💥 Ynsect : 500M€+ levés pour faire le CA d'une boulangerie
🦗 Comment l'ex-licorne, placée en procédure de sauvegarde, s'imaginait plus grosse que le boeuf.
Bonjour à tous,
Aujourd’hui j’avais prévu une newsletter un peu drôle, mais j’ai reçu au dernier moment des informations sur Ÿnsect après avoir creusé plusieurs jours. Suite à l’ouverture de la procédure de sauvegarde, vous avez été nombreux à me demander (pour une fois c’est vrai 😅) d’écrire sur le sujet. Du coup on parlera du démembrement de Bruno Le Maire la semaine prochaine.
Donc voici tout ce qui n’a pas encore été dit sur l’incroyable histoire d’Ÿnsect et des centaines de millions (dont la moitié d’argent public). Et pourquoi selon moi1 la boite va finir à la casse dans les mois qui viennent. Sans doute avec fracas.
Tu peux aussi faire un don ici. C’est libre, et surtout y’a pas Substack qui prend 10% et Stripe 3% 😅.
Parlez-moi de vous, plutôt.
Tout commence un mercredi, quand, le 14 septembre 2011, 4 têtes bien faites, des scientifiques et militants écologistes, créent Ÿnsect : Antoine Hubert (AgroParisTech), Jean-Gabriel Levon (HEC Paris, Polytechnique), Fabrice Berro (Ensimag) et Alexis Angot (Essec). L’objectif est de produire des protéines et engrais naturels d’insectes.
Bon en vrai on s’en fout, j’ai juste pompé la page Wikipédia que l’entreprise a, à plusieurs reprises (genre ici ou ici ou encore là), payé pour embellir.
Mais bon tu connais l’histoire : c’est quatre hommes blancs en chemise et pull sur les épaules qui sortent de grandes écoles, qui ont une super idée et la font financer par d’autres hommes blancs sortis des mêmes écoles.
Comme toute bonne startup française, y’a masse d’argent public, y’a le label BCorp, y’a le label Next40, y’a des articles qui relaient des communiqués sans rien vérifier, et, évidemment, la rentabilité passe après tout ça.
Sauf qu’au bout d’un moment ça coince.
Surtout quand t’es une licorne qui lève près d’un demi-milliard pour faire le CA d’un coiffeur de Roubaix.
Vous voulez pas un whisky d'abord ?
Parce qu’au total, Ÿnsect aura levé plus de 500M€ en 5 ans. Ou 435M€. Ou… en fait on n’en sait rien.
En réalité, on devrait s’en foutre. D’ailleurs, si les startups fondées par des femmes lèvent 3 à 5 fois moins, c’est peut-être pas uniquement parce que les VC ne leur font pas confiance par pur sexisme ordinaire, mais parce que les fondatrices ne font pas des concours de zizis pour passer dans Maddyness et le montrer aux copains.
Et même si c’est dit avec (un peu de) vulgarité, ça n’a rien d’anecdotique. Parce que ces levées de fonds font le bonheur des journalistes et des politiques qui relaient sans jamais vérifier, contribuant ainsi le concours de celui qui a la plus grosse corne (pour sa licorne).
Outre le fait que la licornisation a parfois lieu en dollar (Swile, par exemple), les montants levés ont des réalités très différentes. On y mélange de l’equity, des emprunts, des obligations convertibles ou des aides, alors que ça n’a évidemment pas les mêmes impacts pour l’entreprise.
C’est ce qui fait une différence de plus de 100M€ entre les articles qui parlent des levées d’Ÿnsect et la réalité comptable.
C’est en 2014 qu’Ÿnsect fait son premier tour de table avec une série A à 1,8M€ auprès de Emertec Gestion et Demeter Partners2 afin d’ouvrir sa première usine à Dole. Puis c’est une série B à 15,2M$ avec Future Positive Capital et Bpifrance.3
Quand émerge un projet d’usine à Amiens fin 2017, Ÿnsect cherche beaucoup d’argent. La série C est leadée par Astanor Ventures, VC spécialisé dans l’agrotech. 148M$ sont annoncés en 2019, complétés par 372M€ en 2020, selon un communiqué de l’entreprise.4
Les chiffres sont massivement repris partout.
Ce qui l’est moins, c’est pourquoi un complément a été ajouté un an plus tard.
Le projet d’Amiens a été largement malmené par le Covid-19 qui a amené de nombreux retards. Donc des pertes, qui ne vont que s’aggraver. Tout comme les retards.
Ÿnsect profite de l’afflux de pognon pour racheter Protifarm aux Pays-Bas, renommé Ÿnsect NL. Cout de l’opération : 14,25M€.
Le temps passe… et Amiens qui devait sortir de terre fin 2021 n’ouvre toujours pas.
Début 2022, Ÿnsect veut lever 250M€ en série D, sauf que voilà… Les taux remontent, les VC sont moins chauds, les mégalevées se font rares… et les objectifs d’Ÿnsect sont très très loin d’être atteints. Lors de la série C, la société affichait un objectif de CA à 5 ans de 500M€5, alors qu’il n’a été que de 17,8M€ la même. Ce qui, à ce jour encore, est son année record.6
Le problème c’est qu’Ÿnsect n’a pas beaucoup de temps. En plus de l’inflation, la guerre en Ukraine stresse les couts des céréales et l’énergie qui font exploser les charges de la startup. Les actionnaires historiques doivent lâcher 50M€ en juin pour éviter le pire.
Dès 2023, la boite se remet à la recherche de 250M€ tout en travaillant sur un plan d’économie, alors que l’usine d’Amiens n’est toujours pas prête. Elle n’ouvrira que début 2024. Forcément, les investisseurs ne sont pas vraiment chaud bouillants.
Une série D de 160M€ est finalement annoncée dans la presse7. Un chiffre fuite en off : 600M€ de valo pour le gros insecte qui se disait licorne quelques temps auparavant. Tout le monde avait senti la douille arriver… Surtout quand dans le même temps l’effectif de 360 personnes doit s’alléger de 38 postes.
Sauf qu’en réalité ce montant de 160M€, c’est le bridge de 50M€ de juin 2022, complété par 107M€ d’obligations convertibles. En avril 2023, l’AG avait voté la possibilité d’émettre jusqu’à 200M€ d’OC.
Des OC avaient déjà été émises pour 51M€ en 2022.
Soit plus de 232M€ de dettes8 et près de 9M€ d’intérêts.
C’était 125M€ en 2022.
33M€ en 2021.
Écoutez, laissez la police faire son travail
Lors de la série D, l’international est mentionné comme étant une priorité. Mais tout juste deux ans après le rachat de Protifarm, le site de production est fermé et rapatrié à Dole. La filiale se contentera de la R&D.
Entre-temps, Ÿnsect a également racheté Jord aux USA, pour 300K$, devenu Ÿnsect Nebraska, via sa filiale US Ÿnsect Inc., qui vend des insectes pour les poules de compagnie.
Toutes ses structures sont financées, à perte, par la société mère.
À cela s’ajoute la France dont les finances s’aggravent durement. Contrairement à ce qu’affirment Les Echos9, le chiffre d’affaires 2022 était bien plus important que 568K€, mais l’équilibre semble très très loin.
2019 : 138K€ de CA pour -9,22M€ de résultat
2020 : 10,5M€ / -29,6M€
2021 : 17,8M€ / -36M€
2022 : 3,23M€ / -89,7M€
2023 : 5,8M€ / -79,7M€
Quels nullos hein chez Les Echos, de pas savoir lire le tableau dispo sur Pappers ?
Eh bin… En fait, c’est l’inverse. 😅
Prenons la fameuse année 2021, record de CA, et analysons tout ça. En fait, voici le CA :
271K€ de refacturation à Ÿnsect Nebraska
16,7K€ pour Ÿnsect NL
Et… 17,1M€ pour la SCI Vertycal.
En 2020, c’était 10,3M€ pour cette même SCI, et 2,5M€ en 2022.
Mais quel est le fuck ?
En 2023, le CA réel est de 656K€.
Remboursez nos invitations !
Si Ÿnsect SAS est propriétaire à 100% d’Ÿnsect Inc. USA (propriétaire à 100% de Ÿnsect Nebraska) et d’Ÿnsect NL B.V. (propriétaire à 100% de 3 filiales), elle ne détient que 51% de Vertycal SCI, gérée par Angeris. Le reste appartient… à la Caisse des Dépôts, via la Banque des Territoires qui a injecté 13M€10, soit la moitié du capital social, et 6,3M€ chacun en compte d’associé.
Cette SCI, qui détient l’usine d’Amiens, que loue Ÿnsect pour 10M€ par an via un bail en VEFA de 12 ans, porte également deux prêts :
83M€ signés en juin 2020 pour la construction ;
41M€ pour l’équipement de l’usine.
À court de cash, Ÿnsect SAS a demandé à Vertycal détenue à 51% par Ÿnsect SAS si elle pouvait suspendre les loyers des T2 T3 et T4 2024. Ce à quoi Vertycal détenue à 51% par Ÿnsect SAS a répondu à Ÿnsect SAS que, bon, bah, c’était ok. En échange, Vertycal détenue à 51% par Ÿnsect SAS a demandé à Ÿnsect SAS si elle était ok pour annuler les intérêts du compte d’associé. Ÿnsect SAS a dit que c’était fair, et a accepté. Quelle belle histoire.
Et bim, 7,5M€ d’économisé dans l’année. Qui seront renfloués par un énième apport en compte courant d’associé qui affiche déjà 13,5M€ pour une SCI qui perd plus de 2M€ par an. Et sans doute la Caisse des Dépôts fait elle pareil.
Alors que revoilà la sous-préfète
Le problème c’est que si vous avez bien suivi, Ÿnsect cherchait à lever 250M€ en 2023, et qu’elle a eu 100M€ de moins. En octobre 2023, l’alarme sonne : la boite va à la catastrophe. Depuis avril les discussions s’enlisent, le pognon n’arrive pas, et les caisses seront bientôt vides d’ici fin décembre.
Les OC, prévues pour être immédiatement converties, ne séduisent plus. Et le principal investisseur peinerait à finaliser son véhicule d’investissement. Mais pas de panique : que fait-on quand on est en galère et qu’on passe à la télé ? On fait appel à l’état, et donc à la Bpi.
En octobre, El Famoso Hélène Bourbouloux, célèbre administratrice judiciaire et « femme la plus puissante de France » selon Marianne11, entre en scène. Elle arrive à trouver un accord pour que la fin de la série D se fasse. En février 2024, 38,4M€ sont mis sur la table par les actionnaires historiques.
Ces wannabe OC au taux de 3% avaient initialement une maturité au 30 juin, finalement repoussée au 31 décembre.
Et rebelote en mars, pour boucler cette deuxième phase à 50M€.
Les caisses sont pleines, la levée « a fait disparaître le risque rencontré par Ÿnsect d'impasse de trésorerie à court terme » selon un document interne, et Bourbouloux est renvoyée à la maison.
Surtout qu’une troisième remise au pot arrive en juin.
Ÿnsect c’est le mec qui joue aux Sims en utilisant MOTHERLODE toutes les 2 minutes.
Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux, maintenant
Sauf que, l’aspirateur à cash, ils ont oublié de l’éteindre ! Et que la boite peine encore à faire plus de quelques dizaines de milliers d’euros par mois en CA. Et qu’est-ce qui se passe quand on dépense plein de thunes et qu’on n’en gagne pas ?
Pour ceux qui ont arrêté l’école en CE2, les VC et les CEO & Founders de licornes, je donne la réponse : on va dans le mur.
Parce qu’à peine la 2e phase bouclée, il faut :
Espérer que les ventes débutent en septembre 2024 suite à l’ouverture de l’usine d’Amiens ;
Espérer… relever des fonds.
« Ainsi, et compte tenu notamment de la période de vacances estivales ainsi que des Jeux Olympiques de Paris 2024, il existe des incertitudes quant à la capacité pour la Société de finaliser les discussions avec ses investisseurs durant cette période »
Ils font chier aussi à avoir foutu les vacances et les JO au dernier moment, juste pour emmerder les startups.
Ce qu’il faut comprendre c’est que la survie de centaines de millions d’euros investis pendant 10 ans pour des filiales fermées, une usine qui a ouvert y’a 6 mois et une boite qui fait le CA d’un coiffeur, est conditionnée à la 3e phase de série D (70-130M€). Même Star Wars 9 ça paraissait moins forcé… Au programme :
Deux investisseurs qui auraient promis 50M€ chacun ;
10M€ de Bpifrance sous condition de trouver au moins autant ailleurs.
Tout ça pour éviter que la boite n’ait plus un radis dès le mois d’aout.
Et c’est donc le grand retour d’Hélène Bourbouloux. Perso, à force je lui aurais fait payer une partie du loyer.
Le 5 juillet, au lieu de lire ma newsletter sur Blast comme font les bonnes gens, elle obtient le report de certaines créances et l’abandon d’autres.
Mais durant l’été, le fonds singapourien qui s’était positionné sur la levée jette l’éponge, même si les actionnaires actuels avaient accepté de remettre au pot, offrant une splendide illustration du biais des couts irrécupérables.
Ce qui nous amène donc à la demande de procédure de sauvegarde suscitée, largement relayée dans la presse, et qui m’a conduit à enquêter, et qui vous a conduit à lire (pour ceux qui se sont pas déjà barrés).
L’objectif ? Toujours pareil. Gagner du temps pour aller chercher du pognon qui donner un peu de sursis.
Arrêtez ! Vous essayez de gagner du temps !
Dans l’urgence, Ÿnsect ferme Ÿnsect Nebraska perdant près de 500K€ de compte d’associé au passage, et compte ses derniers deniers.
Si Ÿnsect tente de relativiser en interne (alors qu’un nouveau PSE de 31 postes a été annoncé en janvier), et que la procédure de sauvegarde a été acceptée (ce qui fait moins peur qu’un redressement judiciaire) la situation reste très très délicate, parce qu’Ÿnsect doit plus de 276M€, et notamment :
10M€ à Bpifrance
8,5M€ de PGE
791K€ à l’Ademe
51,3M€ pour les OC de 2022
106,9M€ pour celles de 2023
8,8M€ pour celles de 202412
Par ailleurs, Ÿnsect a nanti près de 100M€ d’actifs pour deux crédits de 41M€ et 14,7M€. Dont un splendide Intralogistic System de chez Ulma pour 22,9M€ (aucune idée de ce que c’est, mais c’est classe). Plus le fameux prêt de la SCI, entièrement lié à l’activité de l’entreprise.
La propagande du tout-va-bien est d’ailleurs relayée dans le Courrier Picard13 qui titre sur un plan de relance qui n’existe pas.
« En dépit de ce contexte peu favorable, Ynsect a levé 160 millions d’euros depuis 2023 et a achevé une étape cruciale dans le développement de son projet industriel, la construction de sa ferme verticale située à Amiens. »
Mais personne ne semble voir le problème d’une boite qui a cramé 160M€ en un an, et se félicite d’ouvrir une usine censée arriver en 2021. Tout en dilapant du pognon en attendant.
Du côté des élus locaux, dont aucun n’a souhaité donné les chiffres des aides potentielles versées à Ÿnsect, les analyses sont lunaires. Le président de la métropole amiénoise Alain Gest explique14 :
« Lorsqu'il s'agit d'une entreprise industrielle comme celle là, très innovante, partant d'une quasi startup, ce n'est pas tellement étonnant que il y ait dans le début de son exploitation des difficultés financières. »
Ouais. Sauf que la boite a 13 ans. Et qu’elle n’a eu que des difficultés financières.
Et le président de conclure : « il ne faut pas s'inquiéter outre mesure »15. Ah bah merci Alain…
A Dole, le président de l’agglo Jean-Pascal Fichère tient un discours identique16, sans doute soufflé par les communiquants du groupe.
« Ce que je sais, c’est que la montée en puissance du site du Nord est plus longue que prévu. La reproduction des insectes est plus longue et le site n’a pas encore atteint sa rentabilité. »
Même délire du côté de Marc Foucault, vice-président chargé du développement économique d’Amiens Métropole, qui annonce la semaine dernière en conseil que la mesure permet de « geler le passif », « de trouver encore de nouveaux investisseurs » et de « poursuivre l’activité encore douze mois ». Mais le problème n’est pas le passif qui s’aggrave, c’est celui qui est déjà signé et le burn mensuel. Ce sont les investisseurs qui refusent de venir. Et c’est une entreprise qui n’a surement pas douze mois devant elle.
Parce qu’il reste moins de 20M€ sur les comptes et le CA estimé sur les 6 prochains mois atteint péniblement 800K€. Mais Ÿnsect peut compter sur 3,2M€ supplémentaires de… remboursement de TVA. Voilà à quoi tient la survie de la boîte. Quatre fois plus de TVA remboursé que de CA.
Ça valait le coup d’attendre 3 ans pour l’ouvrir cette usine.
Hors loyer, Ÿnsect crame 5M€ par mois. Pour ceux qui ont loupé leur bac S, ça fait 4 mois dans les caisses.
Le dernier espoir d’Ÿnsect c’est le Père Noël.
On ne peut pas tromper une personne mille fois... si, si on peut tromper mille personnes une fois... euh mille fois... non, on ne peut tromper pas une fois mille personnes, mais on peut tromper une fois mille personnes, oui on ne peut pas tromper mille fois…
Alors qu’en est-il de l’argent public ? Bpifrance est le 2e actionnaire, derrière Astanor :
Astanor 22,77%
Bpifrance 13,62%
Upfront 8,22%
Talis Capital 5,01%
Partners in equity 4,84%
Demeter 4,14%
Idinvest / Eurazeo 3,61%
Visvires 3,58%
Fonds Picards 3,54%
Armat / Helios 2,89%
Supernova 2,53%
Quadia 2,34%
French Partners 1,74%
Restent quelques miettes aux fondateurs (2,92%) et divers investisseurs individuels (0,66%).
Alors, combien ?
Réponse : je sais pas, mais cher.
Soyons clairs, et même si on va encore me dire que j’y comprends rien, je ne vois pas une seule porte de sortie pour Ÿnsect. Certains investisseurs font semblant d’y croire, quand d’autres commencent vraiment à s’agacer en off. Quoi qu’il arrive, et même en levant 50 ou 100M€, le burn et le CA qui n’arrivera pas réellement à exister avant de nombreux mois, Ÿnsect devra passer par une série E.
Comment imaginer que quelqu’un suive après autant d’échecs commerciaux et opérationnels ?
Alors sans doute qu’on risque de voir trainer le corps d’Ÿnsect en état de mort cérébrale pendant un long moment dans les couloirs de la French Tech. Mais personne ne se fait d’illusion. Et la restructuration, la liquidation ou une vente à la barre pourrait encore couter cher aux AGS pour payer les 250 salariés restant.
Côté Caisse des Dépôts, en dehors des 7M€ investis dans le capital de la SCI, personne n’a voulu me confirmer (ou infirmer) les montants en compte d’associé. Mais la somme dépasse dans tous les cas 14M€.
Côté Bpifrance la facture exacte n’est pas connue. J’ai pu pister au moins 37M€ d’obligations, mais les 13,62% détenus ne permettent pas vraiment de connaître le montant investi en equity, d’autant que l’organe public est entré dès la série B à 15M$. Mais vu la faible dilution, difficile d’imaginer que la Bpifrance n’a pas remis à chaque tour. Selon un fondateur cité par Sifted17, la banque représenterait la moitié des financements, sans doute en incluant les OC.
Côté régions et agglos, personne n’a souhaité répondre, mais dans une interview, le président d’Amiens Métropole indique s’être engagé « à verser des aides correspondant au nombre d'emplois créés » et confirme que la région est intervenue également. En 2020, Amienois-e.fr révélait que la métropole avait versé 770K€ de subventions.18 Un document interne daté de 2018 parle lui, sans donner de montant, d’une intervention de la métropole, mais également de la CCI, de la région Hauts-de-France et du Conseil départemental. Puis évoque la possibilité de solliciter l’Aide à la ré-industrialisation ou la Prime à l’aménagement du territoire (PAT), données par l’état. Ou les fonds de revitalisation (fonds privés issus de PSE locaux).
Un proche du département évoque une subvention de 440K€ du Conseil général fin 2020. Une source interne parle de 1,54M€ pour le département et la métropole, combinés, mais dont une partie était sous conditions de créations d’emplois. Seulement 231K€ par intervenant aurait été débloqué en 2020 puis 132K€ en 2021 pour le Conseil général.
Lors de son arrivée à Dole, Ÿnsect avait bénéficié du Programme d’investissements avenir (PIA). Sans que le montant ne soit divulgué, le projet d’Amiens y est annoncé pour 2020, et la startup est la figure de proue du rapport de 201919, dont la Cour des comptes avait vertement critiqué l’efficacité. Pour le même projet, Ÿnsect avait perçu en 2015 500K€ au titre du PAT.20 Le même PAT qui apparait dans les comptes de 2018 et de 2019 pour 200K€ à chaque fois, puis 500K€ en 2020.
Selon mes informations, le montant total des aides perçues au titre du PIA avoisinerait 21,3M€.
Côté Europe, une subvention de 20M€ avait été accordée lors de la série C en 201921 nommée BBI JU (Bio Based Industries Joint Undertaking).
On retrouve également des traces du financement de Paris Innovation Amorçage, le statut de Jeune Entreprise Innovante, une subvention Zelcor de l’INRAE (400K€ en 2019, 30K€ en 2018), de l’Ademe (82K€ en 2018, 1,6M€ d’avance en 2017), de l’ANR (60K€), d’aides à l’embauche (69K€ en 2021), de Bpi encore (243K€ en 2021) ou encore le CICE (118K€ en 2019, 118K€ en 2018, 93K€ en 2017, 49K€ en 2016).
En 2015, les subventions représentaient 760K€ pour 8K€ de CA.
670K€ pour 20K€ de CA en 2016
133K€ pour 37K€ de CA en 2017
190K€ pour 85K€ de CA en 2018
55K€ pour 136K€ de CA en 2019
962K€ pour 211K€ de CA en 2020
445K€ pour 354K€ de CA en 2021
589K€ pour 593K€ de CA en 2022
1,6M€ pour 656K€ de CA en 2023
Et en réalité, la multiplicité des sources, et la complexité des bilans fait que c’est sans doute bien plus, celle de l’UE n’apparaissant, par exemple, jamais dans les chiffres.
Tout ça donc pour une boite qui aurait fait à peine 2M€ de CA en 10 ans.
En ajoutant les subventions, l’equity et les PGE non remboursés, la facture sur les deniers publics devrait donc se situer entre 250 et 300M€.
Ça fait cher pour créer 250 emplois qui vont disparaitre.
Et faire le CA d’une boulangerie.22
Alors oui, évidemment, c’est simpliste.
Oui, évidemment, on ne peut pas faire de CA quand son usine ouvre début 2024 et doit attendre un an pour être à 20% de sa capacité de production.
Oui, évidemment, les capex d’une boite industrielle ne sont pas ceux d’un SaaS dont la levée ne sert qu’à filer du pognon à Google et Facebook.
Mais la question doit quand même se poser.
Combien de temps doit-on garder sous perfusion une boîte qui n’arrive pas à produire ?
Combien ça coute, et qui doit payer ?
L’argent public peut (doit ?) servir à financer des paris, même s’ils échouent. C’est le cas de Mistral : si on ne met pas le pognon aujourd’hui, même pour rien, on passe à côté de la possibilité d’exister sur ce sujet pendant 10, 20 ou 30 ans.
Mais ça ne peut pas être fait à n’importe quel prix, ni défendu par des élus qui n’y comprennent rien.
On ne peut pas justifier des dépenses colossales pour une prétendue sauvegarde de l’emploi, quand chaque emploi coute plus d’un million d’euros d’argent public.
On ne peut pas continuer à perfuser à coup des dizaines de millions d’euros une boite, uniquement parce qu’on a une aversion à la perte.
L’argent public est un bien collectif.
Chaque euro devrait être justifié, et son utilisation mesurée.
On peut se tromper.
Mais pas 1000 fois.
Je m’appelle Benjamin Charles, et je fais du conseil en branding, positionnement et création de contenus pour des entreprises de la finance, de l’immobilier et du web3.
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J’ai dit “selon moi”, c’est un avis personnel, pas la peine de faire vos Blast et de m’assigner en diffamation (surtout si c’est pour finalement demander le report le jour J)
Ynsect récolte 1,8 M€ pour son premier tour de table, William Sadrin, Capital Finance, 5 mars 2014
Ynsect secures $15.2m Series B funding, Al Barbarino, AgriInvestor, 15 décembre 2016
La startup Agtech Ÿnsect étend sa série C à 372 millions, 6 octobre 2020
La petite bête qui monte : le français Ÿnsect s'offre Protifarm, Zone Bourse, 13 avril 2021
Non rien, je spoile pas.
Protéines : Ynsect lève 160 M€ mais doit revoir sa stratégie, Françoise de Vaugelas, L’Usine Nouvelle, 10 avril 2023
En incluant celles de 2024, mais je voulais pas spoiler la suite. Fallait pas lire les notes.
Ynsect, un symbole de la French Tech en danger de mort, Adrien Lelièvre, Camille Wong, Charlie Perreau, Les Echos, 26 septembre 2024
Territoires d’industrie, Fers de la relance, Assemblée générale du 15 décembre 2020
Hélène Bourbouloux : la femme la plus puissante de France, Emmanuel Schwartzenberg, Marianne, 23 octobre 2021
Ce chiffre ne couvre pas les 3 volets des OCA 2024, sauf si certaines ont déjà été converties.
En procédure de sauvegarde, Ynsect, ferme usine d’insectes à Amiens, évoque ses difficultés et le plan de relance, Alexandre Boudard, Le Courrier Picard, 27 septembre 2024
Ynsect en procédure de sauvegarde : "l’État est attentif à la situation de l’entreprise", Pierre-Antoine Lefort, France Bleu, 2 octobre 2024
Ynsect en procédure de sauvegarde : "il ne faut pas s'inquiéter outre mesure", assure le président d'Amiens Métropole, Pierre-Antoine Lefort, France Bleu, 27 septembre 2024
Basée dans le Jura et la Somme, la start-up Ynsect, spécialisée dans les protéines d’insectes, en procédure de sauvegarde, Sophie Courageot , Mélanie Philips et AFP, France 3, 26 septembre 2024
Ÿnsect raised over $600m on a hugely ambitious bet. Now, it needs to start making serious money, Daphné Leprince-Ringuet, Sifted, 8 aout 2024
YNSECT: l’usine à insectes déjà millionnaire va toucher une subvention de la Métropole pour son site de Poulainville, Amienois-e.fr, 10 novembre 2020
Le PIA, un outil à préserver, une ambition à refonder, Novembre 2019
L'activité 2015 des référents uniques pour les investissements, Direction Générale des Entreprises, Juin 2016
Ynsect reçoit 20 millions d'euros de la Commission européenne, Hélène Gully, Les Echos Entrepreneurs, 11 juin 2019
Le chiffre d’affaires moyen d’une boulangerie en France est de 310K€.
Source : Confédération Nationale de Boulangerie-Pâtisserie Française
Pour avoir travailler deux ans dans l’usine d’Amiens je confirme beaucoup de parole.
L’argent à été gaspillé pour des choses déplorable.
Mais à coter de cela on est venu nous demander de faire des semaines et week-end d’astreinte pour 90€ la semaine, pour être appelé toute les nuits pour des problèmes ridicules et complément debile puisse que pas un kg ne sortais de l’usine.
Malheureusement je suis content d’être parti
Ce qui ne devrais jamais être le cas
Pour avoir vécu de l'intérieur la situation jusqu'à il y a quelques mois, cette analyse est partiellement exacte et surtout incomplète pour comprendre comment on en est arrivé là. Je vais faire simple. Outre l'aspect levée de fond et chiffre d'affaire, de grosses erreurs ont été commises au niveau des dépenses. Pour en revenir à la fameuse usine d'Amiens, les dépassements de coût sont les conséquences de mauvais choix comme par exemple Technip. Une masse salariale qui a été surdimensionnée. Ce qui n'a pas empêché le recours massif aux consultants externes. En somme, une très mauvaise maitrise des dépenses. L'explication communément admise à cette gabegie sera que l'entreprise n'a pas su garder la tête froide. Mais d'autres raisons sont possibles. A l'issu de cette procédure, les principaux investisseurs donc l'Etat devront demander des comptes et vérifier si des fautes pénalement répréhensibles n'ont pas été commises. Certains choix qui ne sont révélés être des erreurs ont été bien trop souvent répétés pour qu'il n'y ait pas eu de conflits d'intérêt. De même pour les BP établis de manière bien optimiste. L'ont-ils été fait sciemment pour duper les investisseurs ou par insuffisance professionnel ?
Au delà des erreurs ou fautes volontairement commises, il faut garder à l'esprit que ce projet industrielle repose sur du vivant. L'élevage d'insectes à grande échelle ne peut pas s'appréhender comme un vulgaire entrepôt Amazon ou la construction d'automobile électrique. Un nombre incalculable d'aléas peuvent survenir et conduire à une baisse de la productivité voire pire. Je pense donc que même si le projet avait été mené en gardant sa présence d'esprit, sans aller jusqu'à la démesure et en toute probité, des aléas aurait été inévitables mais probablement plus facile à surmonter.
Pour conclure quel avenir pour Ynsect ? Difficile à prédire mais il ne faut pas être divin pour imaginer une énième restructuration dans les mois voire semaines à venir. Avec pour conséquence encore des emplois détruits voire des sites totalement fermés.
Le site d'Amiens pourrait quant à lui perdurer et atteindre ses objectifs. Le quoi qu'il est coûte pourrait selon moi être appliqué pour sauver ce projet industriel. Il ne faut pas oublier qu'Amiens est la ville natale du chef de l'Etat. Un fiasco dans son fief sera un coup de plus porter à son mandant qui ne tient qu'à un fil. D'un autre côté la politique de rigueur budgétaire du Premier Ministre sera-t-elle compatible ? Je suis perplexe c'est pourquoi la solution d'un repreneur est aussi plus que probable. Ynsect sous pavillon chinois ou américain en 2025 ? Rien ne m'étonnera après avoir pu assister à tant d'invraisemblance au cours de mon expérience chez cette licorne.