💥 Masteos : Anatomie d’une chute
Retour sur l'effondrement à 65M€ d'une des plus grosses proptechs françaises.
Depuis la remontée des taux, l’écosystème startup tremble. Parce que ce modèle d’entreprise est basé sur le financement de leur croissance par des fonds de venture capital (VC) qui tentent de récupérer leur mise x10 x50 voire x100, espérant avoir investi dans le prochain Facebook.
Ce modèle a une limite qui porte un nom : le runway. C’est-à-dire l’espérance de vie financière d’une entreprise en fonction de sa trésorerie. Entre 2019 et 2022, chaque startup connaissait sa date limite, et donc à quel moment boucler son tour de financement.
Le retournement de marché a tout changé.
Et il y a des entreprises particulières touchées par ce changement : les fintechs et les proptechs.
Parce qu’une hausse des taux a pas mal de conséquences :
La hausse des rendements garantis : avec une obligation d’état à 4 ou 5% (contre 0,5% 1 an avant), quel intérêt d’investir sur du risqué à 5 ou 6% ?
La hausse des taux fait baisser le prix de l’immobilier et ralentit la production de crédit (c’est précisément l’objectif). Mais le marché immobilier résidentiel est fortement porté par la production de crédit (et inversement).
À la croisée des mondes, on retrouve évidemment les réseaux de mandataires comme IAD, qui ont pu gérer leurs couts parce que leurs créateurs de valeurs ne sont pas salariés, mais également les nombreux vendeurs de locatifs clé en main.
Mais pourquoi ImAvenir, Bevouac, Investisseur Locatif, Ouiker, Beanstock ou Masteos ne sont pas dans la même situation début 2024 ?
Parce que la plupart des startups qui galèrent depuis quelques mois, sont celles qui ont levé des fonds. À l’instar de Hosman (10M€ levés) qui serait au bord du dépôt de bilan, les 65M€ levés par Masteos n’auront pas suffi à sauver l’entreprise.
Et si, en réalité, c’est même ça qui avait causé sa perte ?
⛱️Avant que l’ombre…
L’histoire de Masteos remonte à un an avant sa création en 2019, chez un concurrent.
À l’époque Bevouac n’a que quelques mois, et parmi ses premiers collaborateurs se trouvent Thierry Vignal et Maxime Hanquier, futurs co-fondateurs de Masteos. Un moment immortalisé par une photo partagée par Martin Menez (toujours à la tête de Bevouac) à l’occasion d’un post LinkedIn rappelant gentiment que son entreprise, elle, allait bien. Ils n’arriveront pas à se mettre d’accord sur leur possible association, et finiront par quitter l’entreprise.
Je sais pas si vous vous rappelez 2019… Je vous parle d’un temps que les stagiaires analystes VC ne peuvent pas connaître. C’était une époque de taux bas, de marché immobilier en surchauffe, où le Covid n’existait pas, et avant que les énormes levées de startup n’arrivent en France.
C’est loin hein ?
À la même époque, les réseaux immobiliers “recrutent” des mandataires à foison pour couvrir le territoire. Tout se vend, tout se finance.
Mais tout ça n’existe que grâce à une anomalie de marché : des taux directeurs à 0%.
Aucune personne normalement constituée, passée par une école de commerce ou ayant pris des cours de finance ne peut l’ignorer. Pas plus qu’il n’est possible d’ignorer que c’est une situation temporaire.
Et la période Covid n’a fait qu’aggraver la situation :
En obligeant les banques centrales à continuer la politique de taux bas pour relancer l’économie ;
Par la politique mondiale, massive, hors norme et inédite de création monétaire et de rachat de dette.
À ce niveau on ne peut plus dire que le ver était dans la pomme, mais que le pommier était pourri par la racine.
Qu’en savaient Thierry Vignal (actionnaire à 47% à la création) et Maxime Hanquier (53%) ? « Pas grand-chose », selon le premier. « Si les taux étaient montés à 2% au lieu de 4%, Masteos aura survécu », selon le deuxième.
Mais ni eux, ni les actionnaires historiques comme Pierre Entremont ne sont dupes. Si Masteos a permis à 1’600 personnes d’investir dans l’immobilier, c’est grâce à une martingale temporaire qui existait déjà depuis un moment.
Parce que Masteos est venu se mettre une niche où existait un autre business : les formations. Pendant des années des mecs ont vendu, en promettant richesse et liberté, des méthodes pour investir dans l’immobilier, souvent à la limite du légal. À base de résidence principale qui finalement devient du locatif, de doublette de crédits, de surestimation des travaux et fausses factures pour sortir du cash du crédit, etc.
L’idée du locatif clé en main avait déjà repris par certains d’entre eux, comme Kevin Savonni avec Revenus Locatifs, mais de manière très cadrée et mesurée. Masteos, lui, voulait l’industrialiser.
💸Free Money
Au départ, Masteos avait un autre projet que raconte Maxime Hanquier :
« On voulait monter une boite de coliving pour challenger le modèle, mais on manquait de cash : on était au RSA ! Alors pour faire tourner la boite on a commencé par faire des deals comme on faisait avec Bevouac. En moins de 2 mois, on a fait 10 ventes. »
Thierry Vignal a plutôt un profil de gestion et de communication externe. Maxime Hanquier est plutôt spécialisé en marketing et acquisition. Et ce qui devait être un side project devient finalement leur coeur de métier.
Courant 2020, Tanguy de Ferrières qui dirige l’entreprise depuis peu entre au capital en prenant 5,6% des parts. Il est suivi par Jérôme Manuguerra, en charge des travaux (qui quittera l’entreprise en 2022), puis des actionnaires de Happy Property, qui cèdent un blog immo en échange d’un peu d’actions. Le dirigeant, Sébastien Gal deviendra CPMO, avant de quitter Masteos pour créer Prello à l’été 2021, notamment parce qu’il ne croyait pas à la scalabilité du modèle.
Sont alors actionnaires :
Thierry Vignal (33%)
Maxime Hanquier (38%)
Tanguy de Ferrières (4%)
Jérôme Manuguerra (24%)
Sébastien Gal, Kevin Bruneau, Ludovic de Jouvancourt (>0,1%)
Masteos n’est pas tout à fait rentable, l’équilibre n’est pas loin. Le problème, c’est son BFR. Parce que l’immobilier est un cycle long. Il faut 2 mois pour qu’un lead passe à l’action, à peu près pareil pour qu’il signe un deal, et encore 2 fois ça pour que la transaction soit payée. Et Masteos avec. Soit 6 à 10 mois pour un client. Environ 14 mois après un recrutement.
C’est pour financer ce BFR que Masteos fait un seed en BSA de 1,1M€, annoncé sur décembre 2020 sur son site internet via un article cryptique. Le ticket d’entrée est fixé à 5’000€.
Le principal investisseur est Manoury (300’000€), LLC américaine dirigée par Infravia. On retrouve également Olivier Daligault (Meilleurs Agents), Pierre Entremont (Frst), Maxime Lesaulnier (Onefinestay), Benjamin Bitton (2C Finance), Bilal El-Alamy (Equisafe, futur PyratzLabs et Dogami), Guillaume Lestrade (Meero), Reda Berrehili (Mixotv, Onefinestay), ainsi que plusieurs salariés de Masteos.
Un des premiers collaborateurs qui a passé plus de 2 ans dans l’entreprise explique l’engouement interne :
« La seule grande réussite de Masteos, c'est d'avoir recruté presque exclusivement des gens passionnés et convaincus de pouvoir aider des personnes à accroître leur patrimoine grâce à l'investissement locatif. »
Rapidement, le VC français Daphni suit avec 3M€ via Daphni Yellow (issu d’une fusion avec le fonds de Marc Simoncini) qui venait de closer 80M€ avec Accor, Bouygues ou encore Macif.
L’idée officielle est de développer la tech, ce qui permettrait de valoriser l’entreprise, et donc de recruter une équipe dédiée. Mais la réalité est un peu différente.
« C’est toujours les investisseurs qui sont venus nous voir et pas nous qui sommes allés les chercher », confie Maxime Hanquier
C’est d’ailleurs le cas de quasiment toutes les grosses levées de cette période où le FOMO règne. Au point qu’on finit par se demande si les BP sont créés pour les levées… ou l’inverse.
C’est mi 2022 que tout va s’accélérer : Masteos annonce une série A à 40M€ logiquement leadée par DST Global, qui fait également entrer Kima, le fonds de Xavier Niel (Free) et Jeremie Berrebin (Zilo, Leetchi).
Moins médiatique que Sequoia ou a16z, DST gère 50mds$. Créé en 2009, il est dirigé par Youri Milner un Russe qui a cofondé Mail.ru, vendu pour devenir VK. Son fonds a investi assez tôt dans Facebook, Twitter, Snapchat, Spotify ou Alibaba, et a fait d’énormes plus-values lors des ventes de WhatsApp à Facebook ou ByteDance (TikTok).
« Une légende de la Silicon Valley, qui a de quoi faire rêver n’importe quel patron de startup au monde » explique un co-fondateur de licorne.
🍾 Non-wisdom of the crowd
Quand un des meilleurs VC du monde entre au capital d’une startup, on peut imaginer la longueur des dues diligences. Non seulement parce qu’on parle de beaucoup d’argent, mais surtout parce que ça envoie un signal gigantesque au marché.
Pourtant, tous les investisseurs semblent ignorer le contexte macroéconomique.
« Quand la série se boucle1, ils ne se rendent même pas compte que les taux sont en train d'augmenter et que ce n'est pas du tout le bon moment », selon Thierry Vignal.
Les 20M€ font forcément tourner la tête : les fondateurs se retrouvent à avoir des parts importantes d’une boite valorisée 100M€.
« Pour 20M€, n’importe qui couche avec sa mère », ironise (lucide) Thierry Vignal. « À partir du moment où un mec te propose 20M€, quelles que soient les raisons, tu dis oui. Moi, j'ai dit oui. »
Parce que si beaucoup aiment à dire « pour tout l’or du monde, je ne fais pas ci » ou « même pour XM€, je ne fais pas ça », combien ont vraiment été dans une situation où l’offre était vraiment sur la table ?
Pourtant, quelques mois plus tôt, la Russie a envahi l’Ukraine. Une situation que connait parfaitement Youri Milner puisqu’il a renoncé à la nationalité russe, en partie pour échapper aux sanctions.
De son côté, l’inflation est en train d’exploser depuis 2021, et en France l’IPC est en train de dépasser 6%.
Il n’y a AUCUN scénario possible où les taux n’augmentent pas.
Aucun.
Vraiment.
Et si une hausse des taux aura un impact mondial, ça le sera encore plus sur l’immobilier qui met du temps à réagir, surtout sur le résidentiel. Un marché auquel Masteos est exposé à 100%. D’autant que l’inflation est déjà en train de peser très fort sur le cout des matériaux, et donc des travaux.
C’est d’ailleurs une autre étrangeté de cette série.
Masteos est valorisé 100M€, soit 10 fois moins que Shine, par exemple. De l’avis de plusieurs personnes de l’époque, les ratios étaient bon. Parce que Shine faisait à peine 4M€ de CA, quand Masteos faisait 20M€. Mais 50% était un CA travaux, ce qui en faisait une grosse PME du BTP.
Pourtant à cette période, Masteos est à son apogée : en juin 2022 l’entreprise fait 250 deals. Mais l’équilibre (5M€/mois), c’est plus du double. L’entreprise burn 2€ pour espérer en générer 1.
Et on est ici face à 2 énormes problèmes :
Des VC ont estimé une boite en utilisant des ratios et des méthodes SaaS ;
Masteos est une boite de gestion locative et de travaux, c’est-à-dire des métiers qui ne sont pas du tout scalables.
Un point qui avait déjà posé problème à “l’époque royalties” à Cédric O’Neill, fondateur de Bricks.
« C’est très difficile de gérer des locataires particuliers. Tu te retrouves avec une armée mexicaine qui doivent gérer à la main, donc ça grève ta renta. »
Un point confirmé par le gérant d’une SCPI résidentiel.
En réalité il suffit de connaitre un tout petit peu l’immobilier et de regarder 10 minutes le business plan pour se rendre compte qu’il ne faut pas investir dans Masteos. Pas parce que c’est une mauvaise boite. Mais parce qu’elle ne peut pas faire ce qu’un VC attend d’un investissement startup.
C’est ce qui avait décidé Cédric O’Neill a basculé du modèle proptech à celui de fintech en devant intermédiaire et non gestionnaire.
« On n’a pas su choisir si on était une startup ou une boite opérationnelle. Au moment où on lève fort, on aurait dû faire ce choix, et recruter un codir en conséquence » avoue Maxime Hanquier.
Pourtant, les deux dirigeants ont plutôt des profils startup, et déléguer l’opérationnel était à la fois dans l’air du temps, et dans la logique du monde des travaux.
Reste que des millions sont cramés en marketing pour créer une marque et faire de l’acquisition de leads. Ou 500K€ pour acquérir un logiciel qui, selon toutes les personnes interrogées, n’avait aucun sens. Ou des bureaux (dans l’ancien hôtel particulier où avait filmé la Star Academy) à 80’000€ / mois.
« On sentait que l’argent coulait à flot et que la boite ne comptait pas les dépenses. Tout le monde était bien payé, certains avaient des voitures de fonction. C’était la belle vie. » raconte un ex-salarié.
✈️ Y a-t-il un pilote dans l'avion ?
Est-ce que les dirigeants en sont conscients ? Thierry Vignal parle d’une forme de désarroi qui frôle l’amateurisme.
« Moi, je n'y connais rien. C'est ma première boite. Je rentre de Londres, je n'ai jamais fait de startup. J'ai été analyste en banque. J'ai aidé des potes à acheter des apparts à Rouen, au Havre, à Lille. J'étais très bien. J'étais avec mon copain, Gégé, le roi du placo. »
Maxime Hanquier concède que les dirigeants de startups sont globalement mal formés, notamment à la gestion des entreprises, et aux lois qui les régissent. Et sans doute à ce qu’implique de lever des fonds.
Parce qu’une fois que c’est fait, il faut faire de la croissance. Et toutes les startups finissent dans une espèce de tourbillon.
Dès que tu as un gros fonds, les autres suivent les yeux fermés ;
Plus tu lèves d’argent, plus on veut t’en donner ;
Plus tu as d’argent, plus tu en crames ;
Plus tu en crames, plus tu fais de la croissance artificielle ;
Plus tu fais de croissance, plus on te refile de pognon, etc.
Cette course contre le runway semble difficilement compatible avec l’établissement une stratégie long terme.
« Personne ne prend du recul. Une fois que tu es embarqué dans une trajectoire, tu as un board tous les mois, tu avances, tu es le nez dans le guidon, tu regardes des KPIs » raconte Thierry Vignal
Ce qui peut expliquer des errements stratégiques étonnants.
Alors que tout le monde “ubérise” le marché en faisant bosser de faux indépendants, qu’IAD explose le marché avec des mandataires qui ne leur coute rien, Masteos… fait le chemin inverse !
Avec une cinquantaine de commerciaux sur le terrain, en CDI, mais également du personnel pour les travaux, comme des plombiers. Une fausse impression de contrôle qui coute cher.
« Ce n’est pas pour rien qu’il n’existe aucune boite nationale qui fait des travaux en dehors des groupes de BTP : c’est surtout un métier local qui se gère localement et qui n’a aucune opportunité de scale » explique Thierry Vignal
Tout ses concurrents le confirment. Plusieurs salariés également.
Masteos aura accumulé jusqu’à 100 ouvriers, et avec 20 personnes aux RH pour gérer tout le monde.
« À 16h, ils partaient faire des chantiers au black. Et ils étaient cas contact COVID un jour sur deux » raconte Thierry Vignal, sans amertume, prenant la responsabilité à son compte.
Ces problèmes de recrutement se retrouvent également au siège, où plusieurs salariés de l’époque parlent de personnes seniors avec des profils “stratégie” et rarement des opérationnels pour les mettre en place.
Mais tous les salariés interrogés racontent la même ambiance agréable.
« J’ai été agréablement surpris par la bienveillance. Il y avait un bon état d’esprit, et chacun essayait de faire son taf. »
Mais beaucoup parlent du manque de vision de la direction. Deux d’entre eux la symbolisent par une citation qu’ils attribuant à Maxime Hanquier
« Moi, je ne sais pas, c’est pour ça que je recrute des gens qui savent »
Une belle preuve d’humilité sur l’aspect métier, mais dont l’absence de direction claire finit par créer des guerres politiques entre C-level qui ont tous leurs propres visions.
Le problème c’est que tout ça coute cher.
« A posteriori, la levée avec DST était une erreur. Elle a servi à recruter pour licencier derrière », concède Maxime Hanquier.
Une embauche coute, tous frais compris, entre 15 et 20K€. Masteos en a fait 300. Sauf qu’il en a licencié tout autant… avec un cout équivalent. Une opération à 10M€ pour rien, hors salaire, que personne n’avait visiblement vu venir.
Mais personne parmi les fonds n’avait la moindre expérience en immobilier. Mais plus largement : combien de VC ont une expérience entrepreneuriale ?
Ni Daphni, ni DST, ni aucun membre du board n’a vu le problème.
Pas plus que Thierry Vignal qui faisait le tour des plateaux télé.
💫 Ready or not, here I come, you can't hide
Si le tour de Daphni misait sur la tech (développée par 25 personnes « sans direction claire », selon un membre de l’équipe), celui de DST devait financer un développement à l’international.
Mais le produit n’est pas mûr et l’hyper croissance n’est pas toujours bien gérée au quotidien : les clients finissent par s’en plaindre.
Un manager de l’entreprise indique alors avoir alerté sa direction, afin de trouver des solutions sur l’évolution du produit : « mais ça ne l'intéressait pas », déplore-t-il.
Plus d’une dizaine de témoignages clients me sont parvenus, parlant d’errements dans les travaux, mais surtout d’un suivi plus qu’approximatif où les équipes de Masteos n’étaient plus joignables au moindre conflit. La quasi-totalité s’est finalement directement adressée au médiatique patron Thierry Vignal. Un client a même alerté un des VC.
Ces mécontentements, visiblement fréquents également sur la partie gestion locative, font peur à Masteos qui tient à son image de marque. De nombreuses compensations de loyers sont accordées aux clients pour sauvegarder l’image de marque.
À cela s’ajoute un marché immobilier en baisse, des montants investis qui baissent. Après plus de 6 mois, l’Espagne et la Belgique peinent à faire 10 transactions par mois, et les pays sont abandonnés.
En France, plusieurs villes ouvertes sont finalement fermées. Angers n’existera que 6 mois, le temps de faire un seul vente. Alors que, là encore, si tout marchait bien sur le tableau Excel, la réalité du terrain a été plus cruelle. Comment imaginer prendre des parts de marché dans une ville bouchée, sans même prendre le temps d’envoyer quelqu’un quelques semaines pour sonder le terrain ?
🐇 Down the rabbit hole
Évidemment, quand l’entreprise commence à perdre beaucoup d’argent, les investisseurs se réveillent.
Non j’déconne.
Même quand Masteos se met à perdre 1 ou 2M€ par mois, personne ne réagit.
Pire : début 2023, Masteos refait un tour de table mené par le fonds d’EDF, rejoint par SWEN (Arkea) et NCI, afin de faire de la rénovation énergétique. Un sujet hautement intéressant, porteur et stratégie… Mais le timing interroge.
Le marché immobilier pro vient de s’effondrer, le résidentiel est à l’arrêt, les taux continuent de monter… et il n’y a aucune porte de sortie avant au moins un an !
Maxime Hanquier le justifie :
« Le fonds EDF n’est pas là pour faire des multiples, mais pour trouver dse synergies avec EDF et qui peut avoir un impact positif dans leur domaine. Mais c’est des process longs. Il y a beaucoup de juridique, avec des enjeux nationaux. »
Le mois de l’annonce, Masteos est déjà complètement hors-piste avec un burn de 5M€, soit plus de 2 fois ce qui était prévu, avec l’objectif de stabiliser à 1M€.
« Le gros souci de Masteos c’est que quand les décisions sont prises elles ont un impact 6-10 mois plus tard. Les boards étaient focus sur l’urgence parce qu’on était mal les prochains mois » explique Maxime Hanquier
Un SaaS peut continuer à vivre avec une équipe sales réduite. Si Masteos supprime un commercial dans une ville, l’activité s’arrête. C’est l’une des raisons qui fait que l’activité est assez peu scalable, d’ailleurs.
Pourtant Daphni avait imposé Claude Lesterlin en tant que CFO (parti chez Brut en octobre dernier), qui se présente lui-même comme « garant auprès des fonds actionnaires du capital investi ».
Oups.
Au board suivant, le chiffre est annoncé. Personne ne bouge. Personne ne sourcille. Personne ne réagit.
Parce que VC c’est un métier de grosses couilles. Alors tout le monde fait le bonhomme. Et là où n’importe qui dirait « mais bordel qui est le con qui a fait ça ? » puis « ok, comment on faire pour rattraper ce merdier…» aucune décision n’est prise.
Pourquoi ?
Les raisons ne sont pas très claires, mais clairement irrationnelles. Il a un fort égo et une sorte de concurrence, y compris dans les boards avec des VC concurrents. Mais surtout il y a une volonté de se dire que rien n’est grave, que tout ira mieux, quitter à s’enfermer dans un incroyable déni moutonnier, entre mensonge collectif, contagion mentale et biais de confirmation.
Ou alors, plus rationnellement, tout le monde savait que c’était fini.
Le burn a réduit drastiquement le runway ;
Les objectifs financés de la série A ne sont plus atteignables.
Donc il va falloir refinancer rapidement une entreprise qui a échoué.
Les rares réponses des VC semblent hors sol. Alors qu’il faut réduire les couts, Daphni imposent des C-Level hors de prix.
Pour restructurer ? Exit Maxime Hanquier, et bonjour Thomas Maudet pour 370K€ chargés par an.
Trop de gens ? Exit Maëlle Lang, et bonjour Stéphanie Fraise (ex-BlablaCar, Dailymotion) pour 250K€. Elle quittera l’entreprise en novembre pour rejoindre OpenClassrooms.
Besoin de croissance ? Bonjour Manuel Lesueur, nouveau CMO à 300K€.
etc.
Pour réduire les couts, les VC viennent de rajouter 3M€ de masse salariale.
Un exemple parmi d’autres.
🧱 Another Brick in the Wall
Ce type de situation finit par démotiver pas mal de fondateurs de startups, dont Thierry Vignal. Pas uniquement parce qu’il a baissé son salaire, mais aussi parce qu’il est endetté à titre personnel pour lancer Masteos.
C’est aussi le modèle des dirigeants, qui sont intéressés sur leurs parts plutôt que leurs salaires.
Sauf que ses parts valent… à peu près rien.
Pour comprendre pourquoi, il faut entrer dans une notion un peu technique : la liquidation preference liquid pref / LP).
Pour faire simple, il s’agit d’une garante financière de certains investisseurs sur les autres qui leur permet d’être prioritaires en cas de vente.
Tant que la LP n’est pas atteinte, les autres ne perçoivent rien.
Dans le cas des fondateurs de Masteos, le “mur” de LP est de 64M€. C’est-à-dire que si l’entreprise était vendue moins, alors ils ne percevraient pas le moindre euro sur leurs parts, quand même bien ils restent les plus gros actionnaires.2
Ce tabou semble être énorme dans l’écosystème, alors que tout le monde est au courant. D’autant que la plupart des fondateurs (contrairement à Cédric O) ne cash out pas lors des levées, parce que c’est souvent mal vu.
Pourtant, dès lors que la valorisation réelle s’éloigne de la valorisation du tour, le mirage des millions de cash out se dissipe face au mur de liquid pref. Et selon un avis partagé par beaucoup, les valorisations 2020-2022 sont tellement délirantes, qu’il n’y a aucune chance pour que ces entreprises la retrouvent un jour.
❌ Crowfunding : « L’erreur de ma vie»
Cette liquid pref resurgit sur un autre sujet.
En janvier 2023, Masteos ouvre son capital au grand public via Crowdcube. Thierry Vignal ne cache pas qu’il l’a aussi fait parce que d’autres l’avaient fait, comme Qonto. Pour des raisons purement marketing.
Mais le timing interroge : quand la levée débute et se clôture, l’entreprise va déjà très mal. De quoi léser les 714 investisseurs qui ont mis 1,5M€, dont Masteos n’avait même pas besoin ?
Il s’agit surtout d’une longueur administrative. Cette levée était synchronisée avec celle d’EDF : un dossier présenté à l’été 2022 et closé au Q2 2023. Mais à l’été 2022, les chiffres étaient à leur apogée.
Une situation qui désole Thierry Vignal aujourd’hui.
« Je regrette énormément d'avoir fait Crowdcube pour plusieurs raisons. Je pense que le jeu du VC, à partir du moment où les particuliers ne savent pas ce que c'est qu'une liquid pref, ils ne doivent pas jouer. Donc, je fais un énorme mea culpa sur Crowdcube. C'était l'erreur de ma vie. Et honnêtement, si j'avais gagné le moindre centime, j'essaierais de le rendre. »
Maxime Hanquier confesse que les plus gros actionnaires via Crowdcube sont des proches des fondateurs, des dirigeants ou des salariés.3
Pour seul document, Crowdcube avait présenté un PowerPoint promotionnel sans le moindre chiffre. Sans expliquer ce qu’est la LP… et sans même donner le pacte d’actionnaire.
Depuis, Crowdcube a quitté la France en toute discrétion, laissant les nombreux investisseurs sans réponse dans les forums du site.Edit du 4 juillet 2024 : Crowdcube n’a jamais quitté la France.
La question même d’ouvrir le capital d’entreprises non cotées pose question. À l’heure où un jeu télé sur M6 fait croire qu’il est possible de placer des sommes à 6 chiffres en échange d’un pourcentage, sur l’unique base d’une personne qui parle 5 minutes, c’est un jeu dangereux. Qui l’est d’autant plus quand plusieurs intervenants de ce jeu, se servent de cette promotion pour monter une plateforme d’investissement gamifiée.
Une SCPI est considérée comme un produit complexe pour l’AMF. Le private equity non.
« Je ne pense pas qu’il faille laisser n’importe qui investir. Crowdcube est régulé et contrôlé, mais les gens s’y perdent. Masteos c’est un projet complexe, avec 4 business units, de l’international, un cap-table compliquée… » pense Maxime Hanquier
💫 This is this end, my only friend
En avril 2023 la situation est incontrôlable. Non seulement l’entreprise est beaucoup trop éloignée de son BP, mais son burn est tellement élevé qu’elle ne pourra pas finir l’année.
Le licenciement massif débute, et avec lui le cout caché de la productivité qui s’effondre. Un cadre de Luko me l’explique :
« Depuis les premières annonces sur la mauvaise santé de l’entreprise, la productivité a baissé. Certains cherchent du taf, et d’autres sont démotivés. »
Avant de conclure (pour le plus grand plaisir de mon égo) :
« Chacune de tes publications a couté cher à la boite, parce que c’est au moins une demi-journée par salarié à lire, à échanger avec les autres, et autant de démotivation. Même pour ceux qui n’y croyaient pas. »
Sentiment partagé par Thierry Vignal :
« T’en as pour 5M€ à resizer. Et pendant ce temps, tu ne fais pas de vente. Parce que les mecs, pendant qu'ils sont virés, ils ne vendent pas. »
Cette situation est difficilement lisible dans un BP. Mais ces changements, tout comme l’impressionnante masse salariale de 30M€ au pic, n’ont jamais été anticipés.
L’équation est désormais insoluble.
🌉 Bridge over troubled water
Fin 2023, de nouveaux investisseurs sont appelés pour injecter des fonds.
Mais le deal s’éternise parce que les premiers investisseurs ne veulent pas abandonner leur LP, alors que c’est évidemment une condition essentielle des entrants. La term sheet à 4,7M pour un bridge est validée… en décembre. De quoi tenir en 2024.
Sauf que l’entreprise est à court de cash depuis un mois et ne peut même pas payer les salaires de décembre. Elle est légalement en cessation de paiement. Un membre du board me raconte que quand Thierry Vignal a annoncé la nouvelle, plusieurs investisseurs ont demandé qu’il recule au maximum le dépôt de bilan. Pourtant, c’est une obligation légale à faire dans les 45 jours.
Maxime Hanquier explique qu’il est arrivé que les salaires doivent décaler d’un jour ou deux en attendant un virement, et qu’en ce sens l’entreprise aurait pu déjà être plusieurs fois en cessation de paiement.
Parce qu’en réalité les startups seraient habituées à ces situations, et qu’il est normal qu’elles naviguent dans un flou financier. C’est en tout cas ce que décrivent beaucoup d’habitués de l’écosystème.
« SUREMENT PAS ! » a grondé un juge du tribunal de commerce de Bobigny cet hiver en réponse à un dirigeant.
Parce qu’à force de croire qu’une entreprise n’a pas besoin d’être rentable, que l’argent gratuit est normal, qu’il faut créer des licornes et qu’il est sain de financer de l’ultracroissance sans résultats, nombreux sont ceux qui pensent qu’une startup est une entreprise à part.
Le Code du commerce et les juges qui l’appliquent répètent l’inverse à chaque audience. Et les audiences sont cinglantes.
En cas de déclaration tardive d’une cessation de paiement, le dirigeant peut être rendu personnellement responsable de l’aggravation des dettes, en plus d’être interdit de gérer une société.
On assiste alors à un désalignement complet des intérêts avec un mandataire social qui cherche à éviter sa propre condamnation, et des investisseurs qui poussent au maximum pour éviter les pertes, sachant qu’ils ne seront jamais légalement responsables devant un tribunal de commerce.
⚖️ Deux salles, deux audiences
Mi-janvier, Masteos a été placé en redressement judiciaire, avec une période d’observation jusqu’en avril. L’intérêt, c’est d’épurer une partie de la dette, de ne plus payer de loyer, d’avoir une partie des salaires payée par les AGS, etc.
Les actionnaires ont très mal pris la nouvelle.
L’un d’eux a même accusé Thierry Vignal de détournement d’actifs, sous-entendant qu’il pourrait privilégier un repreneur qui l’arrangerait. Alors qu’il n’aurait pas le droit d’être actionnaire d’une nouvelle structure repreneuse en tant que dirigeant de l’ancienne.
Mais alors : qui peut reprendre, et surtout quoi ?
Comme souvent dans les startups, les actifs sont maigres. Il y a la marque, un réseau de mandataires, quelques meubles et une tech qui a couté 10M€. Elle couterait aujourd’hui 3 à 4M€ pour être refaite entièrement.
Les quelque 200 000 emails valent autour de 1€ l’unité.
Le stock de meubles vaudrait autour de 500 000€ pour une activité qui a généré 3,5M€ de CA en 2022.
Reste la gestion de 1’700 locataires qui rapporte 1M€ / an. De loin le plus intéressant.
3 offres ont été déposées pour la totalité des 4 activités :
L’asset manager Novaxia : 41 salariés repris sur 98, pour
10’000’009€1’000’009€45 ;Attentif Immo (acquéreur de Brickmeup en 2023) : 13’000€ sans mention de reprises de salariés ;
MRZ (Investissement Locatif) : 29 salariés, 200’000€.
Clôture des offres le 8 février, pour un examen le 13 et un jugement le 27.
💡 A change is gonna come
De quoi l’échec de Masteos est-il le reflet ? Thierry Vignal ne se cache pas derrière son petit doigt.
« Je pense que j’ai été mauvais, genre vraiment. J’ai mal dépensé. »
Son co-dirigeant est plus nuancé et parle d’une mauvaise conjoncture.
« 6 mois avant ou 6 mois après, on a le temps se couper les dépenses. Ou de faire autrement. »
Mais quel est le rôle d’un VC dans cette situation ? En tant que gestionnaire pur compte de tiers, puisque ce n’est pas leur argent qu’ils investissent6, ils se doivent de faire en sorte que l’investissement se passent bien.
Sur tous les sites des VC, on peut lire des phrases du type “providing capital” ou “acceleration”. Aucun de parle d’accompagnement ou d’actions plus concrètes. Pourtant, des dizaines de témoignages tendent à démontrer que les VC font de plus en plus d’ingérence, notamment depuis 2019.
Depuis un moment déjà, Thierry Vignal n’a par exemple plus accès à la carte pro de Masteos, et doit faire valider chaque décision, alors qu’il est président et donc mandataire social. Un ex-salarié me glisse même qu’il aurait été exclu du Comex pendant un temps. D’autres relativisent cette position.
« L'ingérence est insupportable, mais c'est quand on a une direction faible pour ne pas dire amateur, c'est là que les VC s'engouffre le plus... » répond un ex manager de l’entreprise.
S’il n’en est pas l’exemple le plus flagrant, l’échec de Masteos est aussi celui des excès d’un système et d’une période, où l’espoir de multiples, financé par l’argent gratuit des banques centrales, déversait des investissements délirants sur des entreprises complètement incompatibles avec un track VC.
Parce que personne n’a remis en cause les investissements et les valorisations qui se font entre des élites qui s’auto-convainquent qu’elles savent, alors que la quasi totalité des IPO depuis 10 ans montrent que les tours en equity étaient survalorisés.
Thierry Vignal l’illustre avec une phrase amusante :
« Je crois que si tu avais dix plaquistes, tu te rendrais plus vite compte qu'il y a un problème dans les chiffres que si tu as dix polytechniciens. »
Une réalité que beaucoup refusent. Tout le monde sait que ces décideurs sortent des mêmes écoles, de milieux familiaux identiques, etc.
Mais il y a un élément selon moi déterminant, c’est le lieu de vie.
Tu ne PEUX PAS comprendre ce qu’est la vie d’un Français quand t’es enfermé à Station F et que t’es content d’avoir trouvé un 30m2 pas trop cher pour 1’200€ grâce à son salaire de 50K€ pour bosser sur un SaaS auquel personne ne comprend rien.
Parce que la vraie vie ne ressemble pas à ça.
Et si tu ne le comprends pas, je reste persuadé que tu seras incapable de faire un produit adapté pour le grand public.
Parce que 100% des gens qui habitent à Paris n’ont pas besoin d’avoir des courses en quelques minutes alors qu’il y autant de Franprix que de rats.
Parce que c’est un non sens écologique qui va à l’encontre du sens de l’histoire.
Parce que c’est un délire social où tu fais bosser des pseudos entrepreneurs à qui tu proposes 10’000€ s’ils crèvent sous les rues d’un camion.
Parce que c’est justement loin de Paris qu’il existe des gens qui ont besoin qu’on leur livre des courses, même si c’est pas en quelques minutes.
De la même façon, tu ne peux pas te rendre compte de l’hérésie d’avoir des dizaines et des dizaines de salariés du bâtiments, sans avoir quelqu’un qui les gère au quotidien sur place, si tu n’as jamais fait de travaux.
Mais l’écosystème va de travers, porté par des médias complaisants qui relaient des communiqués de presse, adoubé par des politiques qui ne perdent pas une occasion de récupérer une réussite à leur compte.
Il se complait à glorifier des valorisations qui n’ont aucun sens, et met au ban ceux qui veulent construire un modèle différent, en cherchant la rentabilité.
Il glorifie le paraître et les concours de zizis en omettant la réalité des VC dont la survie ne tient qu’au Spray & Pray, et qui serrent les fesses en espérant avoir 2 ou 3 futurs Facebook qui viendront éponger les 95% de casse.
Un autre modèle existe.
Je m’appelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et création de contenus pour des entreprises de la finance, de l’immobilier et du web3.
👉 Me contacter, ou répondre à ce post : benj@mincharl.es
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👉 Prendre RDV en visio pour présenter un projet ou un service (250€ le call)
Début 2022
Disclaimer conflit d’intérêts : et moi aussi (call me French Softbank)
Correction 06/02/24 18H45 - Montant proposé
Pour ceux qui m’ont plusieurs fois demandé pourquoi les offres n’étaient de 1€ symboliques, mais parfois 3 ou 4€ c’est parce qu’il y a souvent plusieurs filiales et plusieurs actifs. Dans le cas de Masteos, il y a 4 sociétés (SAS, gestion, transaction, travaux). Transactions, par exemple, est valorisée 3€ : 1€ pour l’incorporel, 1€ pour le corporel, 1€ pour le stock.
Le fonds de DST qui a investi chez Masteos ne lève pas d’argent, mais gère l’argent de ses dirigeants.
Très bel article qui met en avant les incohérences du système qui profite seulement à certains qui savent bien raconter l'histoire.
top, résumé de l histoire sympa à lire ;=)
désolant tout de même, mais c'est clair que cette période de financement a vu des deals totalement déconnectés de la réalité économique et sociale... comme en 2000 ;=) et comme ce le sera pour la prochaine bulle ;=)