splendeur avec les missiles. Un Javelin antichar américain ? 263K$ l'unité jusqu’en 2023 et 350K$ désormais, selon un document interne confidentiel de Lockheed Martin. Le Stinger, ce tube vert olive qui fait trembler les pilotes d'hélicoptères depuis l'Afghanistan des années 80, affiche maintenant 745K$ sur l'étiquette. Un sacrée inflation pour un missile facturé 25K$ dans les années 90, puis 400K$ en 2023.
Les missiles air-air AMRAAM ne sont pas en reste avec leur million de dollars minimum, pouvant grimper jusqu'à 2,4M$ selon les versions. Un Tomahawk de croisière ? 1-1,5M$ volatilisé en quelques minutes de vol.
Face à cette escalade des prix, certains pays cherchent des alternatives. Le missile antichar britannique NLAW, à seulement 33K$, prouve qu'on peut encore détruire un char sans hypothéquer l'avenir d'une génération.
Sur terre, l'inflation n'est pas moins spectaculaire. Le char Abrams M1A2, monstre d'acier de 70t. qui fait la fierté de l'armée américaine coûte jusqu'à 47M$ dans sa version SEPv3, soit le budget annuel d'une petite ville US. Même en version export éco+, on parle encore de 8-19M$ selon les lots et les options. Clim non incluse. Les Allemands restent plus raisonnables avec leur Leopard 2A7 : 6-10M€. Le Bradley, ce véhicule de combat d'infanterie qui ressemble à un char en plus petit, coûte lui plusieurs millions. Quant au HIMARS, ce lance-roquettes multiple devenu la star de la guerre en Ukraine, il faut débourser 5,6M$ pour s'en offrir un exemplaire. Tout ça, sans les munitions, évidemment.
Et pour s’envoyer en l’air, les prix atteignent des sommets stratosphériques. Le Rafale français, fierté de Dassault, oscille entre 100 et 125M$. Son concurrent américain, le F-35 Lightning II s'affiche autour de 85M$ pour la version basique, dont on sait depuis quelques temps que les américains peuvent le clouer au sol à distance.
Extrait des budgets de commande de l’armée américain
Face à ces mastodontes financiers, le drone turc Bayraktar TB2 fait figure de révolution low-cost à seulement 5M$. Un prix qui a permis à l'Ukraine, à l'Azerbaïdjan ou à la Libye de s'offrir une capacité de frappe aérienne moderne sans ruiner leur trésor public. Le Reaper, équivalent américain plus sophistiqué à 15-20M$, reste dans la catégorie abordable du drone de combat.
Mais ces prix catalogue ne racontent qu'une partie de l'histoire. Parce que la guerre moderne, c'est aussi une orgie logistique qui dévore les budgets. 1M$ / jour pour approvisionner un seul bataillon en carburant dans le désert irakien ou afghan. 70% du budget logistique américain qui part littéralement en fumée – carburant et maintenance. Sans compter le recours massif aux contractants privés : Blackwater, KBR, DynCorp... Ces mercenaires en costume-cravate facturent leurs services 3 à 5 fois plus cher qu'un soldat régulier pour des missions similaires.
L'externalisation de la guerre est devenue un business juteux. Quand l'armée américaine sous-traite la sécurité, la logistique ou même certaines opérations à des sociétés privées, la facture explose. C'est le prix de la guerre "sans morts américains" – du moins en théorie – mais avec des zéros supplémentaires sur les chèques.
Et puis il y a la guerre invisible, celle qui se mène dans le cyberespace. Ukraine et Russie engloutissent des dizaines de millions dans leurs armées de hackers. Pas de prix unitaire pour une cyberattaque, pas de missile à comptabiliser, mais des budgets qui enflent dans l'ombre pour mener la guerre cognitive, lancer des ransomwares, orchestrer la désinformation. Une guerre d'usure financière qui épuise les États sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré.
🪙Avec 100 milliards, t’as plus rien
Depuis février 2022, l'Ukraine est devenue le laboratoire grandeur nature du coût exorbitant de la guerre moderne. Les estimations pour la reconstruction donnent le tournis : 524G$ sur 10 ans selon la Banque mondiale et l'ONU. Pour mettre ce chiffre en perspective, c'est près de 2,8 fois le PIB annuel du pays en 2024.
Une somme d’autant plus gigantesque que l'économie ukrainienne s'est effondrée d'environ 30% en 2022. Pour tenir, Kiev a reçu plus de 160G$ d'aide internationale en deux ans – une perfusion financière sans précédent dans l'histoire moderne que Trump, suivi par quelques réacs européens, a commencé à remettre en cause.
Le budget militaire ukrainien représente désormais une part considérable du PIB national, transformant le pays en économie de guerre où chaque hryvnia compte. Les États-Unis à eux seuls ont débloqué plus de 1,1G$ rien que pour le système Patriot en Ukraine – de quoi construire des milliers de logements sociaux ou moderniser tout un réseau hospitalier. Ce qui a fait dire à Trump qu’il avait le droit à quelques mines de terres rares en échange, et de contrats de reconstruction pour des entreprises américaines.
Un peu plus loin, la Syrie offre une vision cauchemardesque de ce que devient un pays après plus d'une décennie de guerre. Ici, les estimations pour la reconstruction oscillent entre 300 et 1000G$ selon les sources. Un écart qui témoigne de l'ampleur des destructions et de l'incertitude qui plane sur l'avenir du pays.
Le PIB syrien a chuté de 83% entre 2010 et 2023. 15’000 médecins ont fui le pays, 7’000 écoles ont été détruites. La production pétrolière, autrefois fierté nationale, est passée de 383’000 à 90’000 barils / jour. C'est un pays entier qui a été ramené des décennies en arrière.
Mais le coût le plus insidieux, c'est celui du capital humain volatilisé. Ces 15’000 médecins syriens partis, c'est 20 ans de formation par tête, soit environ 2M€ de capital humain par médecin : 30G$ de savoir-faire médical envolé. Sans compter les ingénieurs, les enseignants, les chercheurs... Des générations de cerveaux formés aux frais de l'État syrien qui enrichissent maintenant d'autres pays. La guerre ne détruit pas seulement le présent, elle hypothèque l'avenir en vidant les nations de leur substance intellectuelle. Et à ce tarif là, on n’inclut même pas le coup de la déstabilisation politique et des droits humains réduits au minium. Voire moins.
Le conflit de 2023-2024 à Gaza illustre comment la guerre moderne peut anéantir une économie en quelques mois : 53,2G$ sur 10 ans pour reconstruire ce territoire de 365 km² (145M$+ / km²).
C’est le prix de tout un quartier résidentiel de luxe pour chaque kilomètre carré dévasté.
💰 Shut up, and give me your money
Finie l'époque où les rois vidaient leurs coffres et levaient des impôts exceptionnels pour partir en croisade. Aujourd'hui, faire la guerre, c'est avant tout savoir jongler avec les instruments financiers du XXIe siècle. Entre dettes colossales, aide internationale et sources de financement disons... créatives, les États ont développé tout un arsenal économique pour soutenir leurs ambitions militaires.
Prenons l’exemples des les États-Unis post-9/11. Entre les guerres d'Afghanistan, d'Irak et la lutte contre le terrorisme, la dette publique américaine a littéralement explosé : de 55% du PIB en 2001, elle frôle aujourd'hui les 120%. Le plus étonnant ? Pas un centime d'impôt supplémentaire n'a été levé pour financer ces aventures militaires18. Pire/Mieux, l'administration Bush a même baissé les impôts en 2001 et 2003 tout en lançant deux guerres. Washington a tout mis sur la carte de crédit nationale, contrairement à toutes les guerres précédentes où l'on demandait aux citoyens de mettre la main au portefeuille19.
Cette stratégie n'est pas nouvelle. Déjà pendant la guerre du Vietnam, les États-Unis avaient largement financé l'effort militaire par la dette, contribuant à la crise budgétaire et à l'inflation galopante des années 70. Mais cette fois, l'ampleur est sans précédent.
En coulisses, les États émettent aussi des obligations discrètes destinées à financer l'industrie de défense, parfois sous couvert de "reprise économique post-Covid" ou de "transition industrielle". Une dette de guerre qui ne dit pas son nom. Les marchés financiers avalent ces titres sans broncher, trop contents de placer leur argent dans des actifs garantis par l'État. C’est d’ailleurs exactement le problème européen actuel, puisque la financement de la défense est très limité, alors que les pays sont déjà au bord de la faillite, et que la défense… n’est même pas de la compétence de l’UE. J’en avais parlé ici.
Le mécanisme des intérêts composés transforme ces choix en bombe à retardement financière. Le coût total des guerres post-2001 pourrait atteindre 8T$ d'ici 205020. Les seuls intérêts sur cette dette de guerre devraient dépasser 2T$.
Mais si l'endettement reste l'arme de financement massive des grandes puissances, l'aide internationale a pris une dimension inédite avec le conflit ukrainien. Kiev est devenu, en l'espace de deux ans, le plus grand bénéficiaire d'aide militaire depuis 1945. Un record qui en dit long sur la nature de cette guerre. Plus de 75G$ côté américain, plus de 50G€ du côté de l'Union européenne. Et ce n'est que la partie visible. Au total, plus de 40 pays participent à cet effort sans précédent, qui dépasse déjà21 les quelque 150G$ injectés par le Plan Marshall après 1945. À la différence près qu’il s’agissait alors de rebâtir l’Europe, pas d’alimenter un front.
Cela dit, l'aide militaire n'est pas qu'un transfert d'armes. C'est un stimulus industriel camouflé, où chaque milliard accordé à l'Ukraine se transforme en carnet de commandes pour les géants de l'armement : Raytheon, Rheinmetall, BAE Systems... tous se frottent les mains. Les stocks vidés doivent être reconstitués, les nouvelles commandes affluent. La guerre ukrainienne est devenue le plus grand salon de démonstration grandeur nature pour l'industrie militaire occidentale. Finalement, Zelensky est peut être le meuilleur CMO de l’industrie.
L'aide prend toutes les formes : équipements militaires livrés directement des stocks, munitions produites en urgence, formations de soldats, renseignement satellitaire, et même aide budgétaire directe pour payer les fonctionnaires ukrainiens. C'est le retour du Lend-Lease, ce mécanisme inventé par Roosevelt pour aider les Britanniques sans violer la neutralité américaine. Les États-Unis ont d'ailleurs officiellement ressuscité ce dispositif avec le Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act de 2022.
La formule est simple et cynique : les alliés paient, l'Ukraine se bat. Une division du travail qui arrange tout le monde. Si ce n’est peut-être les Ukrainiens qui voient leur pays transformé en champ de bataille. Comme l'analysent froidement certains stratèges de think tanks américains, c'est peut-être "le meilleur rapport qualité-prix de l'histoire militaire récente" : affaiblir durablement la Russie sans perdre un seul soldat occidental.
Mais pour combien de temps ?
Derrière les chiffres ronflants, des tiraillements croissants entre les faucons prêts à soutenir l'Ukraine jusqu'au bout et les comptables qui commencent à regarder la facture. La Hongrie bloque, la Slovaquie tergiverse, même l'Allemagne hésite. L'unité de façade cache mal les fractures qui se creusent dans l'alliance occidentale.
Reste que le soutien indirect à l’Ukraine permet aux gouvernements occidentaux de rester populaires sur leurs propres territoires : pas de cercueils à rapatrier, mais des contrats à signer.
Alors il faut être créatif, en inventant des solutions qui auraient fait pâlir d'envie les financiers de Louis XIV.
D'abord, il y a la saisie d'avoirs. Environ 300G$ de réserves de la Banque centrale russe sont actuellement gelés dans les banques occidentales22. Un trésor de guerre sur lequel lorgnent les partisans d'une utilisation pour la reconstruction de l'Ukraine. Le débat juridique fait rage, mais l'idée fait son chemin : pourquoi ne pas faire payer l'agresseur avec son propre argent ? As usual.
Plus surprenant encore, les cryptomonnaies émergent comme un nouveau canal. L'Ukraine a levé plus de 200M$ en Bitcoin et Ethereum depuis 2022, grâce à des dons de particuliers et d'entreprises tech du monde entier. Difficiles à tracer, impossibles à saisir, ces monnaies numériques permettent aussi de contourner les sanctions et de financer des opérations dans l'ombre. Et pas qu’en Ukraine.
La diaspora ukrainienne aux États-Unis et au Canada aurait contribué à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars depuis 2022, selon certaines estimations. L'arménienne en France, la tamoule autrefois... Par patriotisme ou pression communautaire, elles injectent des millions dans les conflits, souvent sans aucun contrôle. Des virements qui partent de Los Angeles ou Toronto et finissent en roquettes sur le front.
Mais le pompon créatif revient sans doute au régime syrien et son business du Captagon. Cette amphétamine, surnommée la cocaïne du pauvre, rapporterait 5-6G$ / an à Damas23. Plus que toutes les exportations légales du pays réunies. Quand l'État devient dealer pour financer sa survie.
Cela dit, ce n'est pas nouveau. Les diamants du sang ont financé les guerres civiles en Sierra Leone et au Liberia dans les années 90. Les groupes terroristes comme AQMI ou Daech ont systématisé les prises d'otages contre rançons, parfois plusieurs millions de dollars par tête. La contrebande d'armes, notamment via les arsenaux pillés en Libye après la chute de Kadhafi, alimente les conflits du Sahel à la Syrie.
Dans certaines zones de conflit, même l'aide humanitaire devient une ressource. Des colis estampillés "humanitaires" changent de mains et finissent monétisés sur les marchés noirs du Yémen ou de Gaza.
Les groupes paramilitaires ont inventé leur propre modèle d'"économie de guerre en franchise". Wagner se payait en concessions minières en Afrique centrale et au Soudan. Les Houthis taxent les navires en mer Rouge, transformant un détroit stratégique en péage mafieux. Le Hezbollah gère un empire économique parallèle au Liban, de la contrebande aux services sociaux.
Enfin, le pillage version 2.0 fait un retour en force. Dans les zones occupées d'Ukraine, blé et équipements industriels disparaissent mystérieusement pour réapparaître sur les marchés internationaux. Les images satellites montrent des colonnes de camions franchissant les frontières. Daech avait perfectionné le système avec le pétrole syrien et irakien, générant jusqu'à 1,5M$ / jour au plus fort de son "califat".
Ces mécanismes de financement alternatifs dessinent les contours d'une économie de guerre parallèle, où les règles traditionnelles ne s'appliquent plus. Dans ce brouillage organisé entre le légal, le gris et l'illégal, la guerre n'est plus une rupture économique : elle devient une variable d'ajustement du système. Le prix à payer ? Une descente dans les bas-fonds de l'économie mondiale, où la frontière entre le légal et l'illégal s'estompe dans la fumée des canons.
❌Not all men
Pendant que certains comptes les morts, d’autres comptes les billets. Les marchands de canons d'antan ont (probablement) troqué leurs hauts-de-forme contre des costumes trois-pièces, mais le business de la mort n'a jamais été aussi florissant. En 2023, les 100 plus grandes entreprises d'armement ont engrangé 632G$24, chiffre qui donne le vertige quand on sait qu'un seul jour de guerre en Ukraine coûte 1,4G$. De quoi construire un millier d’écoles en France25.
Au sommet de cette pyramide macabre trône Lockheed Martin, le roi incontesté de l'industrie militaire. Avec ses 65G$ de ventes annuelles, le géant américain fabrique les F-35 qui survolent les zones de conflit et les missiles Patriot censés les protéger. L'entreprise a redistribué près de 9G$ à ses actionnaires en 2023, dont State Street (15%), Vanguard (9%), BlackRock (7,5%), Charles Schwab (2,3%) ou encore Morgan Stanley(2,1%). Chaque missile tiré devient une ligne de dividende.
La domination américaine sur ce marché est écrasante : 51% des ventes mondiales d'armement provient des 42 entreprises US du Top 100. Les cinq principaux fournisseurs du Pentagone – Lockheed Martin, RTX (ex-Raytheon), Boeing, Northrop Grumman, General Dynamics – ont vu leurs actions grimper de 25 à 70% entre février 2022 et fin 2023. RTX a empoché 5,2G$ de bénéfices nets en 2023, notamment grâce aux ventes de missiles Stinger et Javelin. Les ETF spécialisés dans la défense surperforment systématiquement le marché en période de guerre.
Mais c'est la guerre en Ukraine qui a véritablement fait exploser les compteurs. Les dépenses militaires mondiales ont atteint le record absolu de 2’443G$ en 2023. L'Europe a augmenté ses budgets de 16% en un an : la plus forte hausse depuis la chute du Mur. L'Allemagne a franchi pour la première fois le seuil symbolique des 2% du PIB avec 70G€. L'action de Rheinmetall a été multipliée par 6 entre 2021 et 2024, atteignant des sommets à chaque livraison d'armes à Kiev, puis reculant à chaque rumeur de paix. Côté russe, Rostec, le conglomérat d'État dirigé par Sergueï Tchemezov, proche de Poutine, a vu ses ventes d'armement bondir de 49%26. Cette pieuvre industrielle, qui possède Kalachnikov et Sukhoï, tire désormais 70% de son chiffre d'affaires des commandes militaires.
Mais on l’a vu un peu avant, l'écosystème de la guerre ne se limite plus aux fabricants d'armes traditionnels. Une nouvelle faune a émergé, adaptée aux conflits du XXIe siècle. Les contractors privés, comme Academi (ex-Blackwater), DynCorp ou Constellis, ont déployé jusqu'à 160’000 mercenaires en Irak et Afghanistan, parfois plus nombreux que les soldats américains eux-mêmes. Ces "consultants en sécurité" empochaient jusqu'à 1,5K$/jour, quand un GI touchait péniblement 100-120$ de prime de déploiement. Au total, 138G$ ont été versés à ces entreprises rien qu'en Irak.
Extrait des budgets contractors en 2009
Plus cynique encore : l'industrie de la reconstruction. Halliburton, anciennement dirigé par Dick Cheney, a raflé 39,5G$ via sa filiale KBR, reconstruisant le jour ce que l'armée détruisait la nuit27. Aujourd'hui, les vautours se positionnent déjà pour l'Ukraine : Bechtel (USA), Bouygues (France), Tekfen (Turquie) ont déjà créé des filiales dédiées à la reconstruction post-conflit. À la Bourse d'Istanbul, les actions du BTP grimpent à chaque évocation de la paix en Syrie.
Mais derrière chaque ligne de compte se cache une réalité humaine déchirante. Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a fait environ 500’000 morts et blessés militaires cumulés. Et ce n’est malheureusement qu’une infime partie du problème.
💣Sous les bombes
Les comptables de la guerre ont des tableaux Excel bien remplis : tant de milliards pour reconstruire les ponts, tant pour les hôpitaux. Mais il y a des colonnes qu'ils oublient souvent. Des colonnes qui parlent de cerveaux qui s'exilent, d'âmes brisées, de terres empoisonnées pour des générations.
Revenons en Syrie et à ses 15’000 médecins sur les 30’000 d'avant-guerre28. Ces chirurgiens qui opéraient à Alep servent maintenant des cafés à Berlin ou conduisent des Uber à Toronto, faute de reconnaissance de leurs diplômes. Des années d'études, des décennies d'expérience, réduites à néant par la bureaucratie. Pour les pays d'accueil, c'est un gâchis monumental : selon plusieurs estimations, le coût moyen de requalification atteint plusieurs dizaines de milliers d'euros et prend souvent plus de deux ans. Pendant ce temps, leurs hôpitaux manquent de personnel.
Et ce n'est pas qu'une question de chiffres. Chaque médecin parti, c'est des centaines de patients sans soins. C'est une femme qui accouche sans obstétricien. C'est un enfant diabétique sans endocrinologue. La guerre ne tue pas seulement avec des bombes. Elle tue aussi par absence, par vide, par manque.
En Ukraine, le bilan est d'un autre ordre mais tout aussi glaçant : selon l'OMS, 9,6M de personnes présentent des besoins en santé mentale liés au conflit29. Près de 10M d'esprits marqués. Un quart de la population. Une étude récente révèle que 68% des Ukrainiens ont vu leur santé mentale se détériorer depuis l'invasion. Stress aigu, troubles post-traumatiques, anxiété généralisée : les psychiatres ukrainiens, débordés, parlent d'une "génération traumatisée".
Puis il y a la facture à retardement. Aux États-Unis, le gouvernement devra débourser 490G$ pour soigner ses seuls vétérans d'Irak30. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg : les coûts cumulés pour tous les vétérans des guerres post-11 septembre sont estimés à 2,5T$ d'ici 205031. Des hommes et des femmes revenus avec des membres en moins, mais surtout avec des blessures invisibles qui mettront des années à cicatriser. Si elles cicatrisent un jour.
L'environnement, lui, ne négocie pas. Il encaisse et accumule. En Ukraine, les dégâts écologiques sont estimés à 60G$ par le ministère de l'Environnement. Mais comment chiffrer vraiment 12’000 km² de forêts parties en fumée ? Comment évaluer le prix d'une terre minée sur 100’000 km² , soit 15% du territoire national ?
Les démineurs de l'ONU affirmer qu’il faudra 25 à 30 ans pour nettoyer le pays, selon le financement international disponible. Trente ans pendant lesquels des enfants ne pourront pas jouer dans les champs, des agriculteurs ne pourront pas cultiver leurs terres. Trente ans de danger tapi sous l'herbe.
Et il restera l'invisible : les métaux lourds qui s'infiltrent dans les nappes phréatiques, les munitions non explosées qui contaminent les sols, l'uranium appauvri qui persiste pour des siècles. En Irak, dans certaines régions bombardées avec ces munitions, notamment à Falloujah, les médecins locaux observent une corrélation troublante : explosion des taux de cancers et de malformations congénitales. Le lien direct reste débattu dans la communauté scientifique, mais la corrélation est documentée.
L'agriculture, elle, est sinistrée pour des générations : plus de 20% des terres agricoles ukrainiennes sont aujourd'hui dégradées ou inexploitables en raison du conflit32. Des terres autrefois fertiles deviennent des no man's land. La contamination remonte la chaîne alimentaire : du sol aux plantes, des plantes aux animaux, des animaux aux hommes. Un cercle vicieux invisible mais implacable.
Au Vietnam, les séquelles écologiques de la guerre américaine persistent encore un demi-siècle après la fin des combats. Entre 1961 et 1971, l’armée américaine a déversé plus de 80M L. d’herbicides sur les forêts et les rizières, dont environ 45M L. d’Agent Orange – un puissant défoliant contenant de la dioxine, l’une des substances les plus toxiques jamais synthétisées. Résultat : des millions d’hectares contaminés, des terres rendues stériles, et une épidémie silencieuse de cancers, de maladies neurologiques et de malformations congénitales sur plusieurs générations. Selon la Croix-Rouge vietnamienne, jusqu’à 3M de personnes seraient aujourd’hui affectées par cette exposition. Et pourtant, la décontamination a été tardive, partielle, et largement sous-financée. Le coût estimé du nettoyage complet des zones les plus touchées; comme Da Nang ou Bien Hoa, dépasse 500M€, mais seuls quelques projets pilotes ont été menés avec le soutien américain. Pendant ce temps, les habitants vivent toujours à proximité de sols empoisonnés, et la dioxine continue de circuler dans les chaînes alimentaires. Sur les routes qui mènent d’Ho Chi Minh Ville aux tunnels de Củ Chi, ou à la jungle, les guides le répètent chaque jour : s’ils font ce métier, c’est pour que personne n’oublie ce qu’ils ont vécu.
☮️ Le prix de la paix
La réalité, l’Histoire nous la raconte : cette spirale s'auto-alimente. La guerre engendre la dette. La dette impose l'austérité. L'austérité nourrit l'instabilité. Et l'instabilité prépare la prochaine guerre.
En 2022, la guerre a amputé l'économie mondiale de 1,6T$ de croissance , soit l'équivalent du PIB d'un pays du G20 qui s'évapore. En 2023, c'est encore 1000G$ partis en fumée.
L'Europe, traumatisée par l'Ukraine, ressuscite ses vieux réflexes. L'Allemagne a créé un fonds spécial de 100G€ pour réarmer la Bundeswehr, du jamais vu depuis 1945. L'objectif de 2% du PIB pour la défense, longtemps ignoré, devient soudain sacré : 11 pays membres de l'OTAN l'ont dépassé en 2023. Un record. Des États qui peinaient à financer leurs hôpitaux trouvent miraculeusement des milliards pour des chars et des missiles.
Mais les coûts cachés sont peut-être les plus lourds.
Cinq ans après le confinement, nous mesurons tout juste l’impact réel sur la santé mentale ou la scolarité. Alors que penser des conflits armés, voire même de l’impact qu’ils ont dans des pays proches, y compris en France, sur notre sérénité et notre santé mentale ? Un pont, on peut le reconstruire en deux ans. Mais comment reconstruire la confiance d'un peuple traumatisé ? Comment décontaminer une terre empoisonnée ? Comment briser le cercle vicieux qui mène de guerre en guerre ?
Les vraies factures de la guerre, ce sont celles qu'on ne voit pas tout de suite. Celles qui arrivent des années plus tard, quand les caméras sont parties, quand le monde a tourné son regard ailleurs. Et ces factures-là, personne ne sait vraiment qui les paiera.
Parce que les bilans présetnés sont désespérement partiels. Les livres retiennent le nombre de morts. Parfois les blessés, sans qu’on ne comprenne probablement ce qu’est la réalité d’une blessure de guerre. Puis on (moi) chiffre les missiles Patriot à 3,3M$, mais qui comptabilise le coût d'un enfant syrien qui n'ira jamais à l'école ? On évalue la reconstruction de Gaza à 53G$, mais à combien estime-t-on une génération traumatisée ? Les 2443G$ de dépenses militaires mondiales apparaissent dans les statistiques, mais où sont inscrits les 175Mt. de CO₂ relâchés par la guerre en Ukraine dans notre atmosphère déjà suffocante ?
Alors, à quand cette comptabilité totale ? À quand un grand livre où seraient inscrits, en face de chaque profit de guerre, les pertes irrémédiables qu'il a fallu consentir ? Ce jour-là peut-être, devant l'ampleur vertigineuse du passif, comprendrons-nous enfin que la paix n'a pas de prix.
Mais ce grand livre, personne ne veut l'ouvrir. Il ne rapporte rien.
Faut-il encore tirer des missiles à 1 million d’euros contre des drones à 20 000 dollars ?, Guerric Poncet, Le Point, 18/03/2024
Selon le Congressional Research Service américain
Tenez-vous mieux
The Weaponisation of Everything: A Field Guide to the New Way of War, Mark Galeotti
Estimation CBO
Université de Brown
Shekels, la monnaie israélienne
Decades of debt: UK’s finance chief told to make gradual pay-offs, Alex Morales and David Goodman, Bloomberg - Al Jazeera, 10/06/2020
L'Allemagne a remboursé ses dernières dettes datant de la 1ère Guerre mondiale, Eric Chol et Romaric Godin, La Tribune, 01/10/2010
Ukraine Raises Equivalent of $277 Million From Sale of War Bonds, Fergal O'Brien, Daryna Krasnolutska, and Priscila Azevedo Rocha, Bloomberg, 01/03/2022
Mars 1188, la France se soulève contre la « La dîme saladine », Jean-Marie Borghino
Les Templiers, moines-soldats financiers et gestionnaires, JACQUES-MARIE VASLIN, Le Monde, 18/02/2008
An Analysis of the French economic industrial and military mobilization in the Revolutionary and Napoleonic wars 1789-1815, Dr. Ioannis-Dionysios Salavrakos, Journal of Military and Strategic Studies, VOLUME 18, ISSUE 3
The Cost of Debt-financed War: Public Debt and Rising Interest for Post-9/11 War Spending, Heidi Peltier, January 2020, Brown University
L’Italie dans la première guerre mondiale, Patrice Delpin, 15/06/2015
Qui achète et qui vend des kalachnikovs, comment et à quel prix?, Alexandre Le Mer, BFM, 09/09/2013
30.000 armes illégales circulent dans les banlieues, Jean-Marc Leclerc, Le Figaro, 15/12/2010
Fighting Terrorism With a Credit Card, Uri Friedman, The Atlantic, 12/09/2016
The Ghost Budget: How U.S. war spending went rogue, wasted billions, and how to fix it, Linda Bilmes, Harvard Kennedy School, 01/04/2024
Costs of War Project de l'université Brown
En valeur constante
Guerre en Ukraine : confisquer les avoirs russes gelés, l’arme fatale des Européens ?, Paul Véronique, L’Express , 09/03/2025
Selon diverses enquêtes du Financial Times et de Brookings
SIPRI / Reuters
1,5-3M€ selon plusieurs estimations, pour une grande école ou un petit collège
Arms producers saw revenue up in 2023 with the wars in Ukraine and Gaza, a new report says, AP, 02/12/2024
Iraq: 20 years on from US-led invasion, the companies that profited; incl. co. responses, Business Human Rights mars 2023
Selon des estimations croisées de l'OMS et de Physicians for Human Rights
Cette réalité invisible de la guerre en Ukraine, Watson, 19/04/2025
Iraq war costs U.S. more than $2 trillion: study, Daniel Trotta, Reuters, 14/03/2013
Selon le projet Costs of War de l'université Brown
Selon la FAO