💥SCI : voyage au pays de l'opacité - Partie 1 / 2
Que se cache t'il derrière les SC qu'on retrouve dans les assurances-vie ?
Bonjour à tous,
Depuis le début de l’année, les SCI utilisées en tant qu’unité de compte tanguent.
Sur les 38 fonds qui ont communiqué sur leur valeur liquidative au 23/10, 16 affichent des performances négatives YtD1.
-1,10% en moyenne YtD
-0,89% sur 1 an
+5,15% sur 3 ans
Ces pertes reflètent un marché immo en baisse, mais cachent des véhicules aux performances très différentes.
Alors que de nombreux épargnants s’interrogent sur leurs placements, et que les plus gros véhicules sont à court de liquidité, que faut-il comprendre des ces chiffres ?
C’est le sujet de la semaine.
🤔 De quoi parle-t-on ?
Pour bien comprendre la suite, il me semble important qu’on parle bien de la même chose.
Prenons l’exemple de Capimmo qui a fait couler beaucoup d’encre :
Capimmo est une SCI créée et gérée par Primonial, destinée à être une UC dans les assurances-vie. Sa valeur liquidative est de 259,9€.
1️⃣ C’est une SCI (société civile immobilière), c’est-à-dire une forme de société destinée à investir en immobilier collectivement.
Il faut donc forcément (au moins) 2 associés.
Depuis 2007, il s’agit de Patrimoine Management & Associés (devenu Primonial) et PMA Gestion (devenu Stamina Asset Management, disparu depuis), avec 1 part chacun. Ce 2e n’est pas un hasard, son ancien nom est Primonial FundQuest et appartient à Primonial.
C’est parfaitement légal.
Selon mes informations, plusieurs assureurs seraient également associés. Impossible de savoir comment. Ils n’apparaissent sur aucun document.
2️⃣ Primonial est un groupe. Son 1er rôle est de gérer l’argent pour compte de tiers : c’est une société de gestion (ou asset manager). Il y a un certain nombre de filiales dédiées à ça, en fonction des domaines (et des acquisitions). Mais Primonial possède également une filiale de distribution qui s’appelle Primonial Partenaires dont le rôle est de discuter avec des distributeurs qui vendent ses produits.
3️⃣ UC (unité de compte) : si on reste dans le cas des assurances-vie, les UC s’opposent aux fonds en euros, qui sont garantis. Les UC présentent un risque de perte en capital (et donc un possible rendement plus élevé) : ça peut être des actions, des obligations, des fonds mobiliers, des ETF… ou de l’immobilier dont les SCPI et les SCI.
4️⃣ VL (valeur liquidative) : pour schématiser, il s’agit du “prix de cotation”. Si je veux vendre la part, je la vends à ce prix. Le calcul est plutôt simple : valeur de l’actif net ÷ nombre de parts.
💡 Un véhicule opaque
La SCI permet une gestion assez souple, mais surtout… complètement opaque.
Aucune des 45 SCI répertoriées par Quantalys n’a déposé ses comptes lors des 2 dernières années. Contrairement à leurs sociétés de gestion qui y sont contraintes à cause de leur agrément.
Ce n’est pas un hasard : au sens de la directive AIFM, il s’agit d’un FIA (fonds d’investissement alternatif), qui ne fait pas d’appel public à l’épargne, puisque les investisseurs n’y souscrivent jamais en direct.
Mieux : la cofondatrice d’une société de gestion m’expliquait ne pas avoir le droit d’expliquer la gestion de la SC auprès des épargnants, parce qu’en tant que produit réservé à des institutionnels, l’AMF ne l’autorisait pas.
Quand bien même ce sont des particuliers qui en sont les bénéficiaires finaux.
Les SCPI sont un exemple inverse :
C’est un produit complexe au sens de l’AMF, mais plutôt transparent
Leur valorisation est faite approximativement de la même façon
D’ailleurs, si beaucoup d’entre elles ont vu leur valeur baisser récemment, c’est parce qu’elles ont l’obligation de revoir régulièrement le prix de leurs biens, et que l’AMF les a obligés à le faire avant l’été. Et non parce qu’elles ont eu “le courage” de le faire, malgré ce que disait Jean-Marc Coly en septembre dernier, président de l’ASPIM, le lobby des gérants de fonds immos.
Les sociétés de gestion de SCPI doivent aussi communiquer de manière très précise aux associés sur leur gestion.
Parce que dans une SCPI : TOUS les investisseurs sont associés, c’est-à-dire qu’ils achètent des parts de capital de la SCPI, et la société de gestion est payée pour la gérer. La SCPI ne lui appartient pas.
Dans le cas d’une SCI : rien à voir. Les associés de Capimmo sont Primonial et différents assureurs qui commercialisent le fonds. C’est eux qui ont voix au chapitre sur les décisions.
Vous commencez à vous venir le truc ?
Note : dans une prochaine newsletter, je reviendrai sur le GIGA BORDEL que sont les SCI au sein des SCPI, pour les mêmes raisons. #teasing
💧 Une liquidité pas toujours solide
L’article L132-21 du Code des assurances oblige les assureurs à offrir la liquidité. En clair : dès lors qu’un épargnant veut récupérer de l’argent de son assurance-vie, c’est possible.
L’impact n’est pas négligeable pour l’assureur.
Pour éviter les problèmes, la réglementation oblige le gérant à reconstituer 10% de liquidité sur 12 mois glissants.
Dans un cas classique, certains entrent, d’autres sortent, et les parts glissent d’un contrat à l’autre. Mais en cas de crise, si beaucoup de gens veulent sortir, alors ça devient problématique, pour 2 raisons.
Les actifs d’une SCI sont par définition peu liquides.
Quand tout le monde veut sortir, c’est que le marché chute, donc c’est le pire moment pour vendre des actifs.
C’est précisément ce point qui, je pense, est mal compris et jamais traité dans les nombreux articles qui sortent depuis septembre.
🧮 L’équation de Capimmo
Revenons chez Primonial qui nous explique que Capimmo c‘est “L'immobilier diversifié accessible en assurance-vie”. Parmi les arguments développés sur le site du gérant :
Un objectif de mutualisation des risques : c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de biens, donc on est moins exposés s’il y a un problème sur un actif
Une mise de fonds limitée : à partir de quelques milliers d’euros
Un track record : 264 investissements
Une équipe expérimentée
Un poche de liquidité : “5 % minimum, de 35 % maximum en foncières cotées et biens immobiliers en direct et de 60 % à 90 % d’immobilier collectif non coté.”
Cette liquidité n’est pas garantie.
Primonial le précise dans les petites lignes que personne ne lit. D’ailleurs, y’a tellement personne qui les lit, que personne chez Primonial n’a remarqué que le copier-coller du dernier risque n’a pas été mis en forme. 🥲
Au T1 2023, Capimmo affichait une minuscule collecte de 30M€ et indiquait avoir 300M€ à investir, et 375M€ dispo pour assurer la liquidité. La performance affichait -1,32%, pour 7,35mds€ d’actif et une valeur liquidative de 289,60€.
À l’époque la note de gestion parlait d’une baisse “très contenue par rapport à l’évolution des marchés” et estimée comme “temporaire au regard […] des perspectives propres à la gestion”.
Au T2, la performance YtD tombe à -1,82%, l’actif net a fondu à 7mds€, et la valeur liquidative affiche 288,13€. La poche de liquidité montait à 9%, contre 8,1% au T1. Le gérant continue de parler de “performance exceptionnelle”.
Que s’est-il passé depuis ? Aucune idée.
Tout juste sait-on, par exemple, que l’exposition aux SCPI et OCP est passée de 15,5% (1,13mds€) à 15,1% (1mds€). Ces opérations posent évidemment question, parce qu’il semble assez évidemment que Primonial investit dans ses propres SCPI et OPCI… et inversement.
J’en veux pour preuve que Capimmo… est au conseil de surveillance de Patrimmo, SCPI du même groupe et l’a été 4 ans de suite dans celui de Primopierre.
Le 28 aout, suite à la forte décollecte sur les assurances-vie (1,6mds€ sur S1) Primonial REIM avertit ses 15 assureurs-distributeurs que la liquidité ne pourrait pas être assurée au-delà du milliard d’euros de retrait. Selon un assureur interrogé, la SCI aurait déjà passé quasiment 10% de liquidité durant l’été.
L’information est reprise une semaine plus tard, et les épargnants commencent à s’agiter, faisant craindre un FUD2 et donc une contagion des retraits.
Quelques jours plus tard, sa VL affiche -12% (soit une perte de 700-750M€ pour les épargnants) et des articles et commentaires mettent en cause le plan de cession négocié entre Primonial et les assureurs.
En somme : les assureurs auraient tapé dans l’argent des épargnants pour assurer leur propre liquidité.
📐Le théorème de Pythagore
En début d’année, c’était Theoreim, gérant de la SCI Pythagore qui avait agité le petit milieu. J’ai d’ailleurs reçu nombre d’alertes m’expliquant que le fonds courait à la faillite.
Mais alors, pourquoi donc ?
En 2022, Pythagore affichait une performance de +2,35% (3,41% pour la moyenne de marché3). Mais sur S1 2023, sa VL a progressivement chuté (quand les autres stagnaient).
Theoreim ayant senti le vent tourner au T4 2022, la SCI a accumulé des liquidités pour faire face à d’éventuels rachats. Ce mouv’ a forcément un cout, puisque c’est de l’argent qui n’est pas investi, qui ne rapporte rien, et qui fait mécaniquement baisser le rendement.
EDIT du 14/11/2023 12H00 : cette liquidité était en moyenne rémunérée 4%, soit un peu moins que l’immo, mais n’a pas eu d’impact sur la VL
Le gérant décide alors d’accumuler 26% de liquidité. Puis 6% supplémentaires en février.
Et c’est là qu’arrive l’histoire.
Suite aux baisses du marché, Pythagore fait face à des rachats et lâche ses 26%. Avec les 6% supplémentaires, il lui faut donc trouver 4% pour reconstituer ses 10.
Deux choix sont sur la table :
Un microplan, qui permet de récupérer les 4% ;
Un plan plus ambitieux (21 mois), qui avait été provisionné. S’il n’était pas intégralement exécuté, la provision serait réincluse dans la performance.
💨 La liquidité qui part en fumée
Mais alors, est-ce que ces plans de cessions sont ils préjudiciables aux épargnants ? Eh bien… ça dépend.
Reprenons Capimmo. Fin aout, Primonial établit un plan qui permettra de vendre pour 2.2mds€ d’actifs sur 3 ans. Et c’est ça qui permet de calculer la VL.
Disons que mon fonds valait 100 au 1er janvier.
Avec la baisse du marché, les expertises disent qu’il vaut 85.
Mon plan de cession m’oblige à vendre à des prix qui ne sont pas optimums : dès maintenant, je vais appliquer la décote “vente rapide” à ces actifs, ce qui fait que mon fonds va valoir 75.
La réalité, c’est que la valeur intrinsèque entre 2. et 3. est la même. Mais en 3., j’applique une VL “au cas où”.
Et c’est en réalité totalement fair pour les épargnants.
Ceux qui sortent du fonds, et qui donc sont responsables des cessions rapides, partent avec moins d’argent. Ils payent une sorte de “taxe sur la liquidité”.
À l’inverse, pour ceux qui restent, l’impact est faible. Ils subissent une perte virtuelle sur la baisse du marché, mais si le plan de cession n’est pas exécuté, ou partiellement, alors la VL remontera comme en 2.
Le swing pricing
Afin que le phénomène soit plus clair, et éviter ces mouvements, plusieurs gérants portent l’idée du swing pricing.
L’idée c’est de dire que quand un seuil de liquidité est atteint, alors la VL de ceux qui veulent sortir est diminuée comme une “taxe liquidité”, ce qui protège les investisseurs qui restent.
Néanmoins, cela peut poser des problèmes lorsque des institutionnels entrent ou sortent avec de gros tickets qui peuvent déstabiliser le fonds.
Ça pose également la question du conflit d’intérêts : nombre d’assureurs sont associés des SCI.
Autorisé par l’AMF depuis 2014, il n’est pas appliqué aux fonds immobiliers, et reste marginal ailleurs selon une étude de la Banque de France. 4
🥲 Des VL un peu aléatoires
Mais alors, comment expliquer que les VL YtD des SCI vont de -12% à +6% ?
Parce que chacun a sa méthode de calcul !
Vraie raison. Certains ajoutent plus ou moins de frais. Certains veulent coller à la réalité du marché, quand d’autres lissent un peu plus. D’autant que selon les pays, les expertises n’ont pas le même sérieux.
Prenons le cas précis d’une des plus grosses perfs de l’année : Silver Avenir.
+5,38% YtD
+25,33% sur 3 ans !
Mais quelle est cette diablerie ?
Le fonds géré par Arkea Reim achète des viagers sans rente. La documentation commerciale précise “avec une décote d’environ 30%”.
Au T1 2023, la SCI affiche +1,49% de performance, 90 biens acquis pour 68M€. Et c’est là c’est la subtilité.
La SCI achète par exemple une belle maison dans le Golfe du Morbihan à 5,7K€ le m2, quand l’expert retient 10,5K€, soit une décote de 46%. Et voilà. La perf’ est inscrite au bilan !
Pour être clair : les performances la SCI ne sont nullement corrélées à un véritable marché ou de véritables ventes, mais sur des plus-values potentielles en attendant que les habitants meurent. Arkea a d’ailleurs la délicatesse de nous informer qu’il leur reste en moyenne 12,3 ans à vivre.
Reste que ça fausse énormément la comparaison avec d’autres fonds qui valorisent un prix de revente actuel, et non plus plus-value espérée ou une décote
💡 Plus de conflits que d’intérêts
Une nouvelle fois, on peut s’interroger sur la phrase toute faite des “intérêts alignés”.
Primonial aura gagné de l’argent : les 2% à l’entrée, les frais de gestion, d’arbitrage, etc.
Les assureurs en tant que courtier
Les conseillers qui y ont emmené leurs clients également
Mais plus largement, on peut s’interroger sur le traitement de l’information. L’Agefi, par exemple, a fait nombre de titres racoleurs sur les véhicules immobiliers, et a passé plus de temps à mettre “EXCLU” devant un communiqué de presse qui venait de sortir, que d’analyser en profondeur les mouvements.
Mais comment demander à la presse professionnelle, qui vend des abonnements à plusieurs milliers d’euros aux gérants, d’aller gratter sur leur travail ?
Comment imaginer avoir une analyse profonde sur des placements dont les gérants achètent de pleines pages de pub ?
Pire. Comment remettre en cause un fonds à qui on a vendu une récompense ?
Capimmo affiche encore fièrement son “Prix des CGP” aux Pyramides de la Gestion de Patrimoine 2023 (magazine Investissement Conseils, qui n’écrira pas une ligne sur la chute), et son prix de la meilleure SCI 2023 décerné par Gestion de Fortune (qui n’en dira mot).
Il suffit de payer 2 à 8’000€ pour afficher fièrement ces labels façon Jacques Martin, qui posent de graves questions déontologiques. Déjà parce que c’est le pognon des investisseurs qui servent à les payer. Et parce qu’ils payent indirectement des médias qui se montrent bien peu acerbes et informés sur la qualité des fonds. Et sur leur fonctionnement.
Year to date (depuis le début de l’année)
“Fear, Uncertainty and Doubt” (peur, incertitude et doute)
Source : Quantalys. Ces chiffres moyens sont à prendre avec précaution, pour les raisons indiquées dans cet article.
Swing Pricing et dynamique des flux au regard de la crise Covid-19, Baena Antoine, Garcia Thomas, Banque de France, 19 juin 2023
Votre remarque sur la SCI silver avenir est fausse.
Il y a bien un gain dès l'acquisition mais cela vient de la différence entre le prix payé et le prix estimé DECOTé SELON LA TABLE DE MORTALITE DE l'INSEE. Et en aucun cas le prix en pleine propriété comme vous le dites. L'ordre de grandeur n'a rien à voir et par ailleurs c'est ainsi que sont valorisés tous les viagers donc ce n'est pas une liberté de la société de gestion (ce qui serait éventuellement critiquable c'est la durée sur laquelle ce gain est amorti).
Pour illustrer votre point vous auriez plutôt dû lire les status de la SC tangram par ex, qui indiquent qu'ils peuvent ajuster la VL selon tous un tas de critères vagues (leurs prévisions économiques par ex).
SCPI plutôt que SCI