💥Luko : Admiral annule son offre de rachat et quitte le navire ! ⚡
La néo assurance française pourrait finir en liquidation dans les semaines à venir suite au retrait de l'offre du groupe anglais.
Bonjour à tous,
n’y allons pas par 4 chemins, c’est un ÉNORME coup de tonnerre.⚡
Admiral lâche Luko et ne rachètera pas l’entreprise.
Luko aurait jusqu’au 7 novembre pour trouver un repreneur aux mêmes conditions. Le problème c’est que les repreneurs qui s’étaient manifestés en juin dernier ne sont plus intéressés.
Quant aux assureurs, ils préfèrent racheter des contrats à la barre lors d’une liquidation, que payer 14M€ pour récupérer une boîte non rentable avec des charges.
Luko, à court de cash, devrait être placé en liquidation judiciaire avant la fin de l’année.
Mais reprenons depuis le début, parce que c’est un peu compliqué.
🌟Itinéraire d’une assurtech gâtée
Le 16 juin dernier, j’annonçais sur LinkedIn la vente à la casse de Luko à Admiral pour 14M€. J’ai d’ailleurs expliqué y’a quelques semaines dans quel contexte j’avais écrit ce post : je travaillais depuis plusieurs jours sur ce dossier… quand Le Figaro a sorti l’info la veille, m’obligeant à réécrire un truc en rentrant de soirée.
Note : je viens en réalité de faire pareil, l’info ayant été sortie cet après-midi.
J’avoue avoir été très étonné de la manière dont l’écosystème tech a accueilli la nouvelle. Une flopée de CEO félicitent Raphaël Vuillierme (CEO et cofondateur de Luko) comme si c’était une excellente nouvelle.
Lunaire. 🌚
Parce que c’est bien une vente à la casse qui a été actée.
Pour racheter Luko, Admiral a payé :
11M€ fixe
3M€ variable
Et promis 1,3M€ après coup pour permettre à l’entreprise de vivre.
Des montants contestés à plusieurs reprises par les entreprises et par Raphaël Vuillierme, mais que je réitère ici.
Pourtant, il existait au moins une autre offre mieux-disante, française, mais moins intéressante pour les fondateurs. Elle n’a pas été présentée à l’audience.
Pourquoi parler de vente au rabais ? Parce que 11M€ c’est le prix… que Luko a payé pour acheter Coya en février 2022. Et moitié moins que les 22M€ payés pour Unkle !
🤨 Tellement de pivots qu’on l’appelle Bernard
Initialement, Luko était un capteur qui permettait de vérifier si un logement ne subissait pas d’inondation. Après des péripéties que j’ai racontées ici, l’entreprise est devenue un groupe d’assurance.
Tout en haut, la holding Demain ES. C’est elle qui détient les filiales, et salarie 142 personnes.
Elle est détenue par :
Benoit Bourdel, CTO-cofondateur et président, 20,97%
Raphaël Vuillierme, Cofondateur et DG, 6,4%
Kottbusser II, le fonds de Raphael Vuillierme, 14,5%
Des VC, 48,32%
Des business angels, 9,74%
Des salariés, 0,07%
Cela résulte des différentes levées de fonds.
Très tôt, les 2 dirigeants font entrer 3 personnes de leur famille.
Mais c’est fin 2017 lors du seed que les investisseurs entrent vraiment : Kima et Evolem leadent un tour où arrivent notamment The Family et quelques business angels, dont Philippe Mondan (ex. DG Fnac ou Le Furet). En série A Accel, Speedinvest et Founders Fund arrivent, rejoints par Orange Ventures et EQT en série B.
Arrivant de la série B
Outre 7,89% de Coconut Ventures, Demain ES détient 100% de :
Luko Cover (16 salariés), l’activité française qui détient elle-même :
Luko Espagne (3)
Luko German MGA (15)
Luko Insurance (ex-Coya) (14), qui détient une licence en Allemagne
Luko Real Estate (ex-Unkle) (18)
💸Luko et les Reliques de la Mort
Cette dernière société est l’une des raisons de la chute précipitée de Luko.
En octobre 2021, Unkle fait une levée de fonds1. À peine quelques semaines plus tard, le conseil d’administration annonce qu’une vente à Luko est envisagée. Une term sheet est signée le 18 janvier de l’année suivante, puis un accord le 15 mars qui stipule que :
Les titres Unkle seront échangés contre des actions de Luko
Dont le prix sera celui de la future série C de Luko, avec une décote de 30%
Si cette la levée est supérieur à 30M€, et avec 50% de nouveaux investisseurs si elle est inférieure à 50M€
Si la levée a lieu avec le 1er avril 2023
Sinon les actions seront transformées en obligations
Luko cherchait à lever 100M€ fin 2022, mais a échoué. Le 1er avril dernier, les titres sont donc devenus des obligations.
Luko a donc été contraint de demander une procédure de sauvegarde accélérée, incapable de faire face à ses dettes. Parce qu’elles sont colossales : 45,5M€ selon Luko en juin dernier.
C’est en réalité 57M€2 aujourd’hui selon les informations que j’ai en ma possession.
En rang 1 on retrouve 2 créanciers pour des emprunts avec garantie :
Triple Point : 25M€ (j’en avais parlé ici) signé fin 2021
BNPP : 800K€, signé mi 2022
C’est d’ailleurs un problème : Triple Point a obligé Luko à nantir son fonds de commerce, ses marques, les comptes de la holding, des titres Luko Cover et des créances liées aux contrats des assurés.
BNPP lui n’a une garantie que sur le fonds de commerce.
Tant que TriplePoint n’a pas récupéré son dû, la société n’est pas transférable en l’état.
Problème, cette créance de 25,8M€ est valorisée 36M€ durant l’été. Pire : à la rentrée, BNP est monté au front pour se faire rembourser ses 800K€ et a contesté le bien-fondé du plan de sauvegarde.
Est-ce que ça aura déstabilisé Admiral au point d’annuler le deal ? Aucun proche du dossier n’a souhaité confirmer ou infirmer la moindre information.
En tous les cas, les autres créanciers dits chirographaires (j’adore ce mot), c’est-à-dire sans garantie, l’ont un peu mauvaise (genre : moi).
En rang 2 (8,2M€) :
Bpifrance : 6M€ empruntés au total
Divers créanciers
En rang 3 (2,2M€) :
L’État : 1,7M€ de PGE
En rang 4 (10,9M€) :
Les actionnaires d’Unkle : initialement 8,8M€ pour les obligations convertibles majorées de 40% et 2,1M€ pour celles minorées de 30%.
💡Orgueil et préjugés
Comment Luko espérait payer l’échéance d’avril 2023, alors que même son prévisionnel le plus positif ne permettait pas de sortir une telle somme ? Aucune idée.
Selon plusieurs personnes qui ont suivi la négociation très tôt, les obligations convertibles n’ont été proposées que pour rendre le deal acceptable.
Pour rappel, le deal est signé en mars 2022. Tout juste 8 mois plus tard, en novembre, Lazard est mandaté pour trouver des investisseurs ou céder une partie des actifs, notamment en prévision de l’échéance.
Pourtant, Anaxago qui a levé près de 15% du montant de la vente n’était toujours pas au courant des difficultés début 2023 !
Pire : le 3 mars 2023, la plateforme communique auprès de ses investisseurs avec les éléments de langage chiffrés de Luko. Et conclue :
“A ce jour, les conditions de conversion automatique de nos obligations convertibles ne sont donc pas réunies. Dans l’hypothèse où le 1er avril 2023 (date de maturité) les conditions ne seraient toujours pas réunies, alors nous vous consulterons pour décider de la suite à donner à cet investissement, à savoir : soit un remboursement en numéraire qui permettrait de constater une plus value brute de 40%, soit une conversion en actions.”
Comment expliquer qu’Anaxago n’ait pas été capable d’avoir des informations plus concrètes sur la situation ?
Le 17 juin, Anaxago se dit “étonné de la diffusion [d’] informations” “faisant état d'un rachat” “sur les réseaux sociaux”.
Bah les mecs : faites votre boulot non ? Des discussions avaient lieu depuis plusieurs semaines, la procédure de sauvegarde avait été déposée le 31 mai, et l’audience qui a privilégié la vente à Admiral avait eu lieu le… 7 juin !
L’offre d’Admiral avait été formulée le 3 mai !
Le conciliateur de justice indique même que tous les créanciers sont favorables à cette cession, à l’exception de 20% de créanciers bancaires.
D’autant que se pose une autre question : si à peu près tout le monde savait que Luko ne pourrait pas payer, pourquoi le deal Unkle a été accepté, et surtout sans garantie ?
Parce qu’il était évident de Luko ne pourrait pas être rentable. Son seuil de rentabilité est estimé à 120M€ de primes par an, soit 3x ce qu’a collecté Luko en 2022 et qui a permis un CA de 4M€. Des chiffres là encore contestés, mais que je maintiens.
Parmi les filiales, c’est Coya qui affichait le plus gros CA avec 6,1M€, contre à peine 200K€ en Espagne et 500K€ pour Unkle.
Le problème c’est que si la holding Demain ES a effectivement généré 4,1M€ de CA, elle a surtout subi une perte de 17M€ (2,3M€ pour Unkle, 1,6M€ pour l’Espagne, 1,4M€ pour Coya).
Et pour éviter qu’on vienne contester ces chiffres encore une fois, les voici publiés pour la première fois :
Et le bilan :
Problème : les actifs de la société c’est 36M€ de participations (dont 11,1M€ pour Coya, 11,9M€ pour Unkle) et 15M€ de créances liées aux participations.
Coya a été vendu à Getsafe début octobre.
Une semaine plus tard, Unkle était cédé à Solly Azar.
Le montant de ces cessions est LOIN d’être 23M€. Lazard avait estimé la cession entre 9 et 17M€. Selon mes informations, le total serait en dessous de cette fourchette.
C’est possiblement l’autre explication de la mort du deal. Parce que si ces ventes ne permettent pas de rembourser Triple Point et BNP, alors ils restent propriétaires de la quasi-totalité de l’activité !
🕰 L’histoire sans fin
La suite est sombre. Aucun des prétendants de juin ne souhaite revenir dans la course. Du côté de ceux qui pourraient racheter les clients, on me confie qu’il serait plus intéressant d’attendre une liquidation.
Luko n’a AUCUNE chance de survivre sans rachat.
En juin dernier, il restait environ 4M€ sur les comptes, mais Luko dépensait 1,3M€ par mois rien que pour les salaires.
Mais surtout, l’argent était à 40% issu de la trésorerie de Luko Cover France, et 25% d’Unkle (1M€).
D’ailleurs, le prévisionnel d’avril le met bien en évidence.
Sauf que ces prévisions sont basées sur plusieurs conditions (cumulatives) :
Le rachat par Admiral (d’où la fusion des activités en septembre + 1M€ de salaires en moins)
Le versement de 1,3M€ par Admiral pour assainir les comptes
Le non-paiement du loyer
Et un crédit impôt recherche… de 1,4M€ !
Ouais. La bonne exécution du plan se base sur des impayés de loyer (leur propriétaire n’avait qu’à s’assurer chez Unkle😬) et sur le fait de taper dans de l’argent public pour un Crédit impôt recherche sur une boite qui ne va rien chercher du tout.
Et c’est la suppression de ces dépenses qui fait que l’entreprise “tiendrait” jusqu’à fin 2023.
Parmi ces lignes, une retient PARTICULIÈREMENT mon attention : le marketing. Fin 2022-début 2023, Luko dépensait entre 500 et 600K€ / mois, et fait un prévisionnel qui descend à 174K puis 0K€.
Mais voilà : mi-septembre, je m’étranglais en voyant Luko s’affiche dans le métro. Selon un annonceur qui avait une campagne similaire à la même période, le budget tournerait autour de 90K€. Tout ça pour faire marrer les copains de la French Tech.
Cela dit, il est probable que la dépense ait été planifiée avant.
Mais plusieurs financiers du dossier ont peu apprécié la blague…
🔥Apocalypse now
Et c’est justement l’accumulation de ces petits coups qui aurait amené Admiral à lâcher l’affaire, auxquels vient s’ajouter une flopée de “cadavres dans le placard” selon un proche de la transaction.
Certains diront que je fais mon “je vous l’avais bien dit”, mais les nombreux commentaires parfois agressifs et insultants que j’ai reçus en juin dernier ont mal vieilli.
Ce patron de proptech qui me demande d’arrêter de jeter l’opprobre sur le secteur parce qu’il faut “parler des emplois sauvés”.
Cette co-directrice d’incubateur qui m’explique que je devrais me “réjouir” de cette “belle réussite”.
Ce prof d’HEC qui parle d’une “analyse de bistrot” de la part “d’un donneur de leçon racoleur et minable”.
Cet entrepreneur qui ressort le fameux “la critique est aisée, l’art est difficile” pour expliquer qu’il ne faut pas analyser les échecs des autres.
Pourtant, ma conclusion de l’époque reste la même.
Au point que je vais juste la coller ici.
Le cas Luko n’est pas anecdotique.
Si on pense évidemment à toutes les levées et valos délirantes qu’on a vus entre 2018 et 2022.
On peut également penser au marché immobilier, qui est proche du delirium tremens alors qu’il n’assume pas son manque de crédit, pourtant revenu au même niveau qu'avant les taux directeurs à 0%.
C’est triste de voir autant d’argent et d’emplois sacrifiés.
Ça l'est tout autant de voir les dirigeants se pavaner sur une pseudo réussite, alors qu'ils laissent une ardoise colossale.
Encore une fois : aucune leçon ne sera tirée.
Je m’appelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et création de contenus pour des entreprises de la finance, de l’immobilier et du web3.
👉 Me contacter, ou répondre à ce post : benj@mincharl.es
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Disclose conflit d’intérêts : j’ai personnellement participé à cette levée de fonds, et suis donc directement concerné par le rachat d’Unkle, donc la dette liée aux obligations convertibles due par Luko.
Je n’ai pas la raison exacte sur ce montant supplémentaire, mais il est probable que des intérêts traînent depuis un moment.
Enquête propre. Des chiffres. Des faits.
Article très intéressant, comme d'habitude.
C'est fou de voir que la critique de la gestion des fausses licornes et des startups est difficile et rare. On parle quand même en majorité d'entrepreneurs qui y sont pour leur enrichissement personnel, et qui, quand ils se plantent (souvent), font perdre de l'argent public, flouent des investisseurs (et pas toujours des gros VC), des salariés, des sous-traitants, des clients (j'ai 3 contrats chez eux déjà payés :) ).
Heureusement, ca change (un peu).
Petite question : quelle serait la responsabilité civile des dirigeants dans ce type de liquidation ?