💥 Le Titanic et l'histoire du premier délit d'initié
Comment le médiatique naufrage a été à l'origine du premier cas documenté de délit d'initié ?
Bonjour,
En finance, il est toujours compliqué de déterminer qui a fait qui en premier, parce que la notion même de finance est assez floue. Apparu au XIIIe siècle en France, le verbe finer (qui deviendra to fine, en anglais) désigne surtout l’action de payer pour terminer une transaction, avant de progressivement parler d’histoires d’argent autour du XVIe. Pour autant, il faut attendre le XVIIIe et notamment l’arrivée des premières vraies banques (dont l’une a déjà fait l’objet d’une newsletter, d’ailleurs) pour que la finance commence à prendre la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Avec la spéculation. Et avec les délits qui vont avec.
Si l’histoire du jour est souvent considérée comme le premier délit d’initié de la finance, il est fort probable qu’en réalité, de tout temps, certains ont eu accès à des informations avant d’autres, leur permettant de tirer profit d’une transaction. Mais si cette histoire est aussi passionnante, c’est surtout parce qu’elle a pour cadre le naufrage le plus connu de notre Histoire, une compagnie mythique, des notables et des ministres, et d’étonnantes ramifications.
Plongée (si je puis dire) dans l’un des plus gros scandales économiques du début du XXe.
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Note : cette newsletter est une réédition d’une ancienne édition publiée il y a 18 mois, revue, corrigée et augmentée, qui avait été lue à l’époque moins de 4’000 fois.
Southampton, 10 avril 1912.
Une liesse de personnes vient acclamer les 953 passagers et 889 membres d'équipage qui embarquent dans l'immense paquebot de 269 mètres de long et 28 de large. Les hommes sont tous vêtus de chapeaux ronds et les femmes portent de longues robes sombres. Quand les 4 cheminées s'éloignent vers la sortie du port, les mouchoirs s'agitent dans comme les films.
Le Titanic débute son premier voyage.
Transmission sélective
Été 1895.
Depuis plusieurs semaines, Guglielmo Marconi expérimente les ondes récemment découvertes par Heinrich Hertz. En assemblant ingénieusement un cohéreur de Branly et une antenne, il crée la première liaison télégraphique sans fil de 2,4 kilomètres. Après quelques années de recherches et une embrouille avec Tesla (le chercheur, pas les voitures), il s'exile en Angleterre alors que les autorités italiennes aient refusé des soutenir ses travaux, qu’il teste un peu partout. En 1903 il sera d'ailleurs un des premiers à utiliser la tour Eiffel comme émetteur, à l'occasion de ses premières expérimentations internationales de transmission radio à longue distance. L’année suivante son système fonctionne et il commence à équiper les bateaux pour qu'ils puissent communiquer avec la terre, ou parler entre eux. De quoi enfin trouver un business model à ses recherches.
Pendant ce temps, de l'autre côté du Rhin.
Deux grandes entreprises allemandes AEG (depuis en partie démantelée via Daimler-Benz puis Alsthom puis Electrolux) et Siemens (qui travaillait alors sur le télégraphe) fondent Telefunken. La société finance principalement des recherches sur les TSF1, dirigées par Ferdinand Braun. Le tout pendant qu'Adolf Slaby développait (au sein d’AEG) des appareils techniquement supérieurs, mais qui fonctionnaient uniquement avec ses propres récepteurs, alors que les deux autres parvenaient à faire communiquer des appareils de Marconi et Braun.
En 1909, Braun et Marconi sont conjointement récompensés d’un Nobel de physique. Slaby se contentera de la vérole. Et de mourir 4 ans plus tard.
5kW de solitude
Quelque part au large des côtes britanniques, 11 avril 1912.
À bord du Titanic, Jack Philips est chef opérateur de la salle de radio où il se relaye avec son assistant Harold Bride. Contrairement au reste de l'équipe, ils ne dépendent pas de la White Star Line, qui opère le navire, mais de Marconi, la compagnie de Guglielmo.
La raison principale, c'est que la radio n'était pas seulement prévue pour communiquer avec le port. C'était un service facturé aux voyageurs pour parler avec la terre ferme. Mais les opérateurs Marconi géraient aussi des messages d'alerte météorologiques et de sécurité en mer, même s’ils n'étaient pas toujours prioritaires. Située sur le pont des embarcations (tout en haut) au même niveau que le quartier des officiers, la station Marconi était composée d'une petite chambre, une salle sourde (l'émetteur-récepteur), et au milieu la radio - un émetteur à étincelles de 5kW, très performant pour l'époque.
Ce puissant équipement permettait une portée de 400 milles2 de jour, et jusqu'à 2 000 milles3 durant la nuit grâce à la meilleure propagation des ondes. Fait très important qui jouera un rôle fatal : aucune liaison téléphonique directe n'existait entre la cabine radio et la passerelle de commandement. Les opérateurs devaient porter physiquement les messages à la passerelle ou faire appel à des stewards, créant des délais parfois fatals.
Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois début avril pour tester le matériel lors des essais en mer du Titanic. S'ils ne se connaissaient pas avant, ils sont néanmoins tous les deux passés par l'école Marconi, et avaient donc une bonne connaissance des outils.
Parce qu’en 1912, la radio était encore un service de luxe. Sur le Titanic, Phillips et Bride passaient l'essentiel de leur temps à transmettre des radiogrammes privés des passagers fortunés, qui appréciaient cette nouveauté technologique mondaine. Les messages étaient envoyés vers les stations côtières (quand elles n’étaient pas trop loin) ou d'autres navires, générant un trafic commercial constant. Cette surcharge empêchait parfois de traiter efficacement les messages d'alerte, sans qu'aucune procédure stricte n'existe alors pour prioriser les communications de sécurité. Le travail des opérateurs était donc un étrange mélange de service client haut de gamme et de veille de sécurité, sans protocole clair.
Le 2e jour, Jack reçoit quelques messages qui lui sont personnellement destinés : c'est son anniversaire ! Mais la fête est écourtée par des avaries matérielles qui font prendre beaucoup de retard au duo sur les messages à envoyer.
Si le 3e jour voit passer plusieurs alertes d'autres navires signalant des glaces, c'est particulièrement le matin du 14 avril que le cargo Mesaba transmet une alerte cruciale signalant un vaste champ de glace et de grands icebergs sur la route du Titanic. Mais Phillips, débordé par les télégrammes privés des passagers, ne transmet jamais ce message vital à la passerelle. Et c’est ce qui amène au fameux soir du 14 avril.
Harold dort en attendant la relève. De son côté, Philips reparamètre son équipement parce qu'il entre dans la zone de Cape Race à Terre-Neuve, ce qui lui permet d'échanger directement avec cette importante station côtière.
22H55. Cyril Evans du Californian alerte que leur navire est stoppé à cause d'icebergs. Philips lui demande de la fermer ("shut up" dans le texte) parce qu'il est absorbé par ses communications avec Cape Race. À 23H35, c'est l'opérateur du Californian qui éteint sa radio, laissant le Titanic isolé. Le Californian n'est pourtant qu'à environ 20 milles, assez proche pour apercevoir (plus tard) les fusées de détresse, mais trop loin pour en comprendre la signification sans radio.
23H40. Le Titanic heurte un iceberg.
Sur écoute
Malgré le Nobel Telefunken et Marconi sont en pleine guerre commerciale pour savoir qui aura la plus grosse antenne. Une guerre temporairement suspendue en 1912 par un accord international de standardisation des fréquences radio, trêve fragile entre ces deux géants des ondes.
Début 1912, Marconi décide de coter sa filiale américaine à la bourse de Londres : la Marconi Wireless Telegraph Company of America. Le prix par action est estimé initialement autour de 2£ lorsque la date d'introduction est fixée au 19 avril. Deux introductions avaient déjà eu lieu entre 1910 et 1912 : la Spanish Marconi Company et la Marconi's Wireless Telegraph Company of Canada. La filiale américaine fut absorbée dès 1919 par RCA4 qui a eu une longue vie après cette histoire. Rachetée par General Electric, elle a été progressivement absorbée par American Telephone & Telegraph Company (future AT&T) et après s’être progressivement diversifiée dans toute l’industrie du broadcast, jusqu’à lancer des satellites dans les années 80, elle est aussi devenue l’un des producteurs de cinéma et de musique les plus importants du XXe siècle. C’est comme ça que l’entreprise finira dans le giron de Sony Music, seul dernier vestige du nom RCA actuellement, qui a vu passer Aretha Franklin, Alicia Keys ou Elvis Presley. La filiale canadienne, elle, a continué d’exister et existe toujours sous le nom de CMC Electronics.
Godfrey Isaacs, nommé directeur général par Marconi est très fier de ces réussites, obtenues après seulement 2 ans à ce poste. Sans doute que ses parents, Joseph Isaacs et Sarah Davis l’étaient aussi, d’autant que leur 2e fils, Rufus était ministre de la Justice du gouvernement Asquith !
À son arrivée, Godfrey avait proposé au Colonial Office d'équiper les colonies britanniques de TSF pour relier tout l'Empire britannique en seulement 3 ans. Le problème c'est que les Anglais avaient payé une fortune pour des câbles sous-marins, dont ils ne voulaient pas trop se séparer…
Mais l'idée a fait son chemin. Et en mars 1912, Marconi signe un contrat de droit privé après que le Parlement a exclu la création d'un monopole d'État. Ce projet n’était rien de moins qu'un réseau mondial ambitieux reliant toutes les colonies britanniques par TSF, évalué alors à plusieurs millions de livres sterling. Une manne qui explique sans doute la frénésie spéculative autour des actions de la société.
Le givre et la gloire
Harold est réveillé par un bruit assourdissant qu'il ne comprend pas. Il rejoint Jack en cabine, mais comme à peu près tout l'équipage, ils ne mesurent pas ce qui vient de se passer.
Le commandant Edward Smith leur demande d'envoyer un CQD5. Ce code, inventé par la société Marconi, est le 1er message de détresse connu. Il signifie en gros "à toutes les stations : appel de détresse". Puis le signal est changé par Harold.
Envoie donc un SOS, c'est le nouveau signal et c'est peut-être ta dernière chance de l'envoyer
Ils rient, ignorant encore combien cette plaisanterie est prémonitoire. En réalité, le code international SOS avait déjà été adopté officiellement depuis 1908, mais restait encore peu utilisé par rapport au traditionnel CQD de Marconi. Phillips alternera d'ailleurs les deux signaux dans ses transmissions désespérées.
C'est à 00h20 que le RMS Carpathia, paquebot de la Cunard en route au sud-est du Titanic, capte l'appel de détresse.
"Venez tout de suite. Nous avons heurté un iceberg."
Le Carpathia répond immédiatement, mais se trouve à environ 58 milles6 de distance. Il lui faudra plus de trois heures pour arriver sur zone.
Sauf que pendant ce temps-là, la puissance de l'émetteur faiblit à mesure que les compartiments radio et générateurs se remplissent d'eau. Phillips et Bride continuent d'émettre sans relâche, alternant CQD et SOS. À 01h45, Phillips transmet un message disant que l'eau atteint la salle des machines. Vingt minutes plus tard, Smith revient voir les deux hommes pour leur dire que leur devoir est accompli et qu’ils sont libérés de leurs fonctions. Mais eux préfèrent rester, même si la suite semble inévitable.
Alors que Smith sort, Harold surprend un homme en train de voler le gilet de sauvetage de Jack. Ils se battent, et l'homme reste inconscient au sol. Jack, absorbé par ses dernières transmissions, ne voit rien.
Jack Phillips émet un dernier signal à 02h17 — une ultime série de CQD/SOS avant que le courant ne s'éteigne définitivement. Quelques minutes plus tard le Titanic est presque sous l’eau. Les deux hommes quittent leur poste. Puis le navire.
Harold se rend au radeau pliable B. Au loin, il voit Jack courir vers l'arrière pour trouver un canot. Il ne le reverra jamais. Jack Phillips, 25 ans, aurait réussi à rejoindre in extremis un radeau flottant (le canot renversé "B"), mais succombera au froid glacial quelques minutes plus tard. Harold Bride, lui, est entraîné par une vague mais parvient aussi à monter sur le canot B renversé. Il y survivra, les pieds gelés, jusqu'à l'arrivée du Carpathia qui arrivera à 04h00 sur la zone du naufrage.
Entre 04h10 et 08h30, il récupère les 705 survivants trouvés dans les canots. Bride, bien que blessé, se joint à l'opérateur du Carpathia, Harold Cottam, pour transmettre la liste des survivants et des messages à terre.
La cloche sonne
Le lendemain, le Daily Mail titre :
Titanic coulé, pas de pertes de vies humaines
En réalité, le Titanic n'a jamais communiqué directement avec les terres, mais avec des bateaux. Et il faudra attendre que l'Olympic transmette plus d'informations à New York pour que la réalité soit connue. Mais ce n'est que le 17 avril que la nouvelle précise arrive en Angleterre.
18 avril. 22H, heure de New York.
Plus de 40'000 personnes attendent les rescapés du Titanic au quai de débarquement. Ils sont acclamés comme des miraculés. Le New York Times loue un étage complet d'hôtel pour y loger 20 journalistes qui envoient des articles en direct par téléphones. L'événement fait la une, avec des photos du capitaine et des survivants.
De l'autre côté de l'Atlantique, le séisme est tel que le sénateur américain William Alden Smith lance immédiatement une commission d'enquête. Les audiences publiques deviennent un spectacle médiatique sans précédent. On y dissèque les failles techniques et humaines qui ont transformé l'« insubmersible » en tombeau d'acier. L'impact du naufrage résonne à travers le monde entier, dépassant largement le cadre d'une catastrophe maritime.
C’est aussi le 18 avril que l'Angleterre apprend qu’une majorité des passagers sont morts, malgré quelques survivants. La presse révèle que le Californian avait averti par radio la présence d'icebergs, sans que ça n'ait d'effet. Mais que l'envoi de messages radio a permis à des navires comme le Carpathia de venir secourir des naufragés.
Ce bilan dramatique de plus de 1’500 morts aurait pu être encore plus lourd sans la TSF. Dans les jours qui suivent, Herbert Samuel, ministre britannique des Postes, déclare :
"Tous ceux qui ont été sauvés, ils l'ont été grâce à un homme : M. Marconi... et sa merveilleuse invention".
Et cette intervention : c'est donc la TSF de Marconi. Mais personne ne parlera ni du fait que l'opérateur du Californian avait éteint sa radio, ni que des messages commerciaux avaient parfois été préférés à la sécurité, ni que l'alerte cruciale du Mesaba avait été ignorée.
Le lendemain, la bourse de Londres ouvre, et c’est la date de l’IPO de Marconi.
Le titre s'envole à 3,5£ à l'ouverture, avant de clôturer à 4£ le même jour, puis de se stabiliser autour de 2£ après quelques semaines. Le naufrage du Titanic a fortement valorisé l'image de Marconi auprès du public, mais c'est surtout la perspective du contrat impérial britannique signé en juillet 1912 qui a provoqué la flambée initiale des cours par la suite.
Sauf que certains avaient peut-être eu cette information… bien avant.
Le scandale Marconi
Février 1913. France.
Le quotidien Le Matin accuse Rufus Isaacs (ministre de la Justice et frère de Godfrey) et Herbert Samuel (ministère des postes, et donc des télécommunications) d'avoir abusé de leurs positions pour tirer profit du cours de Marconi. Le journal commet une erreur fatale : il prétend que les ministres détenaient des actions de la société Marconi anglaise. Cette inexactitude lui vaudra un procès en diffamation qu'il perdra, contraint de publier des excuses formelles. D’autant qu’à titre personnel, Samuel n’en a jamais, lui, détenu. Mais le mal est fait.
Au même moment, Cecil Chesterton de The New Witness en Angleterre donne des informations similaires et attaque nommément Godfrey Isaacs. Le dirigeant poursuit également le journal en diffamation. Le frère de Chesterton est aussitôt licencié du Daily News en représailles.
Est-ce que tout ce petit monde savait que le Titanic avait coulé, que la TSF aurait pu éviter le naufrage, et qu’Herbert Samuel allait publiquement citer le nom de Marconi ? Eh bien… il semble que non. Alors même qu’en réalité, c’est ici que la manipulation semblerait la plus évidente.
Mais les faits sont bien plus subtils que ce qu'affirment les journaux. Les protagonistes centraux de cette affaire sont tous des membres éminents du gouvernement libéral d'Herbert H. Asquith :
David Lloyd George, Chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances) ;
Sir Rufus Isaacs, Attorney General (ministre de la Justice) et frère du directeur de Marconi ;
Herbert Samuel, Postmaster General (ministre des Postes et Télégraphes, responsable des communications) ;
Et Alexander Murray, Chief Whip du parti Libéral (secrétaire parlementaire du Trésor).
Tout commence au printemps 1912 lorsque le gouvernement britannique prépare l’ambitieux Imperial Wireless Chain, le fameux réseau de TSF expliqué plus tôt. Sauf que cette info confidentielle tombe dans l’oreille de pas mal de gens…
Le 17 avril 1912, quelques jours après le naufrage du Titanic, Rufus Isaacs achète 10'000 actions de la Marconi Wireless Telegraph Co. of America, via son frère Godfrey, à un prix préférentiel autour de 2£ l'action. Il en revend aussitôt une partie à Lloyd George (2'000 actions) et à Alexander Murray (1'000 actions). Murray achète également 2'500 actions supplémentaires pour le compte du Parti libéral, comme placement de ses fonds. Herbert Samuel, pour sa part, conscient de sa position de négociateur du contrat, s'abstient d'investir personnellement.
À ce moment précis, les ministres connaissent déjà l'existence imminente d'un très gros contrat gouvernemental avec Marconi, information confidentielle négociée en secret depuis plusieurs semaines. Ils sont également informés que le Titanic a coulé, mais les détails sur le rôle crucial de la technologie sans fil dans le sauvetage restent encore parcellaires et confus en Grande-Bretagne. Et ne semblent donc pas avoir motivé toute la petite troupe.
Mais l’astuce réside donc dans cette petite entourloupe : les ministres n'achètent pas des titres de la compagnie britannique avec laquelle l'État va contracter (conflit d'intérêt évident), mais des parts de la filiale américaine. Cette distinction juridique leur permettra plus tard de se défendre en prétendant qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêts direct, tout en profitant de la hausse généralisée des actions Marconi suite à l'annonce du contrat gouvernemental.
Le timing est particulièrement avantageux. Le lendemain de l’annonce de Samuel, l’action décolle donc lors de son IPO. Rufus Isaacs vend l’intégralité de ses actions autour de 3,5£ (+80%). David Lloyd George vend pour approximativement le même prix, la moitié de ses actions le lendemain, le 20 avril.
Finalement, la déclaration (visiblement non coordonnée) d’Herbert Samuel est une double aubaine :
Le cours augmente fortement le jour même de l’IPO ;
C’est une excellente couverture pour cacher le délit d’initié.
Parce qu’en réalité, le contrat avec le gouvernement ne sera annoncé que plusieurs mois plus tard, en juillet 1912, faisant une nouvelle fois décoller les cours. Et permettant à tout ceux qui avaient encore des actions de solder leurs positions.
Aujourd'hui, cette séquence — achat privé à prix préférentiel, déclaration publique ministérielle favorable, puis introduction en bourse, qui plus est avec des PPE7 comme on dit maintenant — serait qualifiée sans hésitation de manipulation de marché caractérisée. Mais en 1912, ni le délit d'initié ni la manipulation de cours ne sont clairement définis dans le droit britannique.
George, Isaacs, Samuel et Murray ont été longtemps mis en cause, publiquement, puis devant les tribunaux. Ainsi que plusieurs banquiers et courtiers furent sévèrement critiqués pour leur comportement dans un rapport parlementaire qui évoquait une "grave impropriété morale", mais aucun n'a été officiellement condamné, faute de loi qui interdisait explicitement ces agissements.
Lloyd George devint Premier ministre en 1916, trois ans après le scandale. Rufus Isaacs est devenu Lord Chief Justice (président de la Cour suprême britannique), mais sa réputation fut durablement écornée. Herbert Samuel est devenu plus tard Secrétaire d'État à l'intérieur en 1916, puis un leader influent chez les libéraux, malgré une image ternie.
Alexandre Murray (Lord Elibank) fut le seul à devoir démissionner peu après le scandale en 1913… mais a été anobli le mois suivant.
Sur le plan judiciaire, le directeur de Marconi, Godfrey Isaacs, porta plainte en diffamation criminelle contre Cecil Chesterton pour les accusations parues dans The New Witness. Le procès en juin 1913 se solda par la condamnation de Chesterton, qui dut payer une amende symbolique de 100£. Ce verdict n'innocentait pas pour autant les ministres aux yeux de l'opinion. Chesterton, même après sa condamnation, réitéra publiquement ses accusations, et aucun ministre n'osa le poursuivre à nouveau – signe que toute nouvelle procédure risquait d'exposer davantage leurs agissements.
L'affaire a également ravivé un antisémitisme latent dans le discours de certains critiques, qui dénonçaient une "clique" financière aux commandes. Belloc et Chesterton n'hésitèrent pas à jouer sur ce registre, jetant une ombre sur la participation de personnalités juives à la vie publique – Rufus Isaacs et Herbert Samuel étant tous deux juifs – alors même qu'aucune preuve de complot n'existait.
Le scandale Marconi est entré dans l'histoire comme l'une des premières grandes polémiques mêlant politique, haute finance et éthique publique à l'ère moderne. S'il n'a pas immédiatement fait évoluer la loi, il a sensibilisé l'opinion et les responsables à la nécessité de règles plus strictes contre les conflits d'intérêts.
Épilogue
La tragédie du Titanic a profondément modifié les réglementations maritimes. Dès 1913-1914, de nouvelles règles internationales ont rendu obligatoire une veille radio permanente 24h/24 sur les navires et des fréquences dédiées aux urgences en mer. L'instauration de l'appel universel SOS comme norme mondiale a été formalisée, remplaçant définitivement les différents codes utilisés par les compagnies privées.
Cette catastrophe a marqué une prise de conscience mondiale sur l'importance des télécommunications en matière de sécurité maritime, conduisant à la création de la SOLAS8 dès 1914. Les leçons tirées du drame ont mis en lumière les failles béantes du système : absence de veille continue, saturations du réseau par des messages non-urgents, aucune priorité donnée aux alertes de sécurité.
Ironiquement, c'est cette même tragédie qui a valorisé l'image de Marconi auprès du public, tout en révélant les limites d'un système où les communications commerciales primaient encore trop souvent sur la sécurité maritime.
L'histoire de la Marconi Company elle-même prend un tournant décisif après la Première Guerre mondiale. En 1919, aux États-Unis, la RCA est créée – avec le soutien de la marine américaine – pour racheter les actifs de la filiale American Marconi. Cette décision stratégique et militaire fait disparaître Marconi Wireless Telegraph Co. of America en tant qu'entité distincte. Le gouvernement américain souhaitait ainsi s'assurer que les infrastructures radio stratégiques ne seraient plus sous contrôle étranger.
En Grande-Bretagne, la maison-mère Marconi se redéploie vers de nouveaux domaines. Dès 1922, elle participe à la fondation de la BBC9, consortium de fabricants d'émetteurs et de postes radio créé sous l'égide du gouvernement.
L'entreprise continue son expansion technologique, lançant la Marconiphone, marque de radios domestiques, et développant dans l'entre-deux-guerres des émetteurs à ondes courtes pour les communications internationales. Dans les années 1930, Marconi mène des recherches en télévision électronique en association avec la société EMI. Le système Marconi-EMI sera retenu par la BBC pour la première télévision publique au monde en 1936. En France, la société lancera Pathé-Marconi, joint-venture avec le plus ancien studio de cinéma du monde, qui existe toujours.
Après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, la Marconi Company est rachetée par le conglomérat English Electric qui souhaite étendre ses activités au secteur de l'électronique. La société est restructurée en quatre divisions : communications, broadcasting, aéronautique et radar. Cette intégration dans de plus larges ensembles se poursuivra avec GEC en 1968, puis BAE Systems, au sein duquel Marconi Electronic Systems subsistera jusqu'en 1999 - date symbolique qui marque véritablement la fin de l'ère Marconi, presque un siècle après les premières transmissions sans fil qui avaient révolutionné le monde des communications.
Mais l’affaire Titanic-Marconi aura également révolutionné le monde de la finance. Des tentatives timides de régulation apparaîtront au fil des décennies. La loi sur les sociétés de 1929 obligera à publier certaines opérations sur titres par les dirigeants, puis en 1939, une législation sanctionnera les fonctionnaires abusant d'informations confidentielles. Mais ces textes, dépourvus de réels mécanismes punitifs, resteront très insuffisants.
Il faudra attendre sept décennies pour un véritable arsenal juridique. Ce n'est qu'en 1980 que le Royaume-Uni adopte le Companies Act, première loi érigeant l'insider trading en délit pénal. Un dispositif renforcé plus tard par le Criminal Justice Act de 1993, puis par les régulations européennes. Un décalage sidérant entre le scandale Marconi et la protection moderne des investisseurs.
D'autres pays ont été plus prompts à réagir : les États-Unis dès 1933-34 avec le Securities Act et le Securities Exchange Act, établissant les fondements de la réglementation contre les abus de marché. La France, quant à elle, adopte une législation claire avec la loi créant la COB10 en 1987, ancêtre de l’AMF. Mais le Royaume-Uni, malgré le choc du scandale Marconi, aura traîné des pieds pendant près d'un siècle.
Quant aux États-Unis, l’actualité a montré, encore récemment, que tout n’était pas définitivement réglé.
Depuis que j’ai commencé à écrire, je traite sur des sujets qui mettent en avant des problèmes, alors que mon métier depuis 18 ans, c’est d’apporter des solutions à mes clients.
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