💥 Villa Montmorency : la copropriété la plus discrète de France
250 années d'histoire concentrées en quelques hectares.
Bonjour,
Comme beaucoup, si j’aime l’immobilier c’est parce qu’au-delà de l’investissement, encore plus que l’aspect utilitariste, un bien c’est aussi une histoire.
Parce que tout le monde se rappelle de la maison ou de l’appartement de son enfance. Parfois de celui de son meilleur copain. Puis du premier logement qu’on a loué. Ou acheter. La plupart du temps, ces murs ont vu passer nombre d’autres histoires, et continueront d’en voir après le départ.
Évidemment, il y a ces monuments historiques ou qui sont passés à la postérité, dont certains sont même marqués d’une plaque commérant telle illustre personne, ou telle moment mémorable.
L’année dernière, j’avais raconté l’histoire du 24 rue Gabriel à Paris, sans doute l’un des bâtiments les plus sensibles de Paris, et depuis un moment, j’avais envie de faire pareil avec la Villa Montmorency, ce petit îlot hors du temps au cœur du XVIe. La première fois que j’y suis entré, c’était en 2006. Un de mes clients de l’époque (qui m’impressionnait beaucoup pour tout dire) m’avait demander de faire un aller-retour dans sa belle villa pour y récupérer quelques effets personnels.
Et quiconque y est entré sait à quel point le contraste est fort entre l’accès complexe depuis l’extérieur, et le calme qui règne à l’intérieur. Mais combien connaissent, y compris parmi les propriétaires, la longue et tumultueuse histoire du quartier le plus sécurisé de France ?
C’est donc le sujet du jour !
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🏰Le silence des salons
Auteuil, un matin d’automne. Entre les rues silencieuses et les grilles discrètes de la villa Montmorency, plus rien ne trahit la grandeur passée du château de Boufflers. Ici, autrefois, un salon illuminait l’Europe des Lumières. Des esprits affûtés s’y croisaient, des idées s’y forgeaient. Aujourd’hui, le lieu s’est fondu dans la ville. Reste une légende, celle d’un château qui, avant de disparaître, a été le théâtre d’une époque.
Tout le monde ici a oublié la grande histoire qui a débuté au XVIe siècle. Ce vaste domaine, alors connu sous le nom de Machéco, appartient à Étienne d’Aligre, conseiller du roi et homme d’affaires avisé. Son ambition façonne les lieux : un château en bordure de la Grande-Rue, et derrière lui, dix hectares de jardins à l’anglaise, où l’on flâne entre ombrages et clairières, loin du tumulte de Paris.
Mais ce ne sont pas les pierres qui font l’Histoire. Ce sont les âmes qui les habitent.
En 1773, la comtesse de Boufflers pose ses valises dans cette enclave bucolique. Femme de lettres, courtisane redoutable, elle a un talent certain : celui de captiver son monde. « Vous êtes la première fille du royaume », lui glisse un jour le prince de Conti. Elle sourit. « Vous n’êtes que la troisième », réplique-t-elle, moqueuse.
Son salon devient un épicentre. Ici, Rameau croise Marmontel, Turgot débat avec Walpole, Madame de Staël murmure à l’oreille de Rousseau ou Beaumarchais. Même Marie-Antoinette vient y chercher un peu de cet esprit qui fait et défait les réputations, même si certains lui attribuent surtout quelques cabrioles dans le kiosque rempli de miroirs du jardin à l’anglaise, avec son amant, le comte Axel de Fersen. Auteuil s’affirme comme un refuge où l’intelligence est, comme Marie-Antoinnette, reine.
Mais l’Histoire a la mémoire courte. Lorsque la Révolution éclate, la comtesse de Boufflers ne peut rien contre la marée qui emporte les têtes et les fortunes. Son salon se vide, les esprits les plus brillants prennent la fuite ou tombent sous la lame. En janvier 1794, elle et sa belle-fille sont arrêtées, emportées par la vague de la Terreur. Elles échappent de justesse à la guillotine, mais leur monde s’est effondré. D’autant que La Terreur a épargné leur vie, pas leur faste. Dès leur, fortune s’évanouit et leur château, qui porte désormais leur nom, devient un fardeau.
Les murs qui résonnaient de conversations érudites sont désormais silencieux. Talleyrand, toujours prompt à flairer les opportunités, loue un temps le domaine. Puis vient le Directoire, qui n’a que faire de l’élégance passée : sur ordre du gouvernement, les jardins où jadis se promenaient philosophes et poètes sont transformés en champs de blé. Le château, autrefois havre de l’esprit, n’est plus qu’un entrepôt aux mains des autorités.
À la fin du Premier Empire, le château de Boufflers passe entre de nouvelles mains. En 1819, il est racheté par Ange Hyacinthe Maxence de Damas de Cormaillon, dit comte de Rayneval, un ancien ministre des Affaires étrangères sous Louis XVIII. Diplomate discret, il appartient à cette aristocratie de la Restauration qui tente, tant bien que mal, de retrouver son rang après les bouleversements révolutionnaires et napoléoniens. Mais Rayneval n’est qu’un propriétaire de transition : en 1822, il revend la propriété à l’une des familles les plus illustres de l’Ancien Régime, les Montmorency.
Le nom seul évoque la noblesse d’épée, les grandes batailles et les honneurs du royaume. Les Montmorency, l’une des plus anciennes lignées du pays, ont été des ducs, des maréchaux, des ministres, des gouverneurs. Leur blason porte fièrement la devise « Dieu aide au premier baron chrétien », un écho à leurs origines médiévales. Mais en ce début du XIXᵉ siècle, ils ne sont plus que l’ombre de leur gloire passée.
Celle qui acquiert le château d’Auteuil en 1822 est la duchesse de Montmorency, Anne-Éléonore de Montmorency-Laval. Issue d’une autre grande lignée, les Laval, elle appartient à cette noblesse qui, après la Révolution, oscille entre fidélité aux traditions et adaptation au nouveau monde. Le château de Boufflers devient l’un de ses refuges, mais ce n’est plus un lieu de faste et d’éclat intellectuel. Ce qui fut un centre de la pensée des Lumières se transforme en une demeure aristocratique, figée dans le souvenir d’une époque révolue.
La famille Montmorency conserve la propriété pendant trois décennies, mais le poids du temps et les mutations du XIXᵉ siècle rendent leur maintien difficile. La Révolution de 1830 et celle de 1848 ont ébranlé leurs certitudes. L’aristocratie terrienne décline face à une bourgeoisie financière qui impose désormais ses règles. En 1852, les Montmorency finissent par vendre le domaine, d’autant que l’enceinte Thiers constuire en 1840 leur coupe l’accès au bois de Boulogne. Le dernier vestige d’un passé prestigieux tombe alors entre les mains des frères Pereire, incarnations du capitalisme triomphant et de la modernité industrielle. Le château de Boufflers vit ses derniers instants.
Parce qu’alors que Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III, une telle bâtisse n’a plus sa place dans cette modernité galopante. Les Pereire le démantèlent sans état d’âme. Une partie du domaine est morcelée pour accueillir de nouvelles constructions, tandis qu’une autre est sacrifiée à la modernisation urbaine : le chemin de fer de Ceinture, qui doit relier les quartiers périphériques de Paris. Ce qui fut un refuge pour l’élite intellectuelle devient une simple voie de transit pour les flux de travailleurs et de marchandises.
Le romantisme du XVIIIᵉ siècle cède sous la pression du progrès industriel. Dans cette France du Second Empire où triomphe le pragmatisme, le château de Boufflers n’est plus qu’une ligne comptable dans les affaires des Pereire.
Hippolyte de Boufflers, le fils de la comtesse, sera le dernier à voir les ombres des chandelles danser sur les murs de la demeure familiale. Il meurt à Auteuil en 1858, sans gloire ni éclat, dernier témoin d’un monde qui n’existe. À peine un siècle après sa création, le château a disparu. Plus de pierres, plus de jardins, plus de souvenirs tangibles. A peine quelques bribes de plans, mal conversés. Seule l’idée subsiste : ici, autrefois, on a rêvé la liberté, la pensée et l’esprit. Ici, un temps, des hommes et des femmes ont cru que l’intelligence pouvait façonner le monde.
Mais à Paris, comme ailleurs, la modernité ne fait pas de place aux fantômes du passé.
🚧À huis clos
Aujourd’hui, il faut être sacrément curieux pour retrouver la moindre trace du château de Boufflers. Pas de plaque, pas de monument, pas même une rue à son nom. L’histoire s’est dissoute dans le bitume et les grilles bien gardées d’un Paris qui a tourné la page. Pourtant, en fouillant un peu, quelques indices subsistent, disséminés dans le paysage comme des vestiges d’un monde oublié.
Si l’on voulait situer précisément l’ancien château, il faudrait tracer un quadrilatère entre la rue d’Auteuil, la rue La Fontaine, la rue Pierre-Guérin, la rue Raffet et le boulevard de Montmorency. C’est ici que s’étendaient les salons, les allées, les jardins à l’anglaise. Mais de tout cela, il ne reste rien. Paris a avalé les lieux, comme il l’a fait avec tant d’autres vestiges du XVIIIᵉ siècle.
Seule une trace visible rappelle ce démantèlement progressif : la Petite Ceinture. Lorsque Napoléon III et Haussmann façonnent la capitale moderne, l’ancien domaine des Boufflers est découpé, et une partie de ses terres est réquisitionnée pour ce chemin de fer qui doit encercler la ville. Là où se promenaient autrefois les poètes et les courtisans, on fait désormais circuler des trains. Aujourd’hui, la ligne est abandonnée, et certains tronçons sont devenus des sentiers de promenade où la nature reprend ses droits. Mais elle marque encore dans le paysage cette transition brutale entre le Paris des salons et celui du progrès industriel.
L’autre morceau du domaine, celui qui n’a pas été absorbé par le chemin de fer d'Auteuil, devient une opportunité foncière de premier ordre. En 1852, lorsque la Compagnie du chemin de fer de Paris à Saint-Germain dirigée par les frères Pereire rachète les terres de la famille de Montmorency, elle ne récupère pas un simple quartier, mais un vaste espace semi-rural, vestige des anciens jardins du château de Boufflers. À cette époque, le XVIᵉ arrondissement est encore peu urbanisé, bien loin de son image de quartier bourgeois huppé. C’est une zone en mutation, façonnée par les grands travaux du Second Empire et la fièvre immobilière qui s’empare de Paris sous l’impulsion du baron Haussmann.
Dès la vente du domaine, les transformations commencent. Le château est rasé, une partie du terrain est utilisée pour la construction du chemin de fer d’Auteuil et de sa gare, qui ouvre en 1854. Mais l’autre parcelle suscite un intérêt particulier. Trop escarpée pour être exploitée industriellement, elle devient le terrain idéal pour un projet immobilier haut de gamme. Les Pereire y voient l’opportunité de créer un quartier inspiré des résidences aristocratiques anglaises : un havre réservé aux élites montantes du Second Empire.
Dès 1853, les premières rues sont tracées, avec un objectif clair : attirer une clientèle fortunée et transformer Auteuil en un quartier d’exception. Contrairement aux vastes percées haussmanniennes du centre de Paris, ce projet s’inspire des résidences aristocratiques anglaises, où le cadre verdoyant et la disposition en lotissements privés garantissent calme et exclusivité. Pour maximiser la vue, la villa Montmorency est placée sur les hauteurs du domaine, là où le terrain est pentu, offrant ainsi des perspectives dégagées sur la ville et sur le Bois de Boulogne.
Le lotissement est conçu dès l’origine comme un espace clos, mais pas encore totalement fermé : des murs délimitent l’ensemble du périmètre, assurant une séparation nette avec le reste du quartier. En 1857, sous la direction de l’architecte Théodore Charpentier, six avenues principales sont ouvertes, convergeant vers une place centrale ornée d’une fontaine. L’organisation rappelle les stations balnéaires en vogue à Deauville ou Arcachon, avec une esthétique qui mêle villas cossues et jardins privatifs.
Dès les années 1860-1870, la Villa Montmorency commence à attirer des industriels, financiers et hommes de lettres, séduits par son cadre exclusif. Sarah Bernhardt est l’une des premières à s’y installer en 1867, venant y trouver du calme entre les répétitions des Passants de François Coppée, qu’elle s’apprête à jouer à l’Odéon. Peu après, les frères Goncourt rejoignent le quartier, suivis de Victor Hugo, qui y séjourne brièvement en 1873, alors qu’il achève Quatrevingt-treize et vient accompagner son fils François-Victor, interné à proximité. Quelques décennies plus tard, cette même demeure accueillera Marc Chagall, prolongeant ainsi la tradition d’un quartier où les arts et la littérature trouvent refuge.
La villa attire aussi des banquiers et industriels du Second Empire, des grands propriétaires terriens ainsi que des hauts fonctionnaires, soucieux de fuir l’agitation de Paris tout en restant proches des centres de décision.
Le quartier devient rapidement un bastion de la bourgeoisie montante du Second Empire, attirée par son calme et son exclusivité. Contrairement à la conception haussmannienne de la ville, ici, tout est pensé pour limiter la mixité sociale : aucun immeuble collectif, aucune activité commerciale, uniquement des demeures individuelles avec jardin. À cette époque, certaines familles issues du commerce et de la finance investissent les villas cossues du chemin des Princes et des rues Bosio et Raffet, où elles trouvent l’élégance et la tranquillité recherchées.
À ses débuts, la villa Montmorency n’est pas une enclave inaccessible. Si l’espace est ceinturé de murs, les entrées restent ouvertes, et les allées, bien que privées, ne sont pas encore soumises à un contrôle strict. Le chemin des Princes, aujourd’hui disparu, sert d’accès principal, et l’on y croise encore des visiteurs extérieurs, venus profiter du calme et de la verdure d’un des derniers espaces préservés d’Auteuil. Cependant, la villa a déjà sa forme actuelle avec :
Au centre un rond point où se croisent ;
L’avenir des Boufflers, du nom du château ;
L’avenue du square ;
Qui rejoint la rue poussin via l’avenur des Montmonrency ;
Puis les avenues des peupliers, en référence aux arbres plantés ;
Des sycomores, toujours en référence aux arbres plantés ;
Et des tilleuls, viennent faire le tour, cette fois en référence à une ancienne plantation.
Pourtant, au fil des décennies, la pression immobilière et les transformations sociales de Paris poussent les résidents à renforcer l’entre-soi. Déjà dans les années 1880, les nouveaux propriétaires commencent à limiter l’accès aux rues, installant des portails à certaines entrées pour éviter que des étrangers ne s’y aventurent. L’arrivée de grands industriels et de figures de la finance, tels que des membres des familles Pereire et Rothschild, renforce cette tendance.
Peu à peu, la Villa Montmorency n’est plus un quartier, mais un concept. Un territoire soustrait au commun, protégé par des grilles invisibles autant que par ses murs. Ce qui, autrefois, n’était qu’un lotissement bourgeois devient un bastion. Dans les années 1950-1960, la fermeture devient totale. Plus de chemins traversants, plus d’accès libres, plus de hasards. On n’entre plus ici comme on entre ailleurs. On y vit entre soi, à l’abri des regards, à l’abri de l’histoire.
Mais l’histoire, elle, ne s’est jamais arrêtée aux grilles.
♻️Entre-soi et entrelignes
Les pierres gardent la mémoire des secousses qui les ont façonnées. Et la Villa Montmorency n’a pas échappé aux tourments du siècle : l’histoire, capricieuse et brutale, a toujours su s’y frayer un chemin, laissant des cicatrices visibles et d’autres, plus insidieuses, dissimulées sous les apparences du luxe et du silence.
La guerre franco-prussienne de 1870 est la première à ébranler ce sanctuaire. Lorsque Paris est assiégé, les obus ne se contentent pas de labourer les fortifications de la capitale : ils éventrent aussi plusieurs maisons du domaine. Le portail monumental aux cariatides, dessiné par Jean-Baptiste-Jules Klagmann, symbole ostentatoire d’un passé aristocratique, est pulvérisé sous le feu prussien. Il ne sera jamais reconstruit. Les grilles qui le remplacent ne relèvent plus du décor, mais d’une nécessité pratique. L’heure n’est plus aux entrées majestueuses, mais aux accès sécurisés.
L’enceinte Thiers, érigée en 1840 pour protéger Paris, finit de sceller le destin du quartier. Séparée du bois de Boulogne, Montmorency devient un monde à part. Après la chute de Sedan, les Prussiens entrent dans Paris. Loin du tumulte des quartiers insurgés, la villa échappe aux affrontements, mais pas aux répercussions. La ville post-Commune doit être surveillée, quadrillée. Plusieurs rues sont redessinées : la rue Pierre-Guérin et la rue Raffet ne sont plus seulement des voies de passage, elles deviennent des lignes de démarcation.
Dès lors, la villa se replie sur elle-même. Ce mouvement, amorcé par la nécessité, devient bientôt une habitude.
Dans cette France de la Belle Époque, où les antagonismes se creusent entre élites et classes populaires, la Villa Montmorency, elle, s’enferme. L’Affaire Dreyfus, qui enflamme le pays entre 1894 et 1906, renforce ce réflexe de mise à distance. Les tensions politiques, la montée des nationalismes, la défiance sociale poussent les grandes familles à se retrancher encore un peu plus. On verrouille les entrées secondaires, on installe une surveillance discrète, on cultive l’entre-soi.
Et pourtant, les murs, si hauts soient-ils, ne protègent jamais totalement de l’Histoire.
Au crépuscule de la Première Guerre mondiale, alors que Paris vit sous la menace aérienne, la villa Montmorency n’est pas épargnée. Dans la nuit du 15 au 16 septembre 1918, un raid allemand frappe plusieurs points stratégiques du 16ᵉ arrondissement. Une bombe éventre une habitation au 12, avenue des Tilleuls, une autre touche le 51, boulevard de Montmorency, soufflant fenêtres et portes, projetant éclats de pierre et de verre sur les façades endormies. Plus loin, sur le boulevard Suchet, un obus atteint le bastion no 61, exposant encore davantage ce quartier jadis préservé aux soubresauts du monde extérieur.
À l’armistice, Montmorency referme ses grilles. Mais ce n’est qu’un répit avant la prochaine secousse.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que Paris vit sous le joug de l’Occupation, la villa Montmorency ne fait pas exception aux fractures qui traversent la société française. Ce qui était un havre de tranquillité pour la bourgeoisie parisienne devient un théâtre feutré de tensions et d’ambiguïtés, où fortunes anciennes et nouveaux venus cohabitent dans une atmosphère de méfiance, d’intrigues et, parfois, de compromissions.
Mais derrière ses façades cossues, la villa connaît aussi un usage inattendu. De 1942 à 1944, une pouponnière discrète s’installe au 81-88 boulevard de Montmorency, son jardin donnant sur l’avenue des Sycomores. Officiellement, il s’agit d’un refuge pour nourrissons abandonnés. Officieusement, une partie des enfants accueillis sont issus d’unions entre des mères françaises et des soldats allemands. À une époque où ces enfants sont souvent rejetés, condamnés à l’anonymat ou à des adoptions secrètes, la villa Montmorency devient un maillon invisible d’une histoire que personne ne veut assumer.
La Fondation d’Heucqueville, qui gère cette pouponnière, fonctionne sous la surveillance de religieuses. Certains nourrissons sont pris en charge par l’Assistance publique, d’autres directement adoptés par des familles influentes. Parmi eux, un enfant connaîtra un destin hors du commun : en 1942, Georges Pompidou, jeune haut fonctionnaire, adopte son fils Alain à cette adresse. L’ancien président ne parlera jamais publiquement de cette adoption. Ce n’est que bien plus tard que l’histoire ressurgira, révélant une autre facette de l’Occupation, plus intime, plus trouble.
Plus confidentiel encore, un appartement au 13, rue Pierre-Guérin sert de maternité clandestine. Situé à deux pas de la Fondation, il est tenu secret pour que rien n’en sorte sans contrôle. C’est là que certaines mères accouchent dans l’anonymat, avant que leurs enfants ne soient confiés à des familles adoptives sous couvert d’une généalogie effacée.
Pendant ce temps, la villa continue de jouer son rôle d’écrin silencieux. Certains hôtels particuliers du boulevard de Montmorency et de l’avenue des Tilleuls auraient été réquisitionnés par des officiers allemands, bien que l’absence de preuves formelles laisse planer le doute. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le quartier reste à l’écart des combats de la Libération de Paris en août 1944. Mais alors que la capitale s’embrase, des troupes allemandes en retraite occupent encore certaines résidences du secteur.
Lorsque la guerre s’achève, la villa referme ses portes. Les récits officiels évitent d’évoquer ce qui s’est joué ici. Comme si la villa elle-même préférait oublier.
Mais les murs ont vu, et la mémoire, même sous les dorures, ne s’efface jamais totalement. Et la guerre, elle, ne se termine jamais d’un coup. Elle s’attarde dans les interstices du quotidien, dans les règlements de comptes tardifs, dans les haines qui trouvent un dernier écho avant que le rideau ne tombe. La Libération ne signe pas seulement la fin de l’Occupation, elle révèle aussi les plaies laissées par quatre années de suspicion, de calculs, de trahisons ordinaires.
D’autant qu’à Montmorency la guerre n’a pas déchaîné les chars ni fait trembler les façades, mais elle a laissé dans l’air une tension sourde, celle des allégeances ambiguës et des secrets de voisinage. Et parfois, ces secrets dégénèrent.
🗡️Rumeurs en uniforme
Dans une guerre où tout se monnaye – les amitiés, les convictions, les vies –, certains règlements de comptes ne nécessitent ni balles ni fusils. Juste un nom soufflé au mauvais endroit, une accusation savamment distillée, et la sentence tombe sans appel.
À Montmorency, l’Occupation ne s’est pas accompagnée de fracas, mais les luttes y ont pris d’autres formes, plus insidieuses, plus personnelles. Entre le 37 et le 13 avenue des Peupliers, un conflit d’apparence anodine va se transformer en vendetta, révélant à quel point le voisinage peut devenir un champ de bataille, surtout quand la peur et l’opportunisme dictent les règles du jeu.
Catherine Cauvet de Blanchonval, aristocrate russe, vit depuis des années dans une petite maison de 56 m² construite en 1920. Elle appartient à cette noblesse d’exil, échouée en France après la Révolution bolchévique, trop fière pour demander l’aumône, trop digne pour courber l’échine. Non loin, au 13 rue des Peupliers, Victorine Visciano évolue dans un tout autre registre. Femme de réseaux, elle a su tisser, au fil des années, des relations avec les milieux d’influence, flairant toujours où se situait l’intérêt. En temps de paix, elle aurait peut-être été mondaine. En temps de guerre, elle devient informatrice.
Leur différend n’a, au départ, rien d’exceptionnel. Une querelle sur un héritage familial, un château disputé loin de Paris. Un énième conflit où l’orgueil pèse plus lourd que la raison. Mais dans la France de 1940, ce genre de litige peut prendre une toute autre ampleur. Visciano, fine stratège, comprend vite que la justice civile est désormais un recours désuet. Il existe des moyens plus radicaux pour évincer un adversaire.
Dès 1940, elle active ses contacts, glisse des insinuations aux bonnes oreilles. D’abord prudente, elle façonne son piège avec patience. Puis, les choses s’accélèrent. Cauvet de Blanchonval est d’abord accusée de détournements financiers. L’affaire aurait pu en rester là, mais Visciano voit plus loin. Elle ajoute un soupçon d’infamie : des liens supposés avec des réseaux juifs, des relations avec la Résistance. Rien de prouvé, mais en ces temps troubles, il suffit d’un murmure.
Les dénonciations pleuvent alors comme des ordres d’exécution. La Gestapo s’en mêle. En 1941, des perquisitions sont menées au 37 avenue des Peupliers. On fouille, on confisque, on interroge. Rien d’incriminant ne ressort, mais l’ombre du soupçon est une condamnation en soi. Dans un climat où l’innocence ne protège plus, être suspecté équivaut à être coupable.
Visciano ne s’arrête pas là. Elle multiplie les pressions, harcèle Cauvet de Blanchonval, jusqu’à se faire passer pour un agent de la Gestapo lors de menaces téléphoniques adressées à une amie de l’aristocrate, la baronne Sellières, qui l’héberge brièvement. Une guerre psychologique s’installe, une chasse à l’homme feutrée, où la peur fait son œuvre bien plus efficacement qu’une arme.
En août 1941, l’engrenage atteint son terme. Catherine Cauvet de Blanchonval est arrêtée et internée au camp des Tourelles. Une aristocrate de plus jetée dans l’abîme d’une France en équilibre précaire, où la suspicion pèse plus lourd que les faits. Pendant ce temps, Victorine Visciano poursuit son ascension. Elle renforce ses contacts, se place sous la protection des autorités d’Occupation. Elle sait qu’en ces temps-là, ce ne sont pas les innocents qui survivent, mais ceux qui tiennent la corde autour du cou des autres.
Mais l’Histoire n’a jamais de mémoire courte.
À la Libération, les rapports changent de mains. Ce qui était hier un gage de loyauté devient une charge accablante. Ce qui était un avantage se transforme en fardeau. Les archives parlent, les dénonciations refont surface, mais cette fois, ce sont les accusateurs d’hier qui sont sous le feu des projecteurs. Visciano est à son tour poursuivie pour intelligence avec l’ennemi. Cauvet de Blanchonval, elle, est libérée. Blanchie par le temps, marquée par l’épreuve, mais debout.
Les deux maisons existent toujours, comme des vestiges d’un duel que l’on préfère oublier. En 2021, l’horloger Richard Mille rachète la maison de Visciano pour près de 14M€.
🏠La villa pastorale
La prison dorée
Il y a des exils que l’on choisit et d’autres qui s’imposent. En achetant un terrain au 38 avenue des Sycomores vers 1900, André Gide pensait trouver un refuge, un lieu d’ancrage à l’écart du Paris mondain, où il pourrait écrire loin des obligations du siècle. Ce qu’il ne savait pas encore, c’est que cette villa, déjà marquée par une volonté d’entre-soi, allait peu à peu se refermer sur lui.
La villa Montmorency n’a pas encore, à cette époque, l’allure d’une forteresse ultra-sécurisée. C’est un quartier en formation, destiné à une élite fortunée, mais où l’architecture haussmannienne et les inspirations néo-Louis XIII dominent encore. Gide, lui, ne se soucie pas des convenances. Il veut une maison à son image : moderne, fonctionnelle, dépouillée de tout ornement inutile. Un chalet avant-gardiste, une rupture franche avec l’esprit du lotissement.
Dès les premières esquisses, la fronde commence. Ce projet qui se dresse au milieu des façades classiques dérange. L’écrivain se heurte à l’hostilité silencieuse de ses voisins, qui voient d’un mauvais œil cette singularité architecturale. Ce n’est pas une affaire de pierre ou de goût, c’est une question de code social : dans ce microcosme où l’identité bourgeoise se cristallise aussi dans la brique et le ciment, la modernité de Gide fait tache.
Le combat est feutré, mais réel. Les démarches administratives s’enlisent, les travaux traînent. En attendant leur achèvement, Gide s’installe temporairement dans une petite maison au 18 bis, une bâtisse modeste datant de 1853. Il observe son chantier, surveille les avancements, sans se douter que ce qui devait être un espace de liberté deviendra pour lui un lieu d’enfermement.
Il vivra au 38 avenue des Sycomores près de trente ans. Trente ans d’un isolement volontaire, mais de plus en plus pesant. Là où certains écrivains recherchent l’effervescence des salons, Gide choisit la réclusion. Dans son vaste salon aux volets souvent clos, il travaille sous une lumière parcimonieuse, préférant la pénombre aux éclats du dehors. Ce n’est pas seulement un choix esthétique, c’est un mode de vie : Gide se coupe du monde et, progressivement, le monde se coupe de lui.
Mais le monde, lui, continue de trembler.
Le visiteur du soir
En mars 1916, la Première Guerre mondiale sature la vie parisienne. La capitale vit sous la menace, mais la villa Montmorency reste une bulle. Gide, toujours en retrait, s’absorbe dans son travail, imperméable aux soubresauts du conflit. Jusqu’à ce qu’un visiteur inattendu frappe à sa porte.
Le 27 avril 1916, Guillaume Apollinaire se présente au 38 avenue des Sycomores. Il arrive marqué, affaibli. Quelques semaines plus tôt, le 17 mars, alors qu’il est au front, un éclat d’obus lui a perforé la tempe droite. Transporté d’urgence, il a été opéré d’un abcès crânien à la villa Molière, au 57 boulevard de Montmorency, avant d’être évacué au Val-de-Grâce. Il n’est plus tout à fait le même homme. Son corps est meurtri, sa démarche hésitante. Mais son esprit, lui, est resté intact. Il a toujours la verve et le feu des poètes, cette façon de parler comme s’il récitait déjà son prochain vers.
Ce n’est pas une première rencontre. Gide et Apollinaire se connaissent depuis longtemps, liés par la Nouvelle Revue Française. En 1911, l’un avait sollicité l’autre pour un article sur L’Armée dans la ville de Jules Romains. Puis leurs échanges s’étaient espacés, teintés d’une admiration mutuelle mais d’une incompréhension latente. Gide, méthodique, mesuré, cérébral. Apollinaire, débordant, excessif, lyrique. Deux visions opposées de la littérature, du monde, de la vie.
Cette nuit-là, Apollinaire cherche un échange, un partage. Il parle de la guerre, de ses blessures, de la poésie qui ne le quitte jamais. Il récite des vers, espérant trouver chez Gide une réaction, un écho. Mais face à lui, l’écrivain reste silencieux. Distant. Comme étranglé par cette rencontre avec un homme que la guerre a transformé, lui qui est resté à l’abri.
Le malaise s’installe. Les silences s’étirent. Apollinaire comprend que cette visite ne mènera à rien. Il remercie Gide et s’en va, sans colère, mais avec cette lucidité des poètes qui savent quand une complicité est impossible.
Ce sera leur dernier face-à-face.
Deux ans plus tard, le 9 novembre 1918, Apollinaire meurt dans son appartement du 202 boulevard Saint-Germain, terrassé par la grippe espagnole, deux jours avant l’armistice.
Gide ne dira rien. Pas de lettre, pas de mot public. Rien qui laisse deviner ce qu’il a pensé de cette ultime entrevue. Peut-être y a-t-il repensé, parfois, dans son grand salon aux volets fermés. Peut-être a-t-il regretté ce silence, cette distance qui, ce soir-là, l’avait empêché de répondre à un homme venu chercher un peu de lumière.
La porte étroite
L’isolement de Gide devient peu à peu une emprise. Ce refuge qu’il a voulu finit par l’étouffer. La villa Montmorency, qu’il avait choisie pour être un sanctuaire, se révèle être un piège. Il y est seul. Seul face à une communauté qui l’a toujours considéré comme un intrus. Seul dans une demeure qu’il n’a jamais vraiment aimée.
En 1928, il tranche. Il vend. Il abandonne le 38 avenue des Sycomores, quitte la villa Montmorency et s’installe au 1 bis rue Vaneau, plus près du cœur battant de Paris. Loin de ce quartier qui, sous ses airs de tranquillité, n’a jamais été qu’un monde de murs et de regards hostiles.
Aujourd’hui, rien ne subsiste de cette histoire. Pas de plaque. Pas de mémoire officielle. Seulement une maison parmi d’autres, cachée derrière des grilles. Une maison où, un soir d’avril 1916, un poète blessé a frappé à une porte et n’a trouvé, en retour, qu’un silence.
💰L’Empire des Sycomores
Le banquier
La maison de 308 m² est toujours debout, témoin silencieux des intrigues passées et présentes. Sa propriétaire, passionnée par son histoire, en a récemment tiré un livre : Colette en son jardin secret1. Son élégante silhouette, flanquée au nord par une bâtisse plus modeste et au sud par une demeure plus imposante construite en 1968, tranche avec l’architecture plus récente de la villa. Ici, les murs ne sont jamais que des décors. Derrière les façades, les rapports de force s’écrivent dans la pierre.
En 2021, cette demeure change de mains. Prix de la transaction : 6,2M€. Le nouveau propriétaire est Grégoire Chertok, banquier influent chez Rothschild & Cie, installé dans la villa depuis 2010. Un homme qui, au fil des années, a su se positionner au plus près du pouvoir. Et ce n’est donc pas un hasard si l’enclave ultra-exclusive de Montmorency va devenir bientôt le théâtre d’une bataille financière d’ampleur. Capitalisme, manœuvres et renversements d’alliances : la guerre ne se joue plus sur les barricades mais dans les conseils d’administration.
L’épicentre
Tout commence au un peu plus au nord, dans un double numéro impair avenue des Tilleuls. Ce luxueux hôtel particulier, longtemps occupé par Michel Derbesse, ancien directeur général de Bouygues BTP, devient en 2006 la résidence d’Arnaud Lagardère. Un bien transformé au gré des ambitions : piscine en sous-sol, salle de sport, surélévation pour atteindre cinq chambres et autant de salles de bain. Pourtant, selon l’entrée empruntée, l’adresse peut varier : sortir du côté de l’avenue des Sycomores ouvre sur un autre versant du domaine.
Côté Tilleuls, un autre hôtel particulier, celui de Xavier Niel, construit en 1890, fait face. Une des trois propriétés du patron de Free, qui y a vécu entre 2005 et 2011 avant d’investir le Palais Rose, ancienne demeure d’un autre Rothschild. Un peu plus loin, s’élève l’un des plus grands domaines du quartier, ayant appartenu à l’architecte Olivier-Clément Cacoub.
Côté Sycomores, la demeure se dresse face à celle d’un couple associant finance et haute joaillerie. Non loin, le chanteur Dave et son mari ont pris leurs quartiers. Plus au sud, son jardin touche l’arrière-cour du 56 boulevard de Montmorency, un immeuble qui, bien qu’enclavé, n’a pas accès à la villa. Ce bâtiment, siège social d’Aigle, appartient depuis 2020 à Cardimmo, une SC de l’assureur Cardif, acquise pour près de 50 M€.
L’acculé
Mais revenons à la ville qui fait l’angle Sycomores / Tilleuls, où se joue l’un des plus grands bras de fer financiers de ces dernières années.
L’affaire qui occupe Chertok n’a rien à voir avec Martin Bouygues, héritier du 21 avenue des Tilleuls, aujourd’hui propriété de Lagardère, acquise via une SCI avant d’être intégrée à sa holding pour des raisons qui, bien plus tard, prendront tout leur sens. Ni avec Chloé Bouygues, fille de Nicolas Bouygues et nièce de Martin, installée un bloc plus au sud, avenue des Sycomores, dans une maison de 430 m² achetée pour 3M€ en 2021 avec son mari Yannick Bolloré. Ce dernier n’est autre que le fils de Vincent Bolloré, lui-même propriétaire à l’extrémité nord de l’avenue des Sycomores. Son jardin jouxte un immense hôtel particulier donnant sur le boulevard de Montmorency, acquis dans la foulée. De quoi laisser sa Mercedes bleue, bien connue des riverains, sagement au garage.
Depuis 2020, Arnaud Lagardère est encore plus cerné que sa maison, et j’y avais consacré une newsletter. Sous la pression d’Amber Capital, un fonds activiste déterminé à faire tomber son statut de commandite pour prendre le contrôle du groupe, il cherche du renfort. En février, il fait appel à un voisin influent, Nicolas Sarkozy, installé à quelques rues, dans l’hôtel particulier de Carla Bruni, rue Pierre-Guérin. L’ancien président entre au conseil de surveillance du groupe et active Vincent Bolloré, autre puissance du quartier. Deux mois plus tard, le magnat des médias monte au capital, bloquant la tentative d’Amber Capital d’évincer Lagardère.
Mais tout repose sur une manœuvre habilement orchestrée par Chertok2. Le banquier laisse filtrer des informations sur une potentielle suppression du statut de commandite, ce qui provoque une envolée du cours en Bourse. Le prix d’une nouvelle attaque d’Amber devient trop élevé. Un coup de maître, bien qu’il s’en soit toujours défendu.
Si la tempête s’apaise temporairement, les dettes d’Arnaud Lagardère continuent de s’accumuler. Il refuse de publier ses comptes personnels, une opacité qui lui vaut une condamnation du tribunal de commerce de Paris3. Endetté à hauteur de 164M€, il voit sa situation empirer avec la crise du Covid-19. La chute du cours de Bourse creuse l’écart : sa dette devient deux fois supérieure à la valeur de ses actions, et Crédit Agricole, son principal créancier, envisage des saisies à son domicile.
Un huissier se présente à la Villa Montmorency et dresse l’inventaire des biens de Lagardère. L’humiliation est totale. Une photo de la scène, capturée par un voisin malicieux, circule même en catimini. Mais le réseau des puissants de la rive gauche s’active. Marc Ladreit de Lacharrière, autre milliardaire influent, traverse la Seine et vient en personne lui offrir des garanties bancaires, permettant à Lagardère d’éviter l’effondrement immédiat. En parallèle, il en profite pour racheter 3% du capital du groupe, renforçant ainsi son emprise.
L’équilibre semble rétabli. Jusqu’à ce qu’un nouvel acteur surgisse.
Le milliardaire (l’autre)
Alors que la situation semble stabilisée, un acteur inattendu arrive en scène : Bernard Arnault. Le 25 mai 2020, le patron de LVMH fait une entrée fracassante dans le dossier Lagardère. Et le symbole est parfait. Il orchestre son coup de maître depuis l’ancien hôtel particulier de Jean-Luc Lagardère, rue Barbet-de-Jouy, comme si l’histoire bouclait une boucle. Son annonce ? L’acquisition de 25 % de la holding personnelle d’Arnaud Lagardère (Lagardère Capital & Management). Une décision qui libère le dirigeant de la pression des banques, en particulier de Crédit Agricole, et le remet en selle. Mais elle prend Vincent Bolloré totalement de court.
L’opération, négociée dans le plus grand secret, éclate au grand jour le 22 mai au soir. Bolloré, qui voyait déjà Lagardère tomber dans son escarcelle à prix cassé, assiste impuissant au retournement. Quelques jours plus tôt, il fanfaronnait encore.
« Le fruit est mûr, j’attends juste qu’il tombe de l’arbre. »
Mais c’est Arnault qui a cueilli Arnaud.
Dans la Villa Montmorency, où chaque rue porte le nom d’un arbre, certains attendent sous les branches, d’autres montent à l’échelle. Lagardère pensait que le vent jouerait en sa faveur. Il n’a vu que les feuilles bouger.
Ici, les plus habiles ne laissent jamais le temps aux fruits d’atteindre le sol.
🪙Une famille en or
Aiguisé comme une lame
Ennemi. Ami. Voisin. Partenaire. La Villa Montmorency, en attirant de plus en plus d’industriels, a vu se succéder des lignées entières de rivaux. Autrefois bastion de la grande bourgeoisie parisienne, elle est devenue le terrain de jeu des empires familiaux où se croisent héritages disputés, ambitions contrariées et coups de force feutrés.
Parmi ces figures, Georges Tranchant. Un homme au nom taillé pour l’époque. Né en 1929 dans les Ardennes, il bâtit sa fortune sur l’électronique militaire avant de faire de l’univers des casinos son véritable terrain de chasse. À la fin des années 70, il lance un réseau de salles de jeux à travers la France et devient une figure incontournable du secteur.
C’est aussi dans ces années-là qu’il fait son entrée dans la Villa Montmorency, au 10 avenue du Square, un refuge idéal pour un homme d’affaires proche du RPR, conscient que les affaires et la politique marchent toujours main dans la main. Mais rapidement, il déchante.
« J’avais pensé quitter la France à l’arrivée de Mitterrand »
L’alternance de 1981, qui porte François Mitterrand au pouvoir, est une onde de choc pour ce capitaliste de la droite dure. Tranchant, fidèle aux réseaux du RPR et alors numéro 2 du parti, voit l’élection du premier président socialiste comme une menace. Redoutant un tour de vis fiscal, il revend la maison à Robert Ricci, fils de Nina Ricci, qui y vivra jusqu’à sa mort en 1988.
Mais l’histoire de la magnifique villa avenue du Square, sur le rond point, ne s’arrête pas là. Car la demeure va devenir le théâtre d’un autre drame.
Pointu comme un couteau
Diane Leriche grandit dans une famille où l’argent file entre les doigts. Son père, Guy Leriche, homme d’affaires et joueur invétéré, dilapide sa fortune au poker. Sa mère, Martha Szentgyörgyi, ancienne trapéziste hongroise, voit son mariage vaciller. Un soir, à Cannes, elle capte le regard d’un homme : Lucien Barrière. Héritier d’un empire de casinos, il tombe sous le charme de cette danseuse étrangère au passé compliqué.
Ils se marient en 1963. Lucien adopte immédiatement Diane, qui abandonne le nom de son père biologique pour porter celui qui deviendra une institution. Elle passe son enfance entre le Majestic à Cannes, l’Hermitage à La Baule et le Normandy à Deauville, assistant en coulisses au ballet millimétré des palaces. Mais ce monde doré est aussi une cage. Dès que possible, elle s’échappe.
À 17 ans, elle monte à Paris, étudie le droit, se marie en 1975 avec Thierry Gaubert, divorce trois ans plus tard. Elle se réinscrit en gestion et décroche son diplôme pour prouver à son père qu’elle peut être plus qu’une héritière. Mais Lucien Barrière ne croit pas aux femmes d’affaires.
En 1981, elle rencontre Dominique Desseigne. Notaire, grand, sportif, rassurant. Il plaît à Lucien. Trois an plus tard, elle l’épouse, et deux enfants naissent : Alexandre en 1987, Joy en 1990.
Trois semaines avant la naissance de Joy, Lucien Barrière meurt brutalement. Diane, 33 ans, se retrouve à la tête d’un empire qu’elle n’était pas censée diriger. Mais elle reprend le flambeau et impose son style.
Elle modernise les hôtels et casinos, faisant appel à Jacques Garcia pour la rénovation.
Elle développe les machines à sous et optimise la rentabilité des établissements.
Elle scelle un partenariat stratégique avec Accor.
Elle réalise son rêve en rachetant le Fouquet’s en 1998.
Elle dirige avec instinct et autorité. Un jour, elle infiltre même le casino de Deauville sous une perruque et un chapeau pour observer discrètement les opérations. Tout le monde l’a reconnue, mais peu importe : elle veut comprendre chaque rouage.
Mais son ascension est aussi fulgurante que l’accident qu’elle va subir.
Le 16 juillet 1995, Diane Barrière est à Saint-Tropez. Son mariage avec Dominique Desseigne bat de l’aile. Il est resté à La Baule avec leurs enfants. Diane, elle, profite de l’été. C’est exactement ce qu’elle lui reproche.
En début de soirée, elle monte dans un Beechcraft Baron E55 pour rejoindre son mari et ses enfants. L’avion, parti de Bourges, a fait escale à l’aérodrome du Luc-Le Cannet, mais n’a pas pu se ravitailler. Le pilote décolle malgré tout.
À 130 kilomètres de l’arrivée, le moteur s’éteint. L’avion tombe en panne sèche.
Il s’écrase dans un champ.
Le pilote et le passager avant meurent sur le coup. Diane est extraite des flammes par des habitants du coin. Elle est vivante, mais brisée.
Brûlée au troisième degré, tétraplégique, elle entame un lourd combat contre la douleur. Pour la soutenir au quotidien, Dominique Desseigne, bouleversé, ferme son étude notariale. C’est également son entrée dans le groupe Barrière.
Dans les premiers mois, l’hôpital devient son univers. Les opérations se succèdent, des dizaines d’interventions pour tenter de réparer l’irréparable. À chaque réveil, elle affronte une réalité qu’elle refuse d’accepter. Son mari, bouleversé, ferme son étude notariale pour se consacrer entièrement à elle et au groupe. Sa mère, Anne-Marie, prend en charge les enfants, Alexandre, 8 ans, et Joy, 5 ans, dans un quotidien où la douleur est omniprésente.
Quand Diane commence à recevoir des visites, elle observe ses amis, cherchant dans leurs regards le reflet de ce qu’elle est devenue.
« J'ai réussi à donner le change devant elle, se souvient Brigitte, sa grande amie. Mais j'ai subi un tel choc que je suis ensuite allée vomir d'émotion dans les toilettes... »4
Son cercle proche tente de maintenir une illusion de normalité. Jean Todt, patron de Ferrari, lui fait fabriquer un casque de communication inspiré de la F1, pour lui permettre d’échanger sans effort.
Diane refuse d’être réduite à une ombre d’elle-même. Après plus d’un an d’hospitalisation, elle décide de quitter les couloirs aseptisés et de reconstruire une vie, à sa manière. En 1997, elle rachète l’ancienne maison de Robert Ricci et l’hôtel est réaménagé pour elle : le dernier étage est dédié à ses soins et à ses infirmières.
Elle ne renonce à rien. Chaque semaine, elle se rend au siège du groupe. Elle continue d’imposer sa vision, suit les dossiers, se bat pour son empire. Elle déjeune régulièrement au Fouquet’s, le restaurant qu’elle a sauvé, où elle retrouve un cercle restreint d’amis. Toujours à la même table, une habitude immuable, comme un rituel face à un destin qu’elle refuse de subir.
Mais son corps, lui, ne suit plus.
Le 18 mai 2001, Diane Barrière meurt à 44 ans à l’Hôpital américain de Neuilly.
À la Madeleine, la cérémonie funéraire rassemble tout ce que Paris compte d’influents. Olivier Dassault orchestre un ballet d’avions privés pour emmener ses proches en Ardèche, où Diane est inhumée dans le caveau familial.
Joy a 11 ans.
Alexandre, 14.
Chauffé comme une flamme
Ce qu’Alexandre et Joy Barrière apprendront bien plus tard, c’est qu’au-delà de l’image du mari éploré, Dominique Desseigne a verrouillé la succession avec une minutie implacable. En mai 2000, un an avant la mort de Diane, il fait venir un notaire de La Baule, accompagné de deux avocats, au chevet de son épouse, alitée à l’Hôpital américain de Neuilly5.
Diane est épuisée, son état de santé gravement dégradé. Pourtant, ce jour-là, elle signe. Un nouvel acte notarié modifie leur régime matrimonial : la séparation de biens devient une communauté universelle, fusionnant l’intégralité de leurs patrimoines6. Désormais, en cas de décès, Dominique héritera de l’usufruit de l’empire Barrière.
Le même jour, sept donations sont paraphées. Les actions du groupe passent en nue-propriété à leurs enfants, Alexandre et Joy, mineurs, donc représentés par leur père. Mais Desseigne garde l’usufruit, c’est-à-dire la totalité des dividendes. Il devient l’unique maître du navire, étend son influence et propulse le groupe bien au-delà des ambitions initiales de son épouse. Hôtels à l’international, expansion du Fouquet’s, domination sur Partouche, son grand rival : en vingt ans, il transforme l’empire familial en une machine de guerre.
Puissant comme un fusil d'assaut
Tout bascule en 2021. Lors d’un échange qui se veut anodin, Alexandre pose la question.
« Quand comptes-tu prendre ta retraite ? »
Son père, surpris, ne répond pas. Il n’a jamais envisagé de lâcher prise. Pour Alexandre, c’est une fin de non-recevoir. Il comprend que l’heure est venue.
Le 24 juin 2022, il passe à l’attaque. Il traîne son propre père en justice et réclame 75M€7, jugeant l’usufruit octroyé à Dominique abusif. Plus encore, il conteste le régime matrimonial signé en 2000, affirmant que Diane, diminuée, n’était pas en état de donner son consentement.
En avril 2023, la guerre familiale manque d’éclater au grand jour. À 36 ans, Alexandre fait un pas décisif : il prend le contrôle du groupe et évince Dominique de toutes ses fonctions exécutives. Un putsch familial, aussi brutal que discret, orchestré avec un sens implacable de la stratégie. Et pour achever l’œuvre, il renie son patronyme. Désormais, il ne s’appelle plus Desseigne. Il efface jusqu’à son nom, pour redevenir Barrière.
Que s’est-il passé derrière les grilles de la Villa Montmorency, où père et fils ont cohabité jusqu’en 2022 ?
Certes, ils n’ont jamais été proches. L’un peaufinait son revers de tennis et cultivait son réseau mondain, l’autre se tenait en retrait, visage fermé, fuyant les cocktails. Même à Deauville, ils s’évitaient : l’un à l’Hôtel du Golf, l’autre au Normandy. Mais Dominique Desseigne, persuadé d’avoir formé son successeur, n’avait pas vu venir la trahison. Parce qu’Alexandre n’attendait pas qu’on lui passe le flambeau : il comptait l’arracher.
Pour cela, il s’entoure d’un homme-clé : David Layani, fondateur de Onepoint, autodidacte qui infiltre méthodiquement le groupe Barrière. Depuis 2019, il place ses pions : David Haccoun (Osborne Clarke) gère l’opération financière, Sacha Mandel (Majorelle) contrôle la communication, et Grégory Rabuel, ex-patron de SFR, est parachuté à la tête du groupe en 2022, contre l’avis du cabinet de recrutement Egon Zehnder.
Mais pour verrouiller définitivement l’opération, il reste un dernier verrou à faire sauter : Marc Ladreit de Lacharrière, encore lui. Le milliardaire, patron de Fimalac, détient encore 40 % du groupe Barrière, une participation acquise en 2011 auprès d’Accor pour 186 M€. Alexandre et Joy veulent récupérer ce bloc d’actions pour redevenir seuls maîtres à bord. La négociation est âpre, mais Ladreit de Lacharrière, pris dans le sauvetage de Casino et recentrant son empire sur la finance et le numérique, accepte de céder. L’intermédiaire ? Nicolas Sarkozy, encore.
Le 21 juillet 2023, un compromis de vente est signé pour 325M€. Le 28 juin, un second accord boucle l’opération avec le rachat des 10% de la SFCMC, société qui contrôle le Casino de Cannes et plusieurs hôtels prestigieux.
Le groupe redevient 100 % familial. L’ère Desseigne s’éteint. Dominique cède le contrôle, garde un siège honorifique et un train de vie confortable. En échange, il abandonne toute gestion du groupe.
Dans le communiqué officiel, on remercie Marc Ladreit de Lacharrière pour son soutien. On salue Nicolas Sarkozy pour son implication. Mais le message est limpide : une nouvelle génération a pris le pouvoir. Alexandre et Joy sont désormais seuls aux commandes. Dominique Desseigne, lui, reste dans la Villa Montmorency, en simple résident.
Dans les couloirs feutrés du 33 rue d’Artois, l’éviction de Dominique Desseigne par son fils n’était pas la seule fracture familiale. Une autre ombre planait sur le patriarche, plus intime, plus médiatique : la reconnaissance judiciaire de sa paternité de Zohra Dati.
En 2016, après des années de bataille, la cour d’appel de Versailles tranche : Dominique Desseigne est bien le père de la fille de Rachida Dati, née en 2009. Il avait refusé le test de paternité, mais la justice considère son silence comme un aveu.
Condamné à verser une pension alimentaire de 2’500€ par mois, rétroactive depuis la naissance, il voit son image écornée. Pour Alexandre et Joy, cette révélation publique est une blessure supplémentaire. Alexandre, qui s’apprêtait à renverser son père, y trouve une raison supplémentaire d’effacer ce nom. Lorsque, quelques années plus tard, il barre définitivement « Desseigne » de son état civil, ce n’est pas seulement un hommage à sa mère. C’est un acte symbolique : couper définitivement le lien avec celui qu’il tient pour responsable de la mort de Diane.
Aujourd’hui, Alexandre Barrière a quitté la Villa Montmorency. Joy, elle, y est restée. Dominique Desseigne, lui, vit toujours derrière ces grilles. Mais il n’est plus le maître des lieux.
Les fortunes se font et se défont, les dynasties industrielles s’affrontent, mais derrière les hauts murs de la Villa, une autre mutation s’est opérée. Car si ce carré de verdure fut longtemps le théâtre des batailles d’influence des grands patrons et héritiers, il a aussi, au fil des décennies, attiré une autre aristocratie : celle du spectacle et des médias.
⭐De la scène au silence
Entre les années 1970 et 1990, la Villa Montmorency connaît une transformation radicale. Ce qui n’était qu’un lotissement bourgeois devient un sanctuaire ultra-select, un havre coupé du monde où se croisent pas mal d’artistes et stars qui show-business, bien avant que que les grands patrons n’arrivent.
La première vague de vedettes arrive dans les années 1970. Johnny Hallyday et Sylvie Vartan ouvrent le bal. En 1978, ils achètent une maison au tout début de l’avenue Boufflers, une demeure de caractère nichée à l’angle de la rue des Peupliers, pour 4,1M Frs. Le roi du rock français, éternel fugitif traqué par ses fans et les paparazzis, trouve enfin un havre où garer ses bolides sans être assiégé par les flashs. Sylvie Vartan, elle, ne quittera jamais la Villa : aujourd’hui encore, elle y vit avec son second mari, Tony Scotti, dans une maison bordée au nord par l’ancien patron de Cheniere.
La même année, Gilles Jacob, futur président du Festival de Cannes, acquiert une maison de 500m² pour 3,2M Frs. Puis Carole Bouquet s’installe sur une propriété de 700m² en 1994, qu’elle revendra plus tard pour 9,3M Frs en 2006.
Mais c’est surtout l’époque où est arrivée la chanteuse Rika Zaraï. Amoureuse de résidence, elle achète le 2 avenue des Tilleuls, depuis repris par le patron d’un gros fonds d’investissement parisien. La bâtisse construite en 1870 est mitoyenne avec le 4 qui a été divisé, comme le 2 le sera par la suite. A l’époque la villa voisine, avenue du Square, n’était pas encore occupée par Philippe Alazar, le patron de Bigard, mais ses habitants pouvaient voir défiler le tout Paris que la chanteuse invitait chez elle pendant des longues années où elle habitant dans la villa, de 1986 à 2012.
Tout ceux qui ont connu la vie de l’époque la décrivent comme impliquée dans les (complexes) décisions de la villa qu’elle voyait comme un petit village.
Dans le même temps, la Villa Montmorency attire des figures plus discrètes du monde du cinéma et de la musique. Mylène Farmer choisit le 17 avenue des Tilleuls. Pour une artiste connue pour sa réclusion et son mystère, cette enclave protégée devient un cadre parfait. Pendant plus de vingt ans, elle y vit avec son compagnon de l’époque, le réalisateur Benoît Di Sabatino.
Mais la quiétude qui lui était promise derrière les hauts murs de la Villa s’effrite peu à peu. Ses deux bergers suisses deviennent un problème. Leurs aboiements incessants exaspèrent le voisinage, jusqu’à ce que l’un d’eux attaque une factrice. L’affaire fait scandale lors des assemblées générales de la copropriété. Sous pression, Mylène Farmer est contrainte de partir en 2019.
Mais plutôt que de vendre, elle procède à un échange immobilier, valorisant sa maison à 9,3M€ contre une demeure de maître à Montretout, à Saint-Cloud, à quelques mètres de la famille Le Pen, dont le manoir domine le parc. Enfin, ex-propriété, puisqu’à la mort de Jean-Marie il a été mis en vente un peu moins de 9M€. Personne n’aurait encore fait d’offre pour la grande maison qui jouxte celle où habita longtemps Guy Béart, avec Emmanuelle, et la magnifique hôtel particulier Second Empire où vécu Lino Ventura jusqu’à sa mort, maintenant racheté par Jean Dujardin il y a 10 ans.
Non loin de l’ex-villa de Mylène, c’est une autre icône, Céline Dion (et son mari d’alors René Angelil) qui s’était offert le 16 avenue du Square, l’une des quatre maisons qui surplombent le rond-point central de la Villa. La chanteuse canadienne, qui était déjà une star, avait fait de cet écrin un pied-à-terre parisien de prestige, bien qu’elle n’y ait quasiment jamais vécu. Mise en vente plusieurs fois ces dernières années et médiatisée par l’agence Kretz, la demeure aurait trouvé preneur fin 2024, sans que la transaction ne soit confirmée.
Plus récemment, c’est Isabelle Adjani qui s’était installée au 3e étage du 17 avenue des Peupliers entre 2003 et 2005, tandis qu’au rez-de-chaussée, elle côtoyait Dominique Ambiel, producteur et futur conseiller de Jean-Pierre Raffarin.
Mais dans les années 1980 plusieurs capitaines d’industrie, les patrons de médias et les figures du capitalisme français prennent progressivement le relais des artistes et des célébrités.
Vincent Bolloré, encore loin d’être l’homme qui régnera sur Canal+, acquiert une première maison en 1983 pour 2,2M Frs. Son jardin est modeste (100 m²), mais son ambition, immense. Peu à peu, il rachète plusieurs autres propriétés dans la Villa, consolidant son pouvoir.
Jean-Paul Baudecroux, le fondateur de NRJ, s’installe à quelques mètres de son associé Alain Weill, qui habite alors de l’autre côté, boulevard de Montmorency. Ensemble, ils forment le duo le plus influent de l’audiovisuel français.
De l’autre côté du domaine, c’est Alain Afflelou, le magnat des lunettes, qui achète une demeure d’exception pour 70M Frs, aujourd’hui à vendre. En 2012, le milliardaire de la lunette avait déjà mis en vente les 830m² pour 48M€, moins pour vendre que pour montrer au fisc qu’il était bien installé à Londres. Mais personne n’a cédé à ce prix.
L’immobilier atteint alors des sommets inédits, et seules les fortunes les plus importantes peuvent encore espérer s’y installer. En 1993, Corinne Bouygues, fille de Francis Bouygues, suivi par Thierry Dassault, héritier du groupe aéronautique, venant profiter d’un îlot d’élite où tout est fait pour préserver le secret et l’intimité de ses résidents.
Bien que le calme n’y soit jamais absolu.
👻 Le fantôme du 18 Tilleuls
Mais il y a un drame dont personne ne veut parler ici. Le 21 février 2003 Pierre Michaud est loin de Paris lorsqu’un gardien découvre, au fond du jardin de son hôtel particulier, le corps de son épouse, Simone Dalloz, 79 ans. L’industriel, en voyage d’affaires au Moyen-Orient, ignore encore que sa femme repose sous des sacs-poubelle, tuée de sang-froid, vraisemblablement étouffée avant d’être achevée d’une balle de .22 long rifle en pleine tête. L’autopsie situe la mort au jeudi précédent.
La découverte macabre commence dans la soirée, lorsqu’un gardien du 22 avenue des Peupliers, alerté par des proches inquiets de l’absence de Simone Dalloz, entre dans sa demeure. Dans le jardin, il tombe sur un cadavre enveloppé dans du plastique. Les enquêteurs du Quai des Orfèvres découvrent ensuite des traces de sang sur la baie vitrée, des marques de traînée au sol. L’autopsie révèlera que la vieille dame a été étouffée, avant d’être achevée d’une balle dans la tête avec une carabine .22 long rifle à canon scié, équipée d’un silencieux artisanal.
Très vite, un nom émerge : Daniel Dardenne, 62 ans, concubin de Marie-Claire Leflon et jardinier à la Villa Montmorency. Originaire du Nord, cet homme, qui vivait avec sa compagne dans le logement de fonction attenant à la propriété des Michaud, avait été remercié quelques jours auparavant.
Ce licenciement, qui semblait avoir été accepté sans heurts, a-t-il déclenché une folie meurtrière ? Pourquoi tuer aussi sa propre compagne ?
Les enquêteurs n’ont pas le temps d’interroger Dardenne. Le 22 février, à l’aube, il est repéré en train d’essayer d’entrer dans la villa avec ses clés. Pris en chasse par la police, il sort son arme, la pointe sur les forces de l’ordre, avant de la retourner contre lui. Un tir en pleine poitrine.
Transporté dans un état critique au centre hospitalier Georges-Pompidou, il survit, incapable de parler.
Les enquêteurs retournent alors la maisonnette du personnel. Sous un matelas, le corps de Marie-Claire Leflon repose, recroquevillé entre plusieurs couches de draps et de couettes. L’autopsie révélera qu’elle a été tuée d’une balle dans la nuque, exécutée à bout portant.
Les éléments s’emboîtent : le jardinier a tué sa compagne, puis la maîtresse de maison. Mais pourquoi ? La version du licenciement refait surface. Dardenne et Leflon devaient quitter la Villa Montmorency, leurs employeurs souhaitant des domestiques capables de conduire. Une séparation sans drame apparent : le couple s’apprêtait à retourner dans le Nord, où il avait une maison. Rien ne laissait présager un tel basculement.
Les voisins décrivent un homme étrange, souvent seul avec son chien, parfois en proie à des accès de colère. On sait aussi qu’il buvait, et qu’au matin de sa tentative de suicide, il avait déjà un gramme d’alcool dans le sang. Un crime de désespoir ? Une colère soudaine ? Les enquêteurs tentent de reconstruire la chronologie. Leflon aurait été tuée la première, peut-être au début de la semaine. Dardenne aurait ensuite conservé son cadavre plusieurs jours, avant d’assassiner Simone Dalloz. Un crime froidement prémédité, puisque sa carabine avait été équipée d’un silencieux artisanal, son canon et sa crosse sciés.
Dans les allées de la Villa Montmorency, on évite le sujet. Les vigiles de la résidence privée font mine de ne rien savoir. Le silence est la règle. Mais entre les murs feutrés des hôtels particuliers, le choc est bien là. « Un vrai traumatisme », concède un voisin. Un double meurtre derrière des grilles dorées, une tragédie étouffée dans le luxe et le secret.
C’est deux ans plus tard, c’est Olivier-Clément Cacoub qui est victime à son tour dans ce qui est sans doute le plus beau bâtiment de la villa, la 18 avenue des Tilleuls, celui-là même où habita Henri Bergson. Sa gigantesque maison de 16’00m² avec plusieurs terrasses aux vues incroyables, dont l’une où il a fait construire une véranda en 2004, est aussi le plus grande de toute.
À 84 ans, l’architecte franco-tunisien est une institution. Grand prix de Rome, il a laissé son empreinte de Paris à Abidjan, conçu le palais présidentiel de Carthage, dessiné des édifices en Côte d’Ivoire, au Zaïre et jusqu’à Tahiti. Consul honoraire du Botswana, il compte parmi ces hommes de l’ombre que les dirigeants africains consultent en secret, mais il est également un ami intime de Jacques Chirac. Dans les cercles du pouvoir, il est une oreille attentive, un intermédiaire respecté. À la Villa Montmorency, c’est un voisin parmi d’autres, propriétaire d’un hôtel particulier cossu, où il vit avec son épouse et son personnel de maison.
Le 24 mars 2005, un commando armé s’introduit dans la propriété vers 22 h 15. Ils maîtrisent le cuisinier et le maître d’hôtel avant de s’en prendre au couple. Cacoub et son épouse sont jetés au sol, ligotés et menacés. Les malfaiteurs ne sont pas là par hasard : ils savent ce qu’ils viennent chercher. Ils repartent avec un demi-million d’euros en liquide et en bijoux.
L’affaire est prise au sérieux. Les policiers de la BRB8 se penchent sur le dossier, la procédure est ouverte pour vol avec violences et séquestration. La victime intrigue. Un simple cambriolage ? Une affaire plus complexe ? L’architecte, habitué aux palais et aux chefs d’État, possédait peut-être d’autres richesses que l’argent.
Mais très vite, la piste crapuleuse est privilégiée. Les enquêteurs n’établissent aucun lien entre l’attaque et les relations diplomatiques de Cacoub. Ce serait l’un des nombreux cambriolages visant les grandes fortunes parisiennes, ces braquages de haut vol où les malfrats, renseignés, savent qui frapper. La Villa Montmorency, pourtant forteresse ultra-sécurisée, s’avère vulnérable.
La réaction est immédiate. Vincent Bolloré, déjà influent parmi les copropriétaires, impose un renforcement drastique de la sécurité. Exit la simple présence des gardiens : désormais, la Villa se dote de rondes privées nocturnes et d’un nouveau système de vidéosurveillance dernier cri. Budget initial : 100K€. Mais Georges Tranchant, qui connaît bien les mécanismes d’appel d’offres grâce à ses casinos, négocie une ristourne de 19K€.
Olivier-Clément Cacoub meurt, lui, deux ans après en 2008.
Sa femme vivra encore quelques années dans les lieux puis vend en 2019. Mais qui est l’acheteur mystérieux qui a déboursé 25M€ via un prêt infine de 31,5M$ à 1% sur 10 ans ? Nul ne le sait. Même parmi les habitants, les rumeurs vont bon train.
Officiellement, le bien est détenu par un gérant chinois, qui s’acquitte sans faillir des 1,5M€ de charges annuelles. Mais la toile de sociétés écrans à Hong Kong et aux îles Vierges britanniques rend impossible l’identification du véritable propriétaire. Une femme de paille représente cette entité fantomatique, entretenant le mystère et alimentant les spéculations sur l’identité de celui ou celle qui, dans l’ombre, détient cette forteresse.
🧱 Murs, mémoires et minivans
Difficile de dire si ce sont les évènements, ou simplement le temps, qui ont changé la villa Montmorency. Mais tous ceux qui sont passés par là disent clairement que plus rien n’a été comme avant. Durant les années 2010, les prix ont chuté, faute d’acheteurs.
En 2014, la Villa Montmorency connaît une crise sans précédent : entre 15 et 25 maisons sont mises en vente, une hémorragie immobilière inédite dans cette enclave ultra-privilégiée du XVIe. La faute à une pression fiscale grandissante et à un climat politique perçu comme hostile aux grandes fortunes. Lassés d’être dans le viseur du fisc et de l’opinion publique, de nombreux résidents envisagent l’exil, transformant ce bastion de l’entre-soi en marché immobilier en berne. Parce que si le marché de l’immobilier de luxe parisien ne s’est jamais arrêté de croire, il a surtout été portée par des fortunes étrangères, plus intéressées par le triangle d’or que par le petit village d’Auteuil. Encore aujourd’hui, très peu d’étrangers y vivent. D’autant qu’il faut en accepter les contraintes.
Vivre à la Villa Montmorency, c’est habiter un quartier où le silence est d’or, mais où chaque détail est rigoureusement encadré. Derrière les grilles et les caméras, la gestion du domaine repose sur une association syndicale, créée en 1926, qui orchestre la vie quotidienne de ces quelques centaines de privilégiés. Officiellement présidée par un inspecteur général des affaires culturelles, elle est en réalité animée par Vincent Bolloré, dont les fils possèdent également leur propre hôtel particulier dans l’enclave fermée.
Un ancien explique que c’est le comportement de Gide qui serait à l’origine de la fermeture progressive. S’il vivait reclus, il avait pris l’habitude bienveillante de laisser les patients d’une clinique voisine, la Fondation italienne, se promener dans les allées calmes de la villa Montmorency.
Ce comportement, jugé trop généreux par certains voisins, suscita leur mécontentement. Sous couvert de sécurité, les autres propriétaires décidèrent alors de poser des serrures aux portails d’accès de la villa vers 1911, officiellement pour empêcher la venue de prostituées errant depuis la destruction de l’enceinte de Thiers, mais officieusement pour interdire l’accès aux étrangers non résidents, y compris les invités de Gide.
Cet épisode, documenté par Gide lui-même, marque le passage d’une enclave privée mais relativement ouverte à un lieu hermétiquement clos. Les grilles, autrefois gardées mais non verrouillées, deviennent infranchissables sans autorisation, scellant le caractère exclusif du lieu.
Tout est pensé pour préserver la tranquillité et l’uniformité du lieu. L’entretien des voies, l’élagage des arbres, l’adduction d’eau, la collecte des ordures—réalisée à l’aube par des minivans électriques pour éviter la moindre nuisance sonore—sont entièrement à la charge des résidents. Les charges sont exorbitantes, mais c’est le prix de la discrétion et du confort absolu.
Le règlement interne, régulièrement mis à jour, s’étend sur une quarantaine de pages, avec des dispositions souvent surprenantes. Laver sa voiture avec un tuyau d’arrosage dans les avenues de la villa est strictement interdit. En cas de récidive, un autocollant fortement adhésif est apposé sur le pare-brise du contrevenant, seule forme de sanction envisageable dans un quartier où les PV n’existent pas.
Même les limitations de vitesse échappent aux règles habituelles : les 25 km/h imposés dans les allées ne sont pas verbalisés, et personne ne risque de perdre des points sur son permis ici. Le fondateur de Coyote, Fabien Pierlot, qui s’est offert en 2011 un hôtel particulier avenue des Sycomores, en rachetant une ex-demeure d’Arnaud Lagardère pour 5,5M€, fortune faite, ne risque pas d’y vendre à ses voisins ses célèbres avertisseurs de radar.
Pourtant, la quiétude n’est pas toujours de mise, surtout depuis que certaines maisons y sont en location, ce qui a valu, là encore, de longues heures de discussions en AG.
Quand Zlatan Ibra est arrivé au PSG, le club lui a loué une belle villa construite en 2012 de 219m², que Thiago Motta a également occupé après lui, juste à côté de la grande maison qu’Alain Afflelou a fait construire en 1986.
Plusieurs résidents se sont plaints des allers et venues incessants, et de fêtes parfois bruyantes. Pourtant, un ancien résident se rappelle que la Villa n’a pas toujours été calme.
« Aujourd’hui ça ressemble à un EHPAD où il ne faut surtout pas faire le moindre bruit. J’ai connu l’époque où Sylvie [Vartan] organisait des fêtes incroyables, où tout le monde pouvait passer. »
Ces fêtes font partie de la légende. De même que cette fameuse nuit où Johnny aurait été reconduit à la sortie par un gardien qui l’avait pris pour un SDF tellement il était bourré. Où encore les hurlements d’Alain Delon contre Afflelou lorsqu’il venait chercher ses deux enfants dont la mère, la mannequin, Rosalie van Breemen, a été l’épouse de 2002 à 2008. Les mêmes qui racontent comme une nuit.
Des histoires qui paraissent improbables, mais qu’est-ce qui peut ne pas arriver villa Montmorency ?
Aujourd’hui la villa Montmorency est l’un des symboles de l’élitisme en vase clôt. En septembre 2020, un groupe de Gilets jaunes et d’activistes anti-oligarchie a réussi à s’introduire brièvement dans l’enceinte de la villa Montmorency, au cri de « À bas les riches ». Evidemment sans conséquence. Evidemment sans réel message. Mais comme un discret symbole.
Rares sont les habitants et propriétaires, actuels ou passés, qui veulent parler de la villa. En tout cas, pas en leur nom. La règle du silence est tacite, comme dans ses clubs selects du Siècle ou du Bilderberg, desquels on sait peu, et sur lesquels on fantasme beaucoup.
Mais c’est aussi comme ça que vivent les légendes.
Pour découvrir plus longuement l’histoire de la Villa, vous pouvez également lire Villa Montmotency d’Augustin de Canchy, paru chez Odyssée.
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Colette en son jardin, Maria-Catherine BOUTTERIN, Les Editions Sekoya, Broché, 162 pages ISBN 978-2-84751-218-2, Prix public ttc 20 €
Fin de partie pour Arnaud Lagardère?, Martine Orange, Mediapart, 4 mai 2020
Arnaud Lagardère mis en examen pour « abus de biens sociaux » : des écritures comptables acrobatiques au cœur des investigations, Aude Dassonville, Rémi Dupré, Le Monde, 30 avril 2024
Diane Barrière, une vie de luxe brisée, Marie Bordet, Le Point, 15 aout 2024
Dans les coulisses de la guerre chez les Barrière, Marie Bordet, Le Point, 8 juillet 2023
Le mystère Desseigne, Stéphanie Marteau, Le Monde, 2 novembre 2012
Les grands patrons déchus #2. Dominique Desseigne, le « prince consort » déchu des casinos, Cécile Rousseau, L’Humanité, 12 aout 2024
Brigade de répression du banditisme
Merci pour cet article je l'ai lu comme un roman 💜💜💜